Si chaque nouveau film de Tim Burton suscite beaucoup d’agitation, il y a aussi un temps pour la réflexion. Analyse en cinq points du dernier film d’un réalisateur (presque) intouchable.
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Abe était de ces grands-pères inoubliables. Un passeur de savoir farfelu qui aimait raconter des histoires sur un monde dans lequel les infirmités se transformaient en forces. À sa mort, son petit-fils Jake (Asa Butterfield, le héros du Hugo Cabret de Martin Scorsese) découvre que ce qu’il lui décrivait est en fait un monde parallèle où se trouve le “Foyer pour enfants particuliers” dirigé par Miss Peregrine. Jake découvre alors qu’il est de la même nature que ces enfants et va les aider à affronter les Sépulcreux, leurs ennemis jurés.
On attendait avec impatience le nouveau film de Tim Burton, qui est sorti le mercredi 5 octobre. Cette adaptation libre du best-seller de Ransom Riggs offre un spectacle en 3D original et porté par un casting cinq étoiles : Eva Green, Samuel L. Jackson, Judi Dench et Asa Butterfield.
À la sortie de la séance, on a essayé de répondre à cinq grandes questions sur le film.
Eva Green est-elle crédible dans un rôle bienveillant ?
Cette actrice à la beauté fragile est habituée aux rôles de femme fatale. Après Dark Shadows en 2012, elle a accepté, sans sourciller, cette nouvelle collaboration avec Tim Burton.
En incarnant la maîtresse de maison et la directrice du foyer, elle se voit pour la première fois confier un rôle bienveillant. Protectrice et maternelle envers les enfants, elle n’hésite pas à se sacrifier pour eux. Toujours froide et désarmante, elle reste convaincante et magnétique sous ce nouveau visage. Très mystérieuse, son pouvoir est de manipuler le temps et se transformer en oiseau, comme l’illustre son costume :
Si l’héroïne donne son nom au film, Eva Green a paradoxalement tendance à être relayée au second plan, malgré son rôle fort et poétique. Et si elle s’efface rapidement pour laisser les enfants occuper tout l’espace et défendre leur monde, elle attire le regard à chacune de ses apparitions. Il fallait une actrice avec une aura assez intense pour marquer le film, malgré son absence : Eva Green était donc une évidence.
L’adaptation du roman de Ransom Riggs est-elle réussie?
Miss Peregrine et les Enfants particuliers est tiré du premier roman de Ransom Riggs, publié en 2011. Le livre a connu un succès considérable et immédiat (il s’est vendu à plus de 3 millions d’exemplaires). Une suite, Hollow City, a été publiée en 2014, puis un dernier livre, La Bibliothèque des âmes, est venu clore la trilogie cette année.
Pour trouver son inspiration, l’auteur a fouiné dans des brocantes, à la recherche des photos les plus bizarres. Ces clichés ont constitué la base de son roman. Lorsqu’il a été décidé que le film serait adapté pour le grand écran, les producteurs ont tout de suite pensé à Tim Burton. Ransom Riggs, grand fan du réalisateur, a immédiatement accepté de lui confier son œuvre.
Dès que l’on fait une adaptation, il faut essayer de rester fidèle à l’œuvre de base, tout en préparant le spectateur à une expérience intense. Or, ici, à chaque fois que le film s’est écarté du livre, c’était pour répondre à des impératifs cinématographiques causés par certains choix de production (décors, acteurs, etc.). Samuel L. Jackson, par exemple, n’a pas souhaité accentuer le côté sinistre de Barron, le méchant du film. Ses mimiques donnent un ton léger à son personnage, malgré la cruauté dont il est empreint.
Même s’il y a quelques tentatives d’humour, avec notamment une scène d’ouverture très efficace sous le soleil de Floride, le film n’est finalement pas grand chose d’autre qu’un conte noir pour enfants, burtonisé, sans réelles prises de risques. Miss Peregrine et les Enfants particuliers fait surtout penser à La Famille Adams pour son côté enfantin et gothique (et un peu à X-Men, pour sa grande propriété qui accueille des enfants spéciaux).
La 3D était-elle nécessaire ?
Il faut reconnaître que les lunettes, bien ajustées sur le nez, permettent au spectateur de profiter pleinement de cet univers unique et dépaysant.
La beauté des séquences de Tim Burton, alimentée par des images somptueuses, nous séduit toujours autant. Même les monstres numériques, pas très effrayants, trouvent une place légitime. Les souligner en utilisant la 3D était loin d’être une idée stupide, quand bien même certains réalisateurs assoiffés de spectaculaire démesuré y ont systématiquement recours de nos jours.
Retrouve-t-on l’univers de Tim Burton ?
Le dernier film de Tim Burton, Big Eyes, marquait une rupture dans son univers habituellement très noir et romantique, marqué par des cauchemars datant de l’époque où le cinéaste était encore un petit garçon fasciné par le gothique. Cette chronique dépaysante, qui s’attachait surtout à décrire la place de la femme à la fin des années 1950, ne laissait percevoir le style habituel de Tim Burton qu’à travers certains plans fonctionnant comme des repères pour rassurer un public impatient de le retrouver.
Cette fois, avec Miss Peregrine et les Enfants particuliers, le réalisateur revient à son univers onirique : les monstres, l’expressionnisme allemand, les grands manoirs abandonnés… À mi-chemin entre le film noir et le film d’horreur, Tim Burton est au cinéma ce qu’Edgar Allan Poe est à la littérature : il fait partie de ces cinéastes capables d’imprimer à jamais des images horrifiques sur nos rétines. Mais il semble loin ce temps où le réalisateur nous faisait trembler, comme s’il s’était retenu d’accentuer le côté sombre de ce conte pour enfants et de basculer ainsi dans l’épouvante.
Y a-t-il des liens avec l’ensemble de son œuvre ?
Tim Burton n’a jamais caché son sentiment d’être différent, particulier. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il se soit trouvé des affinités avec le best-seller de Ransom Riggs. Il introduit dans son nouveau film quelques références directes à son œuvre, notamment Edward aux mains d’argent, où l’on retrouve à la fois des costumes rappelant l’inoubliable accoutrement du héros un peu gauche joué par Johnny Depp, et la cruauté des gens normaux (dans la scène dans du bar).
Après Charlie et la Chocolaterie et Alice aux pays des merveilles, on comprend aussi que les enfants trouveront toujours leur place dans son cinéma. Comme dans son court métrage horrifique Vincent, il recycle l’idée que la frontière entre le réel et le fantasme est mince.
Il y a aussi un peu de Big Fish dans ce nouveau film où, là-encore, une histoire racontée par une figure paternelle constitue le noyau du conte. Enfin, la fascination excessive pour l’anatomie qui caractérise le personnage d’Enoch (Finlay MacMillan, qui joue un jeune garçon capable de donner vie à toutes sortes d’objets inanimés), n’est pas sans nous rappeler celle du héros de Sleepy Hollow.