Ils sont jeunes, viennent d’un peu partout et vont prendre la relève du cinéma français. Après Finnegan Oldfield et Stéfi Celma, au tour de Rod Paradot de participer à notre nouvelle série d’interviews ciné : la NEW WAVE.
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Désigné l’an passé César du meilleur espoir pour son premier rôle dans La Tête haute, Rod Paradot était en concurrence avec Swann Arlaud, Quentin Dolmaire, Félix Moati et Finnegan Oldfield. Sa statuette le propulsa alors : devant l’appareil photo de la maison Dior puis aux côtés de Nekfeu dans un film à sortir prochainement ou encore dans une série de science-fiction… Vous l’attendiez au tournant ? Il est bien décidé à être plus que présent.
Son CAP de menuiserie semble bien loin derrière lui depuis qu’Emmanuelle Bercot l’a pris sous son aile. Retour sur le parcours d’un hyperactif, dans une interview délicate. Histoire de souffler après sa reprise intense de “Mon bijou” de Jul :
Konbini | Quel âge as-tu ?
Rod Paradot | J’ai 21 ans.
Est-ce que tu as des surnoms ?
Non mais, juste pour rigoler, ma famille m’appelait Roudoudou.
Quelles sont tes origines ?
J’ai des origines de mon père, via mon grand-père espagnol, mais bon ça ne compte pas trop. Je suis surtout français. J’ai grandi à Stains, en Seine-Saint-Denis. Pas très loin de la cité des NTM, Didier et Kool Shen. Et depuis un an je vis à Paris, dans le 10e.
Ton appart, ton César, ton indépendance…
Oui, j’ai voulu partir parce qu’il faut savoir grandir aussi. Voir d’autres choses. Après, il ne faut pas oublier ses racines.
Dans ta famille, quel est le rapport au cinéma ?
Ma mère est fonctionnaire à la mairie et mon père est plombier : personne n’a de lien avec le cinéma. Après, j’ai toujours eu un oncle, Cyril, qui me montrait énormément de films et maintenant, j’ai un vrai problème avec Belmondo et Alain Delon : je connais très bien leur filmographie. Je regardais aussi beaucoup de films d’horreur. À 8 ans j’avais déjà vu L’Exorciste, Le Professionnel, L’Animal… Ils m’ont trop marqué.
Attends, c’est ton oncle qui te montrait ça ou tu regardais en cachette ?
Ouais, c’était lui. Je faisais des cauchemars mais c’était trop stylé [rires].
Tu m’étonnes. Qu’est-ce que tu faisais avant le cinéma ?
J’étais en CAP, fabricant-menuisier. Mes résultats ne me permettaient pas d’être plombier dans le lycée que je voulais. Ce n’est pas vraiment ce que je voulais faire…
Tu voulais faire quoi à la base ?
À la base, je voulais faire de la plomberie. Mais mes résultats m’ont conduit au CFI de Gennevilliers, à la Maison de l’apprentissage. Au bout d’un an de menuiserie en entreprise, j’en ai eu marre. Je pensais alors bosser dans l’animation ou être saisonnier.
Honnêtement, ça ne me plaisait pas trop, à part la menuiserie : faire des meubles, un lit pour chez toi… c’est super. Mais heureusement que j’étais là-bas.
Oui, c’est là que tout a commencé, que tu t’es fait repérer… Tu te souviens comment ça s’est passé ?
J’étais tranquillement en train de fumer une cigarette devant mon lycée et Elsa Pharaon est venue vers moi. Elle s’est présentée, m’a dit qu’elle était directrice de casting et que mon profil correspondait au projet sur lequel elle était en ce moment. Elle m’a demandé si je voulais passer des essais.
Trop bien. T’en as pensé quoi sur le coup ?
En fait, je ne me rendais pas du tout compte de la chose. Je me suis juste lancé. Je ne savais pas, par exemple, que c’était avec Emmanuelle Bercot et Catherine Deneuve…
Oui, ça doit être quelque chose d’être face à Catherine Deneuve ?
T’es pas mal, t’es pas mal… [Rires.]
Tu connaissais quoi de sa carrière ?
J’avais vu un ou deux films, mais je ne la connaissais pas particulièrement. Ça s’est super bien passé. On s’est tutoyés tout de suite, à la projection équipe. Il y a même une anecdote marrante que je vais te donner : je lui ai demandé quel âge elle avait [rires].
T’as osé ! Et elle t’a dit quoi ?
Elle a répondu franchement et depuis, il y a toujours eu une ambiance chaleureuse sur le plateau. Elle est géniale. C’est une grande dame.
“Je n’ai jamais eu de casier, ni foutu le bordel dehors, mais à l’école je ne tenais pas en place. Je n’étais juste pas intéressé…”
Et tu te souviens du casting ?
Ça s’est fait dans mon lycée, immédiatement. Je devais demander une clope au proviseur. C’était seulement trois ou quatre petites phrases et je me suis montré beaucoup moins violent que dans le film. J’avais juste soulevé la table [rires].
J’étais vachement timide et je ne savais pas ce que je faisais. Mais pour être pris, j’ai dû faire 60 ou 80 castings.
