En dix-huit mois, il est devenu l’un des showrunners chouchou des médias. Ex-musicien, ex-informaticien, cet habitué des reconversions a signé plusieurs romans avant d’adapter l’univers des frères Coen. Biiinge passe au scanner une tête à part.
Trailers en rafale, entretiens à gogo sur internet et même infographie… Cet automne, vous ne pouvez pas passer à côté de la déferlante Fargo. Après le succès de la première saison, diffusée sur FX aux États-Unis et Netflix en France, le monde attendait de pied ferme la suite de l’anthologie inspirée du film culte des frères Coen.
Si cette nouvelle saison ne fait pas complètement table rase du passé – on retrouve le personnage de Lou Solverson, en plus jeune et joué par Patrick Wilson – tous les regards convergent vers un homme : Noah Hawley, le showrunner qui a su capter l’esprit du film avec William H. Macy et Frances McDormand, tout en racontant des histoires complètement différentes.
En 2014, il a surpris tout le monde en imposant sa finesse d’écriture dans une histoire où, de son propre aveu, “le meilleur et le pire de l’Amérique se rencontrent”. Il a surtout séduit : dans la course aux Golden Globes et Emmys qui l’opposait à Nic Pizzolatto (True Detective), Hawley s’est largement imposé, repartant avec la récompense de la meilleure mini-série dans les deux cérémonies. Mais qui est-il ? Comment a-t-il réussi ce tour de force ? Retour sur son parcours en six étapes.
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#1 Il vient d’une famille qui aime les histoires
#2 Il a enchaîné des boulots très différents
#3 Il est un romancier reconnu
En Californie, Noah Hawley change de métier sans tout à fait changer d’univers. Il décroche un boulot dans une entreprise qui fabrique des programmes informatiques pour les cabinets d’avocats. Le nez dans le web à longueur de journée, il découvre l’univers des sites de complots – un petit monde dont il est question dans la saison 2 de Fargo.
“Il y a beaucoup de trucs là-dessus sur le Net, tenus par des gens franchement dingo, raconte-t-il avec malice à SF Gate. Mon préféré reste celui où des gens s’ingénient à prouver que la Terre est plate est qu’on nous ment depuis des années.”
Si, dans la tête de Hawley, la planète reste ronde et bleue, une idée de roman y tourne en boucle. Celle d’un professeur d’université spécialisé dans l’étude des théories du complot qui découvre que son épouse, censée être en voyage à Chicago, fait partie des victimes d’un crash d’avion.
Le roman, A Conspiracy of Tall Men, sort en 1998. Son auteur, qui vient de passer la barre de la trentaine, récolte au passage de nombreuses louanges. Jusqu’à ce que Patrick Stewart (X Men, Star Trek : The Next Generation) l’appelle en personne pour acheter les droits de l’histoire et l’adapter au cinéma. Rien que ça. Finalement, le projet tombera à l’eau mais pour Hawley, une nouvelle vie va commencer. Entre 2004 et 2012, il signe trois autres ouvrages : Other’s People Weddings, The Punch : A Novel (2008) et The Good Father (2012), traduit en français sous le titre Le bon père.
#4 Il a connu l’échec pour mieux rebondir
L’échec de l’adaptation de son premier roman ne dissuade pas l’auteur de tenter sa chance à Hollywood, après quelques années passées au Texas. Après avoir tenté de vendre deux pilotes de séries à FX, il décide de faire ses classes de scénaristes sur une série de network.
Pendant trois saisons, entre 2005 et 2008, il rejoint la production de Bones sur la Fox et signe six épisodes. Juste ce qu’il faut pour comprendre comment fonctionne l’industrie de la télé américaine mais aussi pour signer un scénario de film (The Alibi, avec Jerry O’Connell et Rebecca Romjin).
En 2009, il créé son tout premier show pour ABC, The Unusuals, vraie-fausse série policière pleine d’humour, qui compte Jeremy Renner parmi ses acteurs. Les critiques sont plutôt bonnes, mais l’audience ne suit pas. Elle est annulée après 13 épisodes.
En 2010, rebelote. Hawley s’associe avec l’ancien président de NBC, Warren Littlefield (l’homme qui a lancé Urgences et Friends) pour produire My Generation, un mockumentary façon The Office consacré à un groupe de lycéens du Texas. L’expérience tourne à la bonne grosse fessée : après la diffusion de deux épisodes, le show est annulé. Tout n’est pas noir, cependant. Littlefield apprécie son nouvel associé et pense à lui pour relancer un projet resté plusieurs années dans les cartons : l’adaptation télé de Fargo.
#5 Fargo en série, LA bonne idée
#6 Dans la tête des frères Coen, pour mieux en sortir
Avoir une bonne idée, c’est bien. En faire un projet réussi, c’est autre chose. La grande force de Hawley : avoir parfaitement compris l’essence du film avec Peter Stormare et Steve Buscemi, tout en proposant de nouvelles intrigues et personnages hauts en couleur.
En s’appuyant sur son amour des “Ensemble Show“, ces séries où l’on suit un groupe de personnages davantage qu’un héros (The Unusuals en constitue un bon exemple), Hawley s’est livré à une très fine analyse de l’histoire imaginée par les Coen.
“Fargo n’est pas seulement l’histoire du bien contre le mal. C’est l’opposition de la décence contre le mal, analyse le scénariste dans Vulture. Je crois que c’est Joel Coen qui a dit une fois : “les sociétés les plus polies sont parfois les plus violentes” (…) Si le personnage de Bill Macy (dans le film, ndlr) avait été en capacité de communiquer, rien de ce qui arrive ensuite ne serait arrivé.” Un trait de caractère que l’on retrouve chez Lester Nygard (Martin Freeman) dans la première saison de la série.
Mais Fargo, ce n’est pas seulement une étude des rapports humains en milieu congelé. C’est aussi un art du décalage, de la digression, parfaitement maîtrisé.
“J’ai dit à tout le monde : “Nous devons trouver notre Mike Yanagita” “, avoue-t-il en 2014 à la Writers Guild of America. Dans le film Fargo, Yanagita est ce personnage qui déjeune avec Marge, et qui lui raconte la triste histoire de son mariage avec une fille morte d’une leucémie. Un peu plus tard, le spectateur découvre que tout est inventé. La fille n’est pas morte et elle a un ordre de la cour interdisant à Mike Yanagita de l’approcher.
“Là on se dit, “mais pourquoi c’est dans le film ?” Ma théorie, c’est que c’est parce que, comme dans une histoire vraie, l’héroïne est confrontée à des détails véridiques qui n’ont rien à voir avec le reste. C’est ça, ce que l’on voit dans la vraie vie”.
L’autre grande force de Hawley réside dans son art à articuler des choses a priori dissemblables pour former un tout cohérent, étonnant mais puissamment évocateur. Encore un détail qui prouve que Fargo est vraiment un projet à part.