MITO, rêves lucides, nouvel album : on a interviewé DPR IAN à Paris

MITO, rêves lucides, nouvel album : on a interviewé DPR IAN à Paris

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DPR IAN au Zénith de Paris, le 14 novembre 2024. © DPR

Quelques jours après avoir enflammé la scène du Zénith de Paris, DPR IAN s’est confié à Konbini lors d’une interview exclusive.

Plonger dans l’univers de DPR IAN pourrait être comparé à la chute d’Alice dans le Pays des merveilles. Un instant de curiosité, et nous voilà dans un monde extraordinaire, où musique et arts visuels fusionnent dans un tourbillon de fantaisie. L’artiste australien, de son vrai nom Christian Yu, y partage ses pensées les plus intimes, tout en explorant les profondeurs de son trouble bipolaire et de son trouble dissociatif de l’identité (TDI). Une démarche artistique vulnérable, qui illustre la santé mentale comme une véritable source de créativité.

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Il aura toutefois fallu attendre 2021, avec la sortie de son premier EP Moodswings In This Order, pour découvrir DPR IAN en tant qu’artiste solo. Six ans après avoir cofondé le collectif d’artistes DPR (Dream Perfect Regime) à Séoul, où il occupe d’abord le rôle de directeur artistique, le chanteur dévoile le premier chapitre de sa discographie. De la pop au R&B, en passant par l’electro et le rock, il construit une identité musicale unique et façonne une histoire complexe, digne du grand écran.

Quelques jours après son incroyable show au Zénith de Paris, DPR IAN a répondu à nos questions. Il nous révèle la première chanson qu’il a écrite avec MITO à l’esprit, nous décrit ses rêves lucides et se confie sur la préparation de son prochain album.

Konbini | Avant de créer sous le pseudonyme de DPR IAN, tu as endossé beaucoup de rôles différents : batteur d’un groupe de heavy metal, danseur de breakdance sur YouTube, chanteur dans un groupe de K-pop, réalisateur de clips… Qu’est-ce qui t’a poussé à raconter ta propre histoire ?

DPR IAN | Pour être honnête, je n’aime pas trop être sous les feux des projecteurs. Je me sentais bien quand j’étais en coulisses, et créer pour DPR LIVE était plus libérateur pour moi. Devenir artiste a donc été une grande décision. Je me suis demandé si le message que je voulais transmettre allait surpasser les difficultés. J’ai un trouble mental, et je savais que si je lui donnais un nom, comme MITO, je lui donnerais plus de pouvoir. Je me suis donc demandé ce que ça pourrait apporter à DPR. Si c’était juste pour moi, je ne l’aurais pas fait. En réalité, je me dissocie toujours de moi-même lorsque je suis sur scène. Je suis quelqu’un de très différent le jour d’un concert. Personnellement, je n’aime pas trop être sur scène. [rires]

C’est comme si tu endossais un personnage pour monter sur scène ?

Oui. Quand on voit DPR IAN sur scène, on est déjà dans son univers. Mais pour moi, Christian, c’est une perspective tellement différente. Si tu me demandais de danser maintenant, je ne pourrais pas le faire. [rires] Mais j’ai toujours pensé que DPR LIVE et DPR IAN formaient un tout. Et je me suis dit que c’était le bon moment pour renforcer l’image de DPR. Je ne connaissais aucun autre collectif qui créait son propre univers et qui était indépendant. Un peu comme Marvel avec le MCU : je voulais que les gens ne se contentent pas seulement d’attendre les chansons de leur artiste préféré, mais qu’ils soient également impatients de découvrir l’histoire qui est racontée.

Je pense que DPR a vraiment réussi sur ce point ! Il y a tellement de dimensions à votre art.

Merci, ça me touche beaucoup. Je pense qu’aujourd’hui, les gens veulent quelque chose de profond. Il y a trop de choses qui sont très stimulantes et très rapides. Sur TikTok, par exemple, la capacité d’attention n’est que de quelques secondes. Je voulais vraiment créer quelque chose d’éternel.

Le premier personnage que tu as introduit était MITO, qui représente tes épisodes dépressifs. Te souviens-tu de la première chanson que tu as créée avec MITO à l’esprit ?

J’en ai écrit plusieurs, mais l’une d’entre elles s’intitule “The Called”. Dans la littérature chrétienne, on parle des “appelés” : des personnes spécifiquement choisies, peut-être par les anges ou les dieux, comme des messagers. J’ai toujours pensé que MITO était un prolongement de moi-même, mais qu’il ne faisait pas partie de moi. Il est ma première création, mais cet alter ego n’a rien à voir avec moi. Je n’ai aucune relation, aucune similitude avec lui. Je ne comprends pas MITO, tout comme MITO ne me comprend pas. Lorsque j’ai composé “The Called”, j’avais l’impression qu’il était appelé à venir répandre un message à travers moi. Évidemment, je ne pouvais pas dire ça aux gens car ça semblait trop fou.

