Avec Hérédité, Ari Aster proposait déjà en 2018 un film d’horreur presque aussi éprouvant que brillant. Sombre, dramatique et dérangeant, le scénario imaginé par le réalisateur avait défrayé la chronique. Résultat ? Ari Aster était attendu au tournant pour son prochain film, qu’il n’a d’ailleurs pas tardé à tourner. Intitulé Midsommar, ce nouveau long-métrage débarquera dans les salles le 31 juillet prochain. À cette occasion, nous avons échangé avec le cinéaste sur ce projet qu’il aurait “échafaudé avant même de débuter le tournage d’Hérédité“.
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Midsommar est à bien des égards un travail de longue haleine, qui fait suite à une rupture amoureuse douloureuse qu’Ari Aster a vécue il y a quelques années – cette rupture est même le fil conducteur du long-métrage. Le film raconte l’histoire de Christian (Jack Reynor) et Dani (Florence Pugh), un couple qui bat de l’aile. Dani décide quand même d’accompagner son mec lors d’un voyage en Suède avec ses amis. Sauf qu’elle finit par se retrouver aux côtés d’un groupe de mecs machos face à une secte aux coutumes mystérieuses. Cependant, influencée petit à petit par ce nouvel environnement, Dani s’accroche à cette secte autant qu’elle le peut, dans l’espoir d’être acceptée par une communauté…
Voici cinq raisons pour lesquelles Midsommar est plus qu’un simple film d’horreur.
1. Un exemple de société matriarcale
Il vous faudra du temps pour digérer Midsommar, mais l’un des premiers éléments qui retiendra votre attention sera sans aucun doute l’organisation matriarcale des habitants de Hårga, le village suédois où se déroule l’intrigue. Bien qu’effrayant, leur mode de vie est plus que fonctionnel : des repas aux tâches quotidiennes, tout est réglé au millimètre près.
D’abord jugée trop sensible par les amis de Christian, qui aimeraient profiter de leur escapade en Suède pour enchaîner les coups d’un soir, Dani va évoluer au sein d’une culture qui finira par faire d’elle la Reine de mai. Ce titre, le plus prestigieux au sein de l’étrange communauté, lui permet enfin de se sentir honorée. À ce sujet, Ari Aster explique :
“Pour Hérédité comme pour Midsommar, cela sonnait comme une évidence que les personnages principaux devaient être féminins. Ici, les femmes de Hårga ont le pouvoir et se soutiennent, alors que certains hommes sont des abrutis.”
Et parfois, comme ce sera le cas pour Christian, les hommes sont réifiés par les femmes, qui prennent un malin plaisir à contrôler leurs corps, inversant ainsi les rôles traditionnels. La sororité de Hårga permet à Dani de s’épanouir et de trouver enfin une raison de s’accrocher à la vie après avoir vécu un drame familial.
(© A24)
2. Un film d’horreur sans obscurité
Contrairement à l’écrasante majorité des films d’épouvante, Midsommar se déroule intégralement en plein jour. C’est normal, parce que Dani et sa bande viennent en Suède pour assister à un rituel (fictif), qui ne se déroule qu’une fois par siècle, pendant la période du solstice d’été, lorsque le soleil ne se couche que très peu voire pas du tout.
Quand on demande à Ari Aster pourquoi il a pris ce risque, il explique simplement :
“La peur du noir a beau être un outil merveilleux pour susciter de l’anxiété, je pense que l’abondance de lumière dans Midsommar angoisse aussi – et laisse comprendre que quelque chose ne tourne pas rond depuis le début. Ce n’était pas vraiment un challenge que je m’étais fixé : je trouvais juste indispensable de créer une atmosphère aux couleurs chaudes pour ce film. J’ai perdu un ingrédient de choix en ne tournant pas la nuit, mais je pense qu’au final ça a réellement ajouté quelque chose à l’histoire.”
Ces paysages verdoyants, ensoleillés et colorés viennent contraster avec les pratiques innommables de la secte. Derrière les belles couronnes de fleurs, les vêtements aux couleurs pastel et les joyeuses danses, les habitants de Hårga dissimulent toutes sortes de sacrifices humains. On finit donc par se sentir oppressé par ce décor bien trop beau pour être vrai.