Ah ouais, tant que ça ?
En fait, quand Emmanuelle a su qu’elle me voulait, elle m’a fait passer des essais avec tout le monde : Benoît Magimel, Sara Forestier… Le plus dur, c’était de trouver le personnage de Tess. J’ai fait 30 ou 40 castings pour qu’on puisse la trouver.
Mais moi, ça me changeait les idées, je découvrais Paris… Tout ça, ça se passait à Châtelet, donc c’était cool.
Comme tu t’es dirigé vers le cinéma complètement par hasard, quelles étaient tes influences ?
En soi, l’influence que j’ai, c’est le plaisir. À l’école, je n’ai jamais eu de bons résultats, ça ne s’est jamais vraiment bien passé. Je n’ai jamais eu de casier, ni foutu le bordel dehors, mais à l’école je ne tenais pas en place. Je n’étais juste pas intéressé… Et il faut dire que le système éducatif en France n’est pas très élaboré… Ce n’est pas stimulant pour tout le monde.
Et ce qui est ouf, c’est que je ne lisais jamais, mais dès que j’ai reçu des scénarios, je m’y suis mis à fond.
Comment tu bosses tes rôles, justement ?
J’apprends beaucoup à l’écrit. Je réécris et j’apprends ensuite phrase par phrase. Mais en vrai, je préfère avoir un partenaire et faire la scène, la refaire, encore, encore, encore… Par contre, j’essaye de jouer sans beaucoup d’intentions pour laisser ensuite le réalisateur me diriger. Il faut éviter d’être déjà dans des intentions, en arrivant sur le plateau.
Tu prends des cours de théâtre ?
Non, cette année j’y pensais, mais j’ai beaucoup tourné. Je pense que je vais y aller, au moins pour bien articuler, gérer ma voix et mieux respirer, comme je suis hyperactif.
C’est vrai qu’après ton César, tu as dû recevoir beaucoup de propositions.
Une semaine avant les César, tout le monde me disait que je l’aurais. Pendant un mois, je me suis dit que ce serait effectivement bien stylé, mais une semaine avant la cérémonie je me suis convaincu que je ne l’aurais pas, pour ne pas être déçu.
Maintenant, je suis hyper content de l’avoir mais, en même temps, j’ai très peur car ça place la barre tellement haut ! J’aurais peut-être préféré l’avoir un peu plus tard car je n’ai pas assez travaillé. Je ne me suis pas encore assez montré. Prends Belmondo, par exemple : à quel âge il a eu son César ? Bien après tous ses rôles de Bébel : il l’a eu, une fois qu’il a repris le théâtre et surtout bien après un rôle qui l’a fait exploser.
Il faut que je fasse mes preuves. Il faut aussi que je regarde beaucoup de films de François Truffaut, de grands réalisateurs. Je suis hyper honoré mais j’ai trop la pression. Mais tu sais, je vais tout donner, je lâcherai pas.
Je me souviens bien du jour où tu l’as reçu, c’était très émouvant…
Bah… [silence.] J’étais pas très très bien sur scène. À la fin, quand ils m’appellent, je me baisse et tout [rires]. Je ne voulais pas me lever. J’avais juste préparé un petit mot de remerciement au cas. J’étais content, mais il y avait trop d’émotions sur scène. Je n’arrivais presque plus à gérer.
Mais en vrai, un César, ça ne veut rien dire. Certains ont eu cette récompense, mais n’ont plus rien fait après. Les gens m’ont bien identifié. Mais il faut aussi faire attention aux choix que tu fais. J’ai peur et je me pose toujours des questions :
“Est-ce que la barre est toujours aussi haute que La Tête haute ? Est-ce que ce sera aussi intense ? Est-ce que ce sera aussi bien joué qu’on me l’a dit ?”
“Nous sommes les dernières personnes qui vont pouvoir faire réagir ce monde”
Où veux-tu aller maintenant ?
Je veux aller vers des rôles sincères, des rôles réalistes, de films d’auteur. Il faut que ça me touche, que ça parle à tout le monde. Par exemple, on m’a proposé le rôle d’un jeune Français qui part faire le djihad… Je ne dis pas que ça ne m’intéresse pas, mais ce sont des sujets dans lesquels je ne m’aventurerai pas. Du moins, pas maintenant.
Pourquoi ?
Je suis trop jeune. Je ne me sens pas vraiment légitime pour répondre à des questions politiques et sociales. Et quand tu es dans un film, il faut le défendre. Je ne suis pas assez grand pour accuser le coup. Je prends mon temps et je fais attention.
C’est comme si l’on me proposait le rôle d’un homo, je ne sais pas si aujourd’hui, j’en aurais le courage. Peut-être… Même si parfois, certains scénarios vont m’influencer, je veux rester dans le “film d’auteur sensible”.
J’adore les films qui parlent. En travaillant dans le cinéma, le théâtre, la musique, nous sommes les dernières personnes qui vont pouvoir faire réagir ce monde.
En fait, pour toi, un bon film ça doit t’apprendre quelque chose ?