Tu n’as jamais sorti “The Called”. Pourquoi ?

Je ne sais pas, je ne trouvais pas que ce titre avait sa place dans l’album. La première chanson de l’opus, “MITO”, avait beaucoup plus de profondeur. “The Called” était un morceau plus agressif et intense. Les paroles étaient : “Je sais ce que tu es, et cela te déchire”, “Tes ailes n’ont jamais été appelées”. Je voulais dire que ce n’était pas lui qui avait été appelé, mais moi. C’était la première fois que je révélais MITO, mais j’ai eu l’impression de le pointer du doigt. J’ai réalisé qu’il s’agissait seulement de mon point de vue et de mes sentiments envers lui, mais que ce n’était pas MITO lui-même.

De nombreux détails et indices se cachent dans ton art, permettant aux fans de découvrir peu à peu l’histoire globale. As-tu scénarisé le tout depuis le début ?

Le fil rouge est là depuis le début, mais il y a quelques changements dans la manière dont les choses se développent en cours de route. L’histoire est basée sur quelque chose de personnel, donc elle n’aura de sens que si elle correspond à ce que je traverse. MITO représente le côté sombre et très difficile auquel je suis confronté dans ma vie. Cependant, la fin de l’histoire devrait être que je surmonte les ténèbres. Mais si je ne manifeste pas ça dès le départ, je suis déjà foutu. Donc du moment qu’on arrive [à cette fin], la manière dont on s’y rend n’a pas d’importance. C’est un peu comme si vous regardiez notre histoire en temps réel, évidemment conceptualisée et avec plus de fantaisie.

C’est aussi ça qui est beau. Et en même temps, il faut faire attention à ce qu’aucune incohérence ne se glisse dans l’histoire.

Oui, c’est ça qui est délicat. C’est pour ça qu’il faut avoir une vision plus large [de l’histoire] et un objectif. Comme dans un jeu, il y a des quêtes principales et des quêtes secondaires. Je pourrais faire plein de quêtes secondaires, tant qu’il y a un bon moyen de revenir à la quête principale, c’est tout bon.

C’est une bonne façon de voir les choses !

Comme dans un jeu de rôle où on se dit : “Oh mon dieu, j’ai 500 quêtes secondaires optionnelles. Quand est-ce que je vais pouvoir revenir à la quête principale ?” [rires] Et ils continuent à me donner encore plus de quêtes secondaires… [rires]

Mais on finit par trouver son chemin !

Oui, et on oublie même quelle était la quête principale. Mais c’est amusant, non ? Ça nous occupe, ça maintient un certain intérêt. Ça permet d’introduire de nouveaux personnages. C’est ma philosophie en ce qui concerne la structure de l’histoire [dans mon univers].

Le personnage de Mr. Insanity, qui représente tes épisodes maniaques, est toujours entouré de papillons. Peux-tu me dire ce que cela représente ?

Les papillons sont un symbole de liberté et de beauté. Ils apparaissent quand Insanity a un changement d’émotions, car j’ai besoin de quelque chose qui me rappelle que je dois m’ancrer. Quand Insanity voit un papillon, il se souvient d’où il vient, de son passé très difficile. Avant de devenir des papillons, les chenilles muent et se transforment. C’est une transformation nécessaire pour devenir soi-même. Les papillons apparaissent donc pour lui rappeler qu’il est toujours en train de se transformer. À vrai dire, les papillons ont leur propre histoire [dans l’univers]. On a un clip qu’on n’a pas encore sorti qui parle du peuple des papillons : une tribu dans The Other Side.

Vraiment ?

C’est avant qu’Insanity ne devienne Insanity. Il tombe sur un village où l’on vénère le dieu papillon… C’est une histoire assez longue, où il trouve un élixir qui provient des chenilles. Si les gens ne le boivent pas, ils se transforment en papillons. Ils s’empêchent donc de se transformer… C’est aussi de là qu’Insanity tire l’un de ses pouvoirs.

Dans l’album Dear Insanity…, IAN atteint The Other Side grâce à ses rêves. Y a-t-il des thèmes récurrents dans tes rêves ?

Oui ! Déjà, je ne connais jamais les personnes que je rencontre dans mes rêves, mais dans mes rêves, j’ai toujours l’impression de les connaître. Je fais aussi des rêves lucides environ cinq jours par semaine, dans lesquels je suis libre de me promener. C’est comme une immense carte : il y a différentes sections, mais il y a un endroit où je ne peux jamais aller… L’un des endroits où je vais régulièrement est une immense falaise qui abrite de nombreuses personnes, comme un village. Des énormes vagues s’écrasent sur cette falaise, toutes les une ou deux minutes. Je me retrouve toujours à ce portail, où il y a un pont qui mène à un immense volcan, très loin. Autour de ce volcan, il y a un énorme anneau, comme Saturne. Et sur cet anneau, il y a des villages.

