Cinq ans après le très remarqué The Guilty (2019), thriller en temps réel dans une centrale d’appel de police, Gustav Möller revient avec Sons, un thriller carcéral porté par la formidable Sidse Babett Knudsen (Borgen, Westworld…), qui sort en salles le 12 juillet.
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Eva, gardienne de prison, découvre que Mikkel, un jeune homme lié à son passé, est transféré dans son établissement pénitentiaire. Elle demande alors sa mutation pour être transférée dans l’unité de ce jeune homme, unité où sont incarcérés les détenus les plus violents et les plus dangereux. Commence alors un jeu de tension psychologique opposant la gardienne et le détenu.
Huis clos et dilemmes moraux
Pour son deuxième long-métrage, Gustav Möller choisit une nouvelle fois un dispositif en huis clos. On délaisse les bureaux aseptisés de Police Secours pour une prison danoise violente et anxiogène, mais avec toujours une forme d’unité de lieu qui permet au réalisateur d’exploiter jusqu’au bout son concept : “J’aime quand les films donnent un sentiment de réalité tangible, concrète. On entre comme dans un bâtiment : on découvre son architecture, ses règles, ses lois, son identité visuelle. Et on se fait une idée très claire de l’espace”, explique-t-il.
La prison du film fonctionne selon ce principe et son architecture accompagne le parcours du personnage de Sidse Babett Knudsen. L’histoire commence dans une unité plutôt calme, où Eva accompagne les prisonniers avec beaucoup d’écoute et de bienveillance. Mais lorsqu’arrive Mikkel, elle descend dans les entrailles de la prison pour intégrer l’unité des détenus jugés dangereux. Cette dimension physique, géographique, suit la descente du personnage dans ses propres tréfonds moraux.
Au-delà de l’aspect purement cinématographique de l’arène carcérale, Möller avait envie d’explorer le sujet de la justice pénitentiaire. “Nous avons ces institutions qui incarnent un conflit entre punition et réhabilitation. Leur objectif même est contradictoire. Comment punir et réhabiliter en même temps ? D’un côté, une peine excessive empêche la réhabilitation. Mais une absence de peine nourrit un sentiment d’injustice. C’est un équilibre impossible, et c’est ce qui le rend intéressant à explorer dans un film”, a-t-il commenté.
Eva, gardienne, victime et bourreau
“J’avais envie de travailler avec Gustav après avoir vu The Guilty. Il m’a rappelé avec ce projet — un film de prison, pour lequel il avait enfin trouvé le bon angle — le personnage d’Eva”, raconte Sidse Babett Knudsen. La grande force de Sons réside en effet dans sa protagoniste, Eva. Tout au long du film, elle déploie à la fois une humanité et une brutalité qui prennent le spectateur au dépourvu. Sans dévoiler le secret qu’elle porte jusqu’à la dernière séquence, Eva commet des actes qui questionnent le spectateur dans sa propre moralité.
“C’est un personnage qui intériorise tout”, indique Sidse Babett Knudsen. “Toute la violence autour d’elle, en elle, toute sa culpabilité.” La performance est d’autant plus impressionnante qu’elle passe essentiellement par l’action, avec un minimum de dialogues. “Gustav est très attentif aux détails et aux gestes. Sa manière de répondre au téléphone, de manger des chips, de marcher”, raconte-t-elle, tout en confiant que le réalisateur avait “coupé beaucoup de scènes dialoguées”, pour resserrer le film le plus possible.
“Elle représente intimement ce conflit moral plus large. D’un côté, elle veut aider les prisonniers et de l’autre, elle commet des actes horribles envers Mikkel”, explique Gustav Möller, qui a orienté toute l’écriture du film autour d’elle. “Gustav me l’a présenté comme l’histoire d’un personnage qui se met en prison volontairement, qui s’enferme de son plein gré”, confirme Sidse Babett Knudsen, dont l’interprétation donne à voir toutes les contradictions intimes d’Eva.
“Sa culpabilité a presque complètement enterré son humanité. Mais son métier la confronte à des personnes qui sont réellement coupables, qui ont vraiment commis des crimes, et elle essaie de les aider. Et un à moment, ça éclate : tout ce qu’elle a intériorisé ressort de manière viscérale.”
Ces contradictions intimes poussent Eva dans des retranchements qui la feront basculer dans une forme de violence et de sadisme envers Mikkel, abusant de son pouvoir et installant un rapport de domination allant presque jusqu’à la torture psychologique. “C’était un défi car je ne pouvais pas rationnellement comprendre ce personnage. J’ai fait totalement confiance à Gustav”, raconte-t-elle. L’unité du lieu du tournage a permis à Gustav Möller de tourner la majorité des scènes en ordre chronologique, ce qui a facilité le travail d’incarnation et de contextualisation.
Mother and sons
La relation mère-fils est, comme peut l’indiquer le titre du film, au cœur de l’histoire. Car à travers la relation de domination qui oppose Eva à Mikkel, c’est la culpabilité d’Eva envers lui qui est exorcisée. Mikkel l’exploite, et s’installe entre eux une relation volontairement malsaine, dans un duel dont personne ne peut sortir gagnant. Mikkel va utiliser sa culpabilité pour obtenir des faveurs, notamment pour obtenir une permission de sortie afin de rendre visite à sa mère.
Cette permission est une scène clé du film, alors qu’en apparence, c’est une des moins spectaculaires — un simple dialogue autour d’une table entre trois personnages. À ce moment-là, la caméra se calme, le cadre se pose, et la scène se déroule presque en un seul plan fixe. Toute la tension est contenue dans leur face-à-face. C’est un choix que Gustav Möller explique par une volonté de prendre un contre-pied dramaturgique :
“On s’attend toujours à ce que le dernier tiers d’un film monte en intensité, donc on se dit qu’on doit pousser tous les curseurs. Et si le moment le plus violent, le plus intense du film, c’était trois personnes qui parlent autour d’un petit déjeuner ?”
Avec Sons, Gustav Möller signe un deuxième film efficace, moralement trouble et d’une grande maîtrise formelle, porté par une performance d’une formidable intensité de Sidse Babett Knudsen.