Dans un paysage musical qui prend des allures de compétition sportive tant les records de productivité et d’écoute ne cessent d’exploser, Dinos détone. Depuis la sortie en 2014 du prometteur Apparences, le rappeur de la Courneuve s’est fait discret. Aujourd’hui, après trois ans de travail, Dinos nous présente son premier album, Imany. À cette occasion, nous l’avons rencontré pour parler de son évolution et de son retour dans la course.
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Biberonné au rap français et influencé par les goûts de son grand frère, Dinos, le natif de la Courneuve, comprend assez rapidement qu’une place l’attend dans le paysage musical. C’est avec les gars de chez lui et du 93 qu’il commence à se former avant d’étendre son cercle d’influence et de se faire connaître des initiés en 2012, en brillant lors des Rap Contenders, ces battles de punchlines a cappella qui ont explosé en même temps que YouTube.
À cette époque, il ne se nomme pas Dinos mais Dinos Punchlinovic, un patronyme dont le radical laisse peu de doute sur la capacité de l’artiste à manier les mots. Si Dinos n’a pas attendu les Rap Contenders pour rapper, cette expérience lui permet d’attirer les regards des maisons de disques à l’époque des prémices du “second âge d’or” du rap français.
Après la sortie de projets comme Thumbs Up et L’Alchimiste, le rappeur signe chez Def Jam France. Il y sort le projet Apparences, qui contient ses premiers “tubes”, “Namek” par exemple, qui culmine désormais à 5 millions de vues sur YouTube, ou encore “Quelqu’un de bien”. Des sons qui esquissent déjà les contours de ce qui fait l’identité musicale de Dinos : un rap nonchalant et mélodieux, des textes pleins de références et une capacité à passer de l’egotrip à des réflexions plus introspectives et conscientes.
Dans la foulée de ces résultats réjouissants, l’artiste annonce la sortie de son premier album, Imany, qui tarde à voir le jour. Tant et si bien qu’en 2016, tout lien rompu avec le label, il sort la mixtape Toujours pas Imany mais presque pour faire patienter son public.
Tout vient à point à qui sait attendre
Trois ans plus tard, Imany, son premier album, est prêt, tout comme Dinos, désormais dans les starting-blocks pour concourir avec les champions qui enchaînent les disques d’or. Il doit cependant passer l’étape des interviews et de la question à laquelle il semble condamné.
“Pourquoi tout ce temps ?” Deux réponses sont évoquées. De manière pragmatique, Dinos explique les problèmes avec les maisons de disques, mais aussi et surtout le besoin de temps, celui qui manque aujourd’hui et qu’il a souhaité prendre, à contre-courant de la tendance.
“En trois ans, j’ai eu le temps d’essayer beaucoup de choses, d’expérimenter plein de trucs, de me connaître mieux que je ne me connaissais avant. J’ai évolué musicalement, notamment en termes de mélodies car j’ai eu du temps pour m’entraîner. Toutes les expériences que j’ai eues, comme être passé chez Def Jam, ça reste des choses enrichissantes dans ma vie d’artiste. Mes succès comme mes galères, j’ai réussi à les transformer en force.”
Le temps, meilleur coach que les Rap Contenders ? Il faut dire que trois ans sans sortie d’album n’est pas synonyme de non-productivité. “Même si je ne sortais rien, je faisais de la musique quasiment tous les jours”, explique-t-il. Après plusieurs années passées à écrire, enregistrer, filtrer, trier et recommencer, Dinos est capable aujourd’hui de cerner ses désirs musicaux et de maîtriser leur exécution.
Lors de notre rencontre, nous lui avons demandé d’enchaîner un freestyle. Le préparant pendant la séance photo, il finira par le plier en deux prises. Une facilité d’exécution déconcertante qui peut s’expliquer par la quête d’amélioration qui motive le rappeur au quotidien.
En ce sens, Imany matérialise l’objectif principal de Dinos, devenir “quelqu’un de mieux”, comme il l’exprime dans le morceau du même nom, suite améliorée de “Quelqu’un de bien“, sorti trois ans auparavant. Si “imany” veut dire “la foi” en swahili, pour Dinos, “être imany” signifie “être quelqu’un de bien” : “C’est une expression qu’on utilise souvent avec mes amis : ‘Être imany.’ C’est être une bonne personne, faire le bien autour de soi.”
“Entre la date à laquelle j’ai annoncé l’album et aujourd’hui, j’ai évolué. Je voulais être une meilleure version de moi. C’est mon but dans la vie. En me réveillant le matin et à chaque fois que je suis fucked up, je me dis que je dois être quelqu’un de mieux. Et si je le suis en tant qu’être humain, je le suis forcément en tant que rappeur.”
“Le quartier mais pas la rue”
Cette volonté d’être une meilleure personne se répercute alors sur son rap. Rien qu’à écouter le premier single de l’album, “Flashé”, on comprend que Dinos a évolué musicalement. Le rappeur de la Courneuve s’est délesté d’un trop-plein de technique un peu encombrant que pouvaient comporter ses précédents morceaux.
Davantage de cœur et moins de prises de tête, le jeune homme délaisse d’ailleurs son surnom de Dinos Punchlinovic pour le plus sobre Dinos. Plus simple et plus facile à retenir, à l’image de sa musique. Il explique d’ailleurs, à propos du titre :
“Je voulais écrire un morceau facile à retenir, à apprendre par cœur. Le flow se répète et je reprends aussi ‘Une souris verte’ pour que le public puisse retenir le son facilement. Je voulais écrire une chanson facile à retenir, pour que l’on comprenne l’émotion.”