J’adore l’image.

La seule façon d’y aller est d’anticiper l’arrivée des vagues, car si tu es touché, tu es emporté. Il faut courir pendant presque dix minutes, mais les vagues arrivent toutes les deux minutes… J’ai failli y arriver une fois. Mais à chaque fois, je me fais emporter et je me réveille. C’est donc le seul endroit où je n’ai jamais pu aller.

Non seulement tu joues dans tes clips, mais tu les réalises également toi-même ! Comment jongles-tu entre ton rôle d’acteur et ton rôle de réalisateur lorsque tu es sur un tournage ?

J’apprends encore. Il y a des avantages et des inconvénients. D’un côté, je sais ce que je veux car je suis mon propre réalisateur et acteur. Mais le problème, c’est de réussir à être un assez bon acteur pour atteindre le niveau de ce que j’aimerais faire en tant que réalisateur. Un avantage, c’est que je peux choisir mes propres plans. [rires]

Dans le clip de “So I Danced”, il y a une certaine interaction entre MITO et Mr. Insanity. Qu’as-tu ressenti en les voyant tous les deux partager l’écran pour la première fois ?

Je ne pense pas que les gens réalisent à quel point c’est un moment important ! Je suis très content que tu l’aies remarqué. C’était énorme [pour moi] ! Je me suis demandé si ça devait arriver si tôt, mais ils se sont juste croisés, ils ne se connaissent pas. Je pense que c’était une bonne chose de montrer qu’ils ont interagi, et que ça pourrait être de plus en plus développé. Un peu comme Batman et le Joker.

En juin, tu as sorti ton EP SAINT, avec trois nouvelles chansons qui annonçaient un album intitulé The Hybrid. Est-ce qu’il s’agit d’un nouveau personnage ?

The Hybrid est un personnage auquel j’ai pensé lorsque je traversais une période difficile. J’avais besoin d’un personnage pour représenter le dieu de The Other Side. Je me suis rendu compte que ça pouvait compliquer les choses, mais aussi résoudre beaucoup de questions que les gens se posent sur l’histoire. Par exemple, d’où vient vraiment MITO ? Et de quel dieu parle-t-il ? Je voulais amener l’idée que IAN se transforme en Insanity avec l’aide de quelque chose. Peut-être que cette chose a essayé d’influencer MITO, mais que MITO l’a rejetée…

Lors de ton concert à Paris, tu as dévoilé la chanson “I Am Nobody”, expliquant que le prochain album sera consacré à IAN. Que peux-tu me dire sur ce nouveau projet ?

Je me suis demandé si je devais d’abord faire The Hybrid ou IAN, mais j’ai voulu chambouler un peu la chronologie. Dans l’histoire, IAN est dans le futur, mais j’ai senti que c’était le bon moment de faire cet album. Il était temps pour moi de me réveiller un peu de mon rêve et de The Other Side. Faire ce type d’art a son lot de conséquences. C’est vraiment basé sur ma vie, donc plus je continuais, plus je donnais du pouvoir à cette histoire. Ce sera toujours là. Mais j’avais besoin de me retrouver, d’en sortir, puis d’y retourner. Tant que je sais que IAN est toujours là.

Tu avais besoin de t’ancrer.

C’est ça. J’ai donc écrit quelques chansons, dont celle que j’ai jouée à Paris. Et je prévois de sortir un album complet. C’est très ironique parce qu’il a fallu trois albums et quelques singles pour que IAN émerge, mais c’est aussi ça, la vraie vie.

Au fil des années, penses-tu que faire de la musique et créer cet univers t’a aidé à te comprendre un peu mieux ?

Je pense que ça m’a aidé à comprendre ce que je ne devrais pas trop faire. La frontière entre essayer de se comprendre et la manière dont on s’influence en chemin est très mince. Parfois, avec les personnes atteintes du trouble bipolaire, il ne faut pas trop exploiter leurs phases maniaques. Car on leur donne une fausse réalité à laquelle ils peuvent s’accrocher, et ils risquent de trop y croire. Pourtant, la personne qu’ils sont dans cet état est très différente de celle qu’ils sont quand ils ne le sont pas.

Bien sûr.

Je me suis rendu compte que je produis une grande partie de mon art quand je suis dans une phase dépressive ou maniaque… C’est très beau car c’est très cru. Mais j’ai parfois l’impression de me perdre. J’en découvre davantage… Mais, des fois, je me demande : “Pourquoi vouloir en savoir plus ? Est-ce que c’est sans danger ?” Essayer d’accepter ce que l’on a est une chose, mais aller un peu trop loin peut causer plus de tort. Tu es maintenant obligé de penser à toutes ces choses auxquelles tu n’as jamais eu à penser auparavant… C’est pourquoi IAN est l’album qui me sort un peu de la boucle.