Ouais, un bon film, ça va changer ma perception de vue en général, ma perception de vie. Parfois, je ne suis évidemment pas d’accord mais j’aime bien recevoir une leçon. Par exemple, Dheepan, que j’ai vu au festival de Cabourg : j’ai adoré ! J’étais bluffé. Tu vois, c’est un film qui touche, un film actuel, même avec la part de fiction qu’il peut y avoir, il garde un aspect documentaire, comme La Tête haute.
Justement, ton personnage dans La Tête haute, à quel point il te ressemble ?
La seule et grosse transformation que j’ai eue, c’était la violence. C’était dur, d’être violent. D’être tout le temps arrogant…
Comment as-tu fait pour trouver cette part de violence ?
Bah, je me suis fait insulter, quoi. Avec Emmanuelle on s’est battus. Pas physiquement, mais verbalement. On a passé du bon temps mais bon, des fois, il fallait que ça pleure.
Après, je pense que c’est bien. C’est une réalisatrice qui est très, très forte. Il y a d’autres techniques, hein. Chacun a les siennes. Mais tant que l’acteur n’est pas blessé, que tu ne rentres pas dans l’intimité totale de ton acteur, ça va. C’est bien pour faire sortir des choses qu’on n’est pas capable de sortir soi-même.
J’ai vu que tu avais posé pour Dior dernièrement : ça t’intéresse, la mode ?
Au-delà du cinéma, j’adore la mode, la sape. Les marques qui se démarquent et qui font des choses décalées. En ce moment, je suis vachement dans les années 1980, je ressors les joggings à l’ancienne. J’aime beaucoup aussi les sapes asiatiques.
J’aime pas la mode avec ses défilés et ses mannequins, mais je trouve que c’est presque un art. Ça définit des personnes. : chaque jour tu peux t’habiller autrement, ça définit ton humeur.
Tu sais pourquoi Dior s’est intéressé à toi ?
Non, on m’a juste contacté et parlé d’une collaboration. D’ailleurs, juste avant, j’avais refusé une autre marque et je pense que j’ai bien fait : Dior est très prestigieux et je connais leur travail depuis toujours.
Tu comptes garder un pied dans la mode ?
Franchement, j’en sais rien. Je pense que c’est bien d’être là, sans trop en faire car je ne suis pas un mannequin, juste un acteur. J’aime bien poser pour des marques mais ça restera avant tout un passe-temps. Ce n’est pas ce que je veux faire.
As-tu des talents cachés et d’autres passions ?
Bah, je sais construire des meubles. Je suis drôle, hyperactif… Tout ça, j’espère que c’est du talent.
Ma passion, c’est vivre, découvrir, faire la fête, apprendre. Avant, je faisais de la boxe, j’ai dû arrêter mais je voulais faire de la compétition… Je me consacre désormais aux sports d’hiver, à la natation. Je kiffe le sport. Quand je suis en vacances, je fais aussi du ping-pong, du billard. Je ne suis vraiment pas du genre à zoner avec ma PS4.
Bon, dans quoi on va te voir maintenant ?
Prochainement, il va y avoir un épisode du Capitaine Marleau sur France 3. L’année prochaine, je serai dans le film d’Elsa Diringer, Luna. C’est un premier long et j’ai l’un des rôles principaux avec la très talentueuse Laëtitia Clément, qui a un peu la même histoire que moi (elle a aussi été recrutée dans un lycée). Mon rôle, c’est celui d’un petit jeune passionné de graff, d’art.
Et ensuite, je serai dans le film de Mathias Pardo, qui s’appelle pour le moment L’Échappée. C’est un film avec Nekfeu, Karidja Touré, Joséphine Japy… Je pense que ça va être un bon film. Moi, je joue un pêcheur, un marin. Un petit jeune un peu détaché qui est dans son taf et dans sa vie, qui ne se prend pas trop la tête avec les autres.
Après, il y a aussi une grosse série EuropaCorp Télévision et France 3 dans laquelle j’ai le rôle principal. Il y aura six épisodes de cinquante minutes réalisés par Alain Tasma et Nicolas Mathieu. Il y aura Roschdy Zem, Lola Le Lann…
J’ai aussi fait un court-métrage qui s’appelle Chien bleu.
Gros retour, donc.
J’ai vraiment tourné beaucoup de trucs, je suis content.
Une série qu’on a faite en pensant bien fort à Polo <3
Crédits :
- Autrice du projet et journaliste : Lucille Bion
- Direction artistique : Arthur King, Benjamin Marius Petit, Terence Mili
- Photos : Benjamin Marius Petit et Jordan Beline (aka Jordif le roi du gif)
- La Team vidéo : Adrian Platon, Simon Meheust, Maxime Touitou, Mike “le Châtaigner” Germain, Félix Lenoir, Mathias Holst, Paul Cattelat
- Son : Manuel Lormel et Axel Renault
- Remerciements : aux brillants actrices et acteurs qui ont participé, à Rachid et la team Konbini, aux SR, à Benjamin Dubos, Raphaël Choyé et Anis Aaram, les agents et attachés de presse : Matthieu Derrien, Karolyne Leibovici, Marine Dupont, Pierre Humbertclaude, Nina Veyrier.