Être le meilleur, donner le meilleur et laisser voir le meilleur, notamment de son quartier. Dinos a grandi à la Courneuve, une ville qu’on connaît tous pour son paysage urbain marqué par la cité des 4 000, en cours de démolition, que le rappeur, à la manière de Flynt avant lui, a souhaité éclairer (“J’éclaire ma ville”) à travers ses clips. “Flashé”, vu plus d’un million de fois, nous montre ainsi le quartier sous un autre jour, comme une œuvre d’art.
“L’idée, c’était de mettre en valeur le quartier mais sous un autre aspect. On voulait transformer la cité en œuvre d’art, donc faire des tableaux. Chaque scène correspondait à un tableau, on voulait montrer la cité sous cette lumière.”
“Être dans l’époque sans être dans la tendance”
Avec Imany, Dinos souhaite “être dans l’époque sans être dans la tendance”. Pour y arriver, le rappeur a choisi de teinter cet album de 17 morceaux d’une ambiance globale planante, qui sied à son flow nonchalant et mélodieux, en faisait appel à BPP, beatmaker travaillant avec les plus grands noms du rap francophone actuel comme PNL (notamment sur les titres “Naha” et “Onizuka”), Damso ou encore Vald.
Ne pas être dans la tendance est un challenge difficile car les rappeurs qui s’engouffrent sur ce créneau sont nombreux. Pour conserver son identité, Dinos a choisi de garder ses collaborateurs les plus proches, parmi lesquels Richie Beats, qui a produit le son “Flashé” et avec qui il avait déjà collaboré sur ses précédents projets. Il y a aussi DJ Twenty9, présent sur une grande partie du projet. Des personnalités de son entourage qui permettent à Dinos de ne pas s’égarer et de développer ses différentes facettes.
“Je voulais juste que cet album me ressemble, c’est tout”, explique-t-il. Ainsi, si le rap qu’il a saigné durant sa jeunesse est plus que présent sur Imany, qui regorge de références à ce sujet, il fait cohabiter de nombreuses autres influences qui ont marqué sa vie. Parmi elles, le R’n’B, la chanson mais aussi la salsa à l’image du morceau “Rue sans nom”, réalisé en hommage à son père, qui souligne la large culture musicale du rappeur.
“Je surconsomme la musique depuis petit. Je pense que c’est l’influence de ma famille qui écoutait beaucoup de musique. Mon frère écoutait du rap, mon père énormément de musiques africaines, c’est-à-dire de la rumba congolaise avec Papa Wemba mais aussi beaucoup de salsa avec Celia Cruz… Quant à ma tante, elle écoutait Sade, Destiny Childs, Whitney Houston ou encore Faith Evans.”
“Mon écriture est étroitement liée à ce je vis”
Délaissant la course aux punchlines, l’écriture de Dinos semble plus naturelle et digeste. Il explique : “Mon écriture est étroitement liée à ce je vis au quotidien.” Un quotidien marqué par l’ambition, notamment financière, la soif de réussite, l’amour de la musique, les succès et les échecs racontés sous formes de tacles egotripés imprimés sur des titres aux références très littéraires (“Iceberg Slim”, “Spleen”, “Les Pleurs du mal”).
Dinos livre aussi des confessions plus intimes sur son enfance (“Hivers 2004”) ou ses convictions plus politiques, notamment dans les “Pleurs du mal”, qui se termine par l’extrait d’une interview du chanteur et homme politique sénégalais Youssou N’Dour.
“Quand tu as la chance d’être écouté par plein de gens, faut savoir que tu transmets quelque chose, que ce soit positif ou négatif, et quand je pousse ‘des coups de gueule’, je ne me dis pas que je suis là pour moraliser les gens. C’est juste ce que j’ai sur le cœur ce que j’ai envie de dire, mais je ne le dis pas en disant que je vais changer les choses.”
“La foi que représente Imany va de pair avec l’amour”
“Mes objectifs sont toujours les mêmes depuis le jour ou j’ai commencé à faire de la musique : procurer des émotions, faire plaisir à ceux qui écoutent et faire de l’argent”, confie l’artiste. Côté émotions, la deuxième partie d’Imany, que Dinos appelle aussi “la partie des meufs”, se concentre sur l’amour et ses étapes : la relation, les désaccords, la rupture, la déprime puis l’acceptation, dont le point d’orgue au centre de la tracklist est sûrement le morceau “Helsinki”, écrit sous forme de message vocal. Son préféré.
“C’est mon morceau préféré car c’est le premier morceau que j’ai fait. Je l’ai enregistré en 2015 et pour moi, il n’a pas pris une ride depuis cette époque. Mon objectif était de faire des morceaux intemporels et pour moi, ‘Helsinki’ aurait pu sortir en 2015, 2016 ou 2017 et il sort en 2018. J’ai fait plusieurs versions de l’album et de toutes les versions, c’est le seul titre qui ne fait pas débat.”
L’amour est un des sentiments qui domine l’album. Dinos nous explique :
“La foi que représente Imany va de pair avec l’amour. Pour moi, ces termes sont synonymes. Quand tu fais quelque chose, tu es obligé d’y mettre de l’amour et de la foi. J’ai vécu la création de l’album comme si c’était un voyage et je me suis dit que pour arriver à destination, j’avais besoin de foi.
Dans le livre L’Alchimiste, une phrase m’a marqué : ‘L’heure la plus sombre est celle qui vient avant le lever du soleil.’ Je la trouve incroyable. Quand c’était dur pour l’album, je me disais que le soleil allait se lever dans pas longtemps. On met de la foi dans les choses qu’on aime.”
Le premier album de Dinos, Imany, est disponible depuis le 27 avril 2018. Le rappeur se produira à la Boule noire le 7 juin prochain.