(© A24)
3. La complexité des maladies mentales
De nombreuses personnes ont critiqué Ari Aster pour avoir mis en avant un personnage handicapé dans la bande-annonce, laissant croire que son rôle était déterminant, alors qu’il n’apparaît que très peu dans le film. Ce choix est la pierre angulaire de la philosophie d’Ari Aster, qui veut normaliser la différence.
Il utilise ainsi le personnage de Dani pour représenter la banalité des maladies mentales dans la vie quotidienne. Alors que des films comme Split et Shutter Island sont plutôt maladroits et bien souvent excessifs dans leur représentation des troubles mentaux, Midsommar tente de ne pas mettre cette caractéristique du personnage au service de l’intrigue. Sans devenir une victime, Dani apprend à accepter ses émotions aux côtés de la secte, elle qui les a longtemps refoulées. Ari Aster montre avec beaucoup de précision jusqu’où son mal-être se répercutera.
(© A24)
4. Le tourisme occidental tourné en dérision
La communauté de Hårga n’est pas inspirée d’une vraie secte. Elle est le fruit du travail de Henrik Svensson et Ari Aster, qui ont mené depuis 2013 des recherches sur le folklore suédois et les traditions tribales. À force d’approfondir leur sujet, ils ont découvert des méthodes de torture viking, une inspiration qu’on retrouve à de nombreuses reprises dans le film. En plus de leur inventer un langage, Ari Aster a donné aux païens de Hårga des rites inquiétants, inspirés de différentes cultures nordiques.
Bien différents des autres Occidentaux, les gens de Hårga vivent en autarcie. Toutefois, le groupe de Dani découvre leur existence grâce à Pelle, un membre de la communauté en échange aux US. Dani et ses amis partent donc en Suède pour que Josh, interprété par William Jackson Harper (The Good Place), puisse écrire sa thèse sur la secte de Pelle. Et c’est là qu’on peut se poser des questions sur la façon dont les Occidentaux voyagent.
La bande de potes tente en effet d’observer au plus près ces gens dont elle ne connaît rien, comme s’il s’agissait d’un freak show. Sans gêne, elle va même jusqu’à ne pas respecter leurs traditions et tombe bien souvent dans le voyeurisme. Une vision moderne et pertinente d’une thématique qui fait de plus en plus débat.
(© A24)
5. Une vision spirituelle de l’amour
Mais là où Midsommar prend tout son sens, c’est dans sa vision mystique de l’amour, qui est presque présenté comme une religion à part entière. La vie des Hårga est régie par une sorte de Bible. Les femmes de la secte doivent ainsi suivre un ensemble de principes sacrés pour choisir un compagnon avec qui faire des enfants. Pour Ari Aster, la situation amoureuse de Dani représente aussi un état d’esprit auquel il n’est pas étranger :
“Moi aussi j’ai voulu à tout prix trouver des relations capables de me faire oublier mon ancien couple. Avec Midsommar, j’ai voulu mettre Dani dans le déni. […] Mais à aucun moment je n’essaie de la juger sur sa façon de gérer ses problèmes de couple. Elle agit comme elle peut entre drame et peur de la solitude. Son but, c’est avant tout de survivre au sein des Hårga.”
(© A24)
Bref, Midsommar n’a rien de l’idée qu’on se fait d’un film d’horreur : il secoue, interroge et parvient à nous plonger dans une atmosphère anxiogène sans recourir aux méthodes traditionnelles du genre. Ses thèmes sont plus profonds et intenses que les histoires de psychopathes, de possessions et autres monstres dont on a l’habitude.
Ari Aster semble dès lors s’imposer comme une figure nécessaire pour le genre de l’épouvante au cinéma, en réussissant à donner un second souffle à une formule pourtant déjà efficace. Mieux encore, il rappelle qu’un film d’horreur peut aller plus loin que la simple envie de faire peur.
Midsommar reflète des inquiétudes primaires : celles de la mort, de la rupture, de l’inconnu… Et même celle de croire en ses instincts. Des sentiments humains, directement ressentis par Ari Aster. C’est peut-être pour cette raison que le réalisateur parvient (probablement sans le vouloir) à autant troubler ceux qui ont vu son film.
Midsommar sera dans les salles obscures dès le 31 juillet prochain.