Naar,  le collectif d’artistes marocains qui veut briser les frontières

Naar, le collectif d’artistes marocains qui veut briser les frontières

La scène rap marocaine a le vent en poupe.

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À l’ère du numérique, les distances se réduisent et les continents se rapprochent. Mais cela n’empêche pas la mode, la musique, le cinéma et d’autres courants artistiques de s’inspirer librement des autres cultures. Cette appropriation culturelle – le fait d’emprunter voire d’exploiter un élément d’une autre culture sans contrepartie – suscite aujourd’hui beaucoup de polémiques. Comme lorsque le rappeur Skepta a plagié les photos d’Ilyes Griyeb pour sa marque de vêtements.

Le scandale qui s’est ensuivi, suite à la publication d’une tribune sur la manière dont la pop culture se sert au sein de l’esthétique arabe, sans créditer les artistes qui en sont à l’origine, a obligé le rappeur Skepta à supprimer les photos plagiées. Pour éviter un bis repetita, Mohamed Sqalli, directeur créatif et le photographe Ilyes Griyeb ont lancé le collectif Naar (Feu en français). Son objectif est robuste : produire et promouvoir des artistes de la nouvelle scène maghrébine en leur créant un pont avec la culture occidentale. Rien que ça.

Touche pas à mon art

Dans un Maroc où la scène trap n’a jamais été aussi bouillonnante, le collectif Naar veut faire bouger les choses et mettre fin à l’appropriation culturelle. Et comme il est toujours bon de tordre le cou aux clichés, la structure essaie autant que faire se peut d’apporter une autre vision du Maghreb. “L’idée est de faire en sorte que les artistes nord-africains soient maîtres de leur art et de leur histoire”, précise Mohamed Sqalli, le cofondateur du collectif.

Pour ce faire, Naar a décidé de sortir tout simplement un album baptisé Safar (Voyage en français). Un titre qui sonne déjà comme une belle invitation à briser les frontières. Prévu pour février 2019, ce projet de 12 titres va regrouper essentiellement des collaborations entre artistes maghrébins et Européens. Un exemple ? Il y en a déjà deux sur YouTube où ils accumulent des millions de vues.

Le premier extrait, “Money Call” de Shobee (la moitié du groupe marocain Shayfeen) en featuring avec l’artiste casablancais Madd et le toulousain Laylow, nous offre un pur moment de trap et un visuel léché. De quoi taper dans l’œil de Barclay/Def Jam qui n’a pas hésité à signer le collectif d’artistes marocains.

Dans la foulée de cette signature, Naar (contraction de Narrate et Reclaim) a balancé le morceau “Caviar” du rappeur Issam. Ce deuxième extrait de Safar nous propose la fraîcheur d’une trap mélancolique et un clip des plus réussis. Et pour la petite histoire, ce morceau a été produit par King Doudou à qui l’on doit notamment les prods de “Oh Lala” et “Dans ta rue du groupe PNL.

Mieux, le rappeur originaire du quartier populaire Derb Sultan à Casablanca a suscité l’intérêt du magazine américain The Fader qui l’a interviewé : “On veut que cet album permette aux rappeurs – présents sur le disque – d’arriver un peu par effraction en Europe”. Dans une moindre mesure, la multiplication récente de collaborations maroco-françaises aura au moins eu le mérite de montrer l’existence de la scène marocaine (Toto feat. AM La Scampia, Lartiste feat. 7liwa, Lacrim feat. Madd & Shayfeen…).

Entre bonnes intentions et réalité du terrain

Les intentions de Naar sont louables. Mais dans un contexte de crise du régime migratoire européen, la réalité est tout autre. La volonté d’internationalisation de la scène marocaine bute sur plusieurs obstacles. Et le plus grand d’entre eux se trouve au niveau des institutions consulaires. Aujourd’hui, l’obtention d’un visa Schengen, pour des artistes, ressemble à un véritable parcours kafkaïen. Certes, la mobilité n’a jamais été simple pour les ressortissants des pays du Sud. Mais elle est particulièrement compliquée pour les personnes résidants au Maghreb et au Moyen-Orient, en raison de la politique sécuritaire globale.

Les démarches ne cessent de se compliquer avec notamment, le durcissement des procédures d’obtention du fameux sésame mais aussi, le recours de plusieurs pays de l’Union Européenne à des sociétés privées pour assurer le suivi des dossiers de demandes de visas. Il reste donc très difficile pour les jeunes talents de faire reconnaître leur statut d’artiste au Maroc et au sein d’autres pays également. Résultat, alors que le rappeur Issam était supposé jouer à Paris lors d’une soirée organisée par Naar et l’Institut du Monde Arabe, son visa a été refusé par le Consulat de France à Casablanca. Et aucune explication n’a été fournie.

Une situation ubuesque, par le côté arbitraire des refus de visa pour des artistes invités en France ou ailleurs. “Et c’est précisément le type de problème pour lequel on se bat avec le collectif. On s’attendait à ce qu’il y ait des soucis de visa puisque c’est récurrent avec les artistes marocains. Mais au lieu de se plaindre, notre réponse a été la sortie du morceau Caviar”, renchérit Mohamed Sqalli.

Maintenant que les jalons sont posés, seule la musique peut protéger les ponts qui existent entre les deux rives de la Méditerranée. Contre vents et marées.