Le 14 janvier dernier, Netflix annonçait devenir mécène de la Cinémathèque française en soutenant la reconstruction d’un film de patrimoine : Napoléon d’Abel Gance, avec Albert Dieudonné et Antonin Artaud. Un soutien annoncé comme inédit dans un communiqué commun.
Par cette restauration, Netflix s’attaque à un monument de l’histoire du cinéma, projeté pour la première fois en 1927. Ce film muet de plus de sept heures compte de nombreuses innovations visuelles pour l’époque et a fait l’objet de plusieurs restaurations. “Au total, 22 versions du film ont été identifiées. Notre ambition est de reconstituer la version la plus aboutie et la plus proche de l’œuvre originale de 1927“, a déclaré Frédéric Bonnaud, le directeur général de la Cinémathèque.
Alors que le cinéma mondial est à bout de souffle et les salles obscures à l’arrêt, un boulevard s’est donc ouvert pour Netflix, qui a annoncé 70 nouveaux longs-métrages non destinés aux salles en 2021. Voir le nom du géant du streaming accolé à celui de la prestigieuse institution, qui œuvre pour la préservation et la mise en valeur du cinéma, est donc un nouveau coup de théâtre qui a de quoi surprendre.
Mais si ce soutien est important symboliquement, autant pour Netflix que pour la Cinémathèque, il n’est pourtant pas totalement inédit et s’inscrit dans une volonté d’ancrage dans le cinéma hexagonal déjà bien amorcé.
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Avec ce nouveau partenariat, Netflix entend montrer qu’il soutient “la préservation et le rayonnement du patrimoine cinématographique français et international et [veut] en favoriser sa transmission“, selon un communiqué. La plateforme “veut”, mais surtout elle doit, puisque Netflix et consorts sont désormais obligés de contribuer la création française et européenne.
En effet, le décret SMAD, mis sur la table par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot fin 2020, impose une participation à hauteur de 20 % minimum de leur chiffre d’affaires, soit “entre 150 et 200 millions d’euros” par an pour Netflix.
L’enveloppe peut par ailleurs être en partie destinée aux films de patrimoine, comme l’a précisé Pascal Lechevallier, spécialiste de la dématérialisation et des médias et président-fondateur de What’s Hot Media, à France Info. “Il y a une disposition qui fait que les plateformes, à partir du moment où elles participeront à la restauration d’œuvres cinématographiques du patrimoine, pourront inclure ces dépenses dans leur quota de participation au financement de l’audiovisuel en France.”
On ne connaît pas le montant financier versé à la Cinémathèque dans le cadre de ce mécénat, “la Cinémathèque française s’étant engagée à une clause de confidentialité quant aux montants reçus de ses généreux mécènes et donateurs, à laquelle Netflix ne fait pas exception“, a précisé à l’AFP le directeur de la communication de l’institution Jean-Christophe Mikhaïloff.
Mais selon Libération, il manquait deux millions d’euros pour terminer la restauration de Napoléon supervisée depuis 2008 par le réalisateur et chercheur Georges Mourier et récemment reprise en main par Francis Ford Coppola, qui détient les droits monde (hors France) du film. Ce partenariat n’implique donc pas un investissement financier majeur pour le géant du streaming mais lui permet d’asseoir encore un peu plus sa légitimité cinématographique en France, où il est encore souvent perçu d’un œil suspicieux.
Ce n’est pas la première fois que Netflix met la main au portefeuille pour restaurer des œuvres majeures. En 2018, le géant du streaming injectait cinq millions de dollars pour ressusciter The Other Side of The Wind, œuvre inédite et inachevée d’Orson Welles, 45 ans après le début du projet. La plateforme avait également embauché de grands noms pour participer à cette restauration, comme Michel Legrand à la BO et Bob Murawski au montage, pour une diffusion sur sa plateforme. Si Napoléon est annoncé pour fin 2021, à l’occasion du bicentenaire de la mort de l’empereur, il n’y a à ce jour, aucun deal sur la diffusion du film sur la plateforme.
“Le début d’un partenariat fructueux”
Association loi 1901 subventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication et le CNC, la Cinémathèque française vit également grâce au mécénat. L’entreprise ou le donateur peut choisir de soutenir l’institution sur plusieurs années en devenant mécène et être ainsi associé à l’ensemble des projets de l’institution et participer à ses orientations stratégiques ou bien ami de la Cinémathèque française, en soutenant un ou plusieurs projets.
Les Grands Mécènes historiques de La Cinémathèque française sont la banque Neuflize OBC (depuis 2010), Groupama et la Fondation Gan pour le Cinéma (depuis 2010) et Vivendi (depuis 2016). Du côté des mécènes-amis, la Cinémathèque compte Neuflize OBC, Gaumont, Renault Nissan Mitsubishi et Warner Bros.
Début 2020, les studios hollywoodiens signaient un partenariat de deux ans avec l’institution et l’ont soutenue sur diverses grandes expositions et rétrospectives en l’accompagnant grâce à des versions restaurées des films de leur catalogue, comme Casablanca, Le Faucon maltais et Le Trésor de la Sierra Madre. Netflix, devenu le plus prolifique des studios du cinéma, n’est donc pas le premier à avoir jeté son dévolu sur la prestigieuse institution française.
De son côté, Netflix s’est associé pour deux ans auprès de l’institution et outre le projet de restauration de Napoléon, Netflix s’est également engagé à organiser des projections, conférences et masterclass. “Nous sommes convaincus que ce projet d’ampleur est le début d’un partenariat fructueux avec Netflix“, s’est réjoui Frédéric Bonnaud.
Netflix et l’ambition française
Mais ce partenariat public-privé entre Netflix et la Cinémathèque avait déjà été amorcé il y a quelques années. Martin Scorsese, très attaché à la Cinémathèque, “notre demeure spirituelle” selon ses mots, y avait présenté en avant-première The Irishman. Le même sort avait été réservé cet automne à Mank de David Fincher, sur le scénariste de Citizen Kane d’Orson Welles, Herman J. Mankiewicz. Le temple de la cinéphilie avait par ailleurs organisé une masterclass du réalisateur Damien Chazelle autour de sa série The Eddy, en présence de ses coréalisateurs Houda Benyamina et Alan Poul, ainsi que la coréalisatrice Laïla Marrakchi.
Le géant du streaming s’ancre donc chaque jour un peu plus dans le paysage cinématographique hexagonal. Pour rappel, la plateforme avait signé, lors du premier confinement, un partenariat avec MK2 pour diffuser un vaste catalogue de films d’auteur français, dont François Truffaut, Jacques Demy ou Alain Resnais.
Il a également noué un partenariat avec l’école Kourtrajmé et investit, de façon plus confidentielle, dans des bourses d’études, des interventions pédagogiques ou l’achat de matériel pour la Fémis, l’école des Gobelins ou la Sorbonne. Et le succès de la série française Lupin avec Omar Sy à l’international, qui s’impose numéro 1 aux États-Unis, devrait certainement renforcer l’ambition française de Netflix, qui a ouvert ses bureaux parisiens en janvier 2020.