Depuis le mois de mai, la gigantesque exposition consacrée à Napoléon bat son plein et fascine des spectateurs toujours plus nombreux. Fruit d’une coopération inédite entre La Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN), La Villette et Re / Adonis, elle propulse le public, à l’aide d’une scénographie exceptionnelle, sur les traces d’une figure hors norme et dans l’une des périodes les plus foisonnantes de l’histoire de France.
À voir aussi sur Konbini
Si elle s’applique à méticuleusement retracer les moments-clés de l’ascension puis de la chute de l’Empereur, l’exposition ne se limite pas à un développement historique et chronologique des faits. Avec une modernité passionnante, elle propose également des thématiques transversales qui permettent de faire un pas de côté pour s’intéresser à des aspects moins connus du règne de Napoléon ou à des sujets plus pop qui résonnent avec l’actualité.
Grâce aux nombreuses œuvres exposées, l’occasion nous est donnée de découvrir une nouvelle facette de Napoléon Bonaparte. Inventeur de la communication politique moderne et redoutable maître de son image, il aurait été parfaitement à son aise dans nos sociétés modernes, régie par les apparences et les réseaux sociaux
L’art ne sera jamais pour lui, obsédé par sa postérité, une question d’esthétique mais plutôt un redoutable outil politique destiné à asseoir son influence et son pouvoir. Dès ses premières campagnes militaires, il s’entoure d’artistes qui sont chargés de le représenter au combat et de raconter au plus grand nombre une certaine vérité des faits, sa vérité. Redoutable manipulateur, il se sert de leur pinceau pour se glorifier et “photoshoper” la moindre déconvenue ou le moindre symbole qui nuirait à son image, sans se soucier de la grossièreté du trait.
Toujours mettre en scène ses plus beaux succès
C’est pendant la campagne d’Italie que le futur empereur démontre pour la première fois sa redoutable habileté pour manipuler les images. Alors que l’Armée française remporte une victoire éclatante à la bataille du pont d’Arcole en 1796, Bonaparte, qui s’est lié d’amitié avec le peintre Antoine-Jean Gros, lui commande un tableau représentant ce triomphe, mais avec une petite idée derrière la tête.
Le résultat est aussi bluffant qu’hilarant et rappelle les meilleurs plans de Michael Bay. Drapeau tricolore dans la main gauche, sabre dans la main droite, Bonaparte mène ses troupes dans la fumée du combat et regarde en arrière comme s’il incitait ses soldats à le suivre vers la victoire. Une représentation flamboyante en chef de guerre triomphant qui fait son petit effet.
Seul bémol, le succès de la bataille d’Arcole n’est pas dû Bonaparte mais à Augereau, un de ses généraux. Pire, l’histoire raconte qu’au moment de traverser le pont, Bonaparte a trébuché et s’est retrouvé tête la première dans la boue. Plus c’est gros, plus ça passe. Pour faire oublier l’incident et s’attribuer les lauriers d’un autre, Bonaparte diffuse partout cette réécriture totale de l’histoire. Une réussite militaire qui jouera un rôle important dans son ascension politique au sein d’une République encore hésitante.
Ne pas hésiter à embellir la vérité
Un bon influenceur, c’est aussi celui qui sait piocher ailleurs les représentations de lui les plus glorieuses. En 1800, lors de la seconde campagne d’Italie, le Premier consul Bonaparte est contraint de traverser les Alpes pour secourir une partie de l’Armée française en déroute face à l’Autriche. Une manœuvre militaire risquée et ingénieuse, qui permettra encore un succès impressionnant. Pour honorer ce coup de maître, Charles IV, roi d’Espagne, grand amoureux de Napoléon et surtout grand flatteur, commande à Jacques-Louis David, peintre attitré de Napoléon, un tableau grandiose représentant le Premier consul franchissant le col du Grand-Saint-Bernard.
Il en résulte un tableau majestueux où Bonaparte franchit les Alpes sur un cheval hennissant et en pointant du doigt la route à suivre. Considérablement rajeuni, bien plus grand, vêtu de ses habits d’apparat, il est le conquérant, celui qui marche sur les traces d’Hannibal et de Charlemagne, dont les noms sont inscrits à ses pieds.
Mais la vérité est bien moins reluisante. Dans des conditions climatiques difficiles, pour faciliter le voyage et ne pas prendre de risques, Bonaparte fera le long voyage à travers les Alpes à dos de mulet.
Une représentation fidèle de la réalité, peinte par Paul Delaroche, existe bel et bien, mais le travail de propagande et de diffusion effectué par Bonaparte l’a presque totalement fait oublier. En effet, au moment où le Premier consul découvre le tableau de Jacques-Louis David, il en voit immédiatement le potentiel et décide d’en faire de nombreuses copies qui deviendront partout son nouveau portrait officiel. L’image du Premier consul et de son cheval hennissant au sommet des Alpes sera même la première pierre d’une campagne visant à installer Bonaparte comme le futur empereur Napoléon Ier.
Mettre le paquet pour les grandes occasions
Mais le chef-d’œuvre de Napoléon l’influenceur est sans l’ombre d’un doute la représentation de son sacre. Comme tout grand instagrameur qui se respecte, il ne lésine pas sur le budget et célèbre en grande pompe les étapes importantes de sa vie. Surtout, il ne recule devant rien pour afficher au monde entier sa réussite.
Si la cérémonie, qui a lieu à la cathédrale Notre-Dame de Paris le 2 décembre 1804, est planifiée à la minute près, sa représentation par les artistes officiels du régime est elle aussi orchestrée et chorégraphiée à l’avance. Tous doivent obéir à un imposant cahier des charges. Un travail titanesque pour atteindre la perfection. Le peintre officiel de l’événement, Jacques-Louis David, mettra près de quatre ans à finaliser le tableau. Et pour cause, tout, jusqu’à l’assemblée qui assiste au sacre, est codifié. La place de chacun des membres de la famille, les différentes délégations, les ornements sur les murs…
Mais Napoléon ne s’arrête pas là. Le tableau est truffé de détails et de rajouts qui ont tous une utilité politique. Comme à l’accoutumée, il est considérablement rajeuni, aminci et grandi. Tout comme sa femme Joséphine, qui semble avoir 20 ans alors qu’elle vient d’en avoir 40 ans. C’est d’ailleurs elle que Napoléon couronne sur le tableau. Une réécriture pour faire oublier la pulsion despotique de l’empereur au moment des faits, qui s’est empressé de se couronner lui-même. Quant à la mère de l’empereur, elle figure en bonne place dans l’assistance alors qu’elle n’était même pas présente ce jour-là. Tout comme l’illustre Jules César d’ailleurs. Il est bon de savoir s’entourer des grands de ce monde…
Sans aucune retenue ni gêne, Napoléon raconte lui-même son histoire, il magnifie tout, truffe sa représentation de symboles. C’est le début d’un culte de l’ego qui s’intensifiera tout au long du règne de l’empereur et que l’exposition à la Grande Halle de La Villette retrace dans les moindres détails. Un culte du moi que Napoléon partage avec bien des influenceurs d’aujourd’hui.
L’exposition “Napoléon” est à découvrir jusqu’au 19 décembre 2021 à la Grande Halle de La Villette