Le 31 décembre 2020, la famille de Daniel Dumile a annoncé son décès sur les réseaux sociaux. L’artiste, plus connu sous le nom de MF DOOM, est en fait décédé le 31 octobre 2020 mais l’annonce n’a été faite que deux mois plus tard. Adepte de la culture du secret, Daniel Dumile donnait peu d’interviews et on ne savait que très peu de choses sur lui.
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Sa musique, par contre, a été décortiquée et analysée par de nombreux auditeurs, certains devenus rappeurs comme Odd Future, Kendrick Lamar ou Joey Badass. Mais MF DOOM est un personnage complexe, aux multiples facettes. Il a eu une carrière musicale très prometteuse avant même de mettre un masque. Retour sur cet artiste incroyable qui va beaucoup manquer au paysage musical mondial.
MF DOOM est né à Londres
Daniel Dumile est né à Londres, le 9 janvier 1971. Il est ensuite parti aux États-Unis avec sa famille dès son plus jeune âge et a vécu entre New York et Long Island principalement. Toujours résidant états-unien depuis cette époque, il n’a pourtant jamais obtenu la nationalité américaine. Finalement, le rappeur américain préféré de ton rappeur américain préféré, il est totalement British.
Il a commencé par le graffiti dans les années 1980
Pendant son adolescence à New York, Daniel rencontre le hip-hop. Le futur rappeur se prend d’abord de passion pour le graffiti. Ses premiers noms y seront d’ailleurs totalement reliés. K.M.D., le groupe qu’il monte avec son frère, veut dire au départ “Kausin Much Damage”, en référence au côté vandalisme du tag.
Il choisira son premier alias, Zev Love X, uniquement pour l’enchaînement des lettres. Le graffiti restera toujours présent dans l’univers de MF DOOM, sur ses pochettes, son logo en Bubble Throw Up ou dans ses paroles et ses actes.
À 17 ans, il apparaît sur un premier tube de rap en 1989
Daniel Dumile commence à rapper en 1985, il a 14 ans. Dans le cercle restreint du rap de Long Island à l’époque, il devient pote avec MC Serch du futur groupe 3rd Bass. Ils enchaînent les freestyles et les vannes.
Quand MC Serch signe un contrat en 1988 avec Pete Nice, il appelle directement le jeune Zev Love X pour enregistrer un morceau avec lui. Le résultat sera “The Gas Face”, qui deviendra un classique de l’âge d’or du rap. Daniel est même à l’origine du titre. Tout le monde a alors les yeux rivés sur lui et son groupe, K.M.D.
Il arrête le rap après la mort de son frère Subroc
En 1991, Daniel sort l’album Mr Hood avec son frère DJ Subroc, plus jeune de deux ans mais très proche de lui, on dit d’eux qu’ils sont quasiment jumeaux. Au départ, ils sont accompagnés de leur ami Onyx.
Sous le nom de K.M.D. comme leurs graffitis, les deux frères marquent les esprits aux côtés notamment de 3rd Bass, Brand Nubian et Busta Rhymes. Malgré leur très jeune âge, les deux frères composent le disque, aidés notamment des membres de 3rd Bass mais aussi des producteurs Stimulated Dummies. Le résultat est innovant et très addictif.
Alors qu’ils travaillent sur leur deuxième album, Black Bastards, Subroc est renversé par une voiture en traversant la voie rapide de Long Island et meurt sur le coup. Daniel Dumile ne s’en remettra jamais. Viré par son label Elektra à cause de la pochette et des propos soi-disant radicaux de Black Bastards, il sombre dans l’alcool jusqu’à vomir du sang et finit même par vivre dans la rue quelque temps. Son alter ego MF DOOM se crée sur cette tragédie.
Daniel revient doucement dans les open mics et les battles de rap à partir de 1996, reliant avec le bouillonnant Bobbito Garcia qui a alors une émission de radio avec Stretch Armstrong, très importante pour le développement du rap indépendant new-yorkais.
Bobbito vient de monter son label Fondel ’Em et il veut que Daniel Dumile soit parmi ses premières sorties. Daniel va alors proposer des nouveaux morceaux qui vont devenir légendaires, avec un tout nouveau concept : un alter ego derrière un masque.
Il rappe et produit lui-même le son alternatif de l’époque, caché, radical et bourré de références. Ses productions à base de samples sont révolutionnaires car pleines de bidouillages et de boucles bancales. Elles lui offrent le parfait terrain de jeu pour exprimer sa tragédie avec des couplets sans fin et des rimes très techniques.
Elles lui permettent aussi d’exposer sa rancœur envers un milieu rap qu’il ne comprend plus. L’underground se crée alors en opposition aux grosses stars du rap mainstream de l’époque et MF DOOM en est un des premiers représentants.
Son masque fait référence au personnage de comics Fatalis
Daniel est un grand fan de comics, c’est un des premiers geeks du rap. Lors de sa renaissance à la fin des années 1990 avec son classique Operation: Doomsday (1999), il prend l’identité d’un de ses personnages préférés chez Marvel : Fatalis (Dr. Doom en VO). Le célèbre docteur s’est grimé d’un masque de métal après avoir été défiguré suite à une expérience ratée. MF DOOM va faire comme lui, on ne verra plus jamais son visage.
Entre le mythe de Faust, Dark Vador ou Phantom of Paradise, MF DOOM va nourrir un personnage torturé, le plus grand méchant de l’histoire du rap, mais avec une humanité incroyable derrière, pleine de failles. Depuis, le rap et la musique sont remplis d’artistes masqués ou cachés. MF DOOM a été un des premiers à rendre cette pratique populaire.
MF DOOM a signé sous de nombreux autres alias
Quand il se réinvente, Daniel se crée des identités multiples pour signer ses albums sous des labels différents. Il y a MF DOOM, mais aussi Viktor Vaughn, le vrai nom de Fatalis, qu’il utilise pour deux albums en 2003 et 2004. Le premier Vaudeville Villain, produit par l’équipe du label Sound Ink comme Heat Sensor, est un véritable ovni entre minimale électronique et musique de film expérimentale.
Il y a aussi Metal Face ou Metal Fingers pour signer ses albums instrumentaux et qui sont l’explication derrière le fameux MF. Ces compilations de beats seront d’ailleurs souvent reprises par des rappeurs ensuite pour leurs mixtapes ou freestyles.
Comme pour avec le travail J.Dilla ou Madlib, cette profusion de petites boucles à tendance jazz ou illustrative va beaucoup influencer les producteurs plus jeunes. Les albums Special Herbs deviennent des classiques du genre alors qu’ils sont souvent juste les versions instrumentales de ses albums rap.
Parmi ses alias, il y a aussi King Gheedora pour un album en 2003 et le projet Monsta Island Czars, qui fait référence aux ennemis jurés de Godzilla dans les films de la Toho – des monstres rejetés, encore des méchants créés par les humains.
Cette multiplication des alias le rend de plus en plus insaisissable et secret, il va même aller jusqu’à laisser parfois d’autres rappeurs derrière son masque en concert. MF DOOM dira souvent que c’est le masque qui est devenu important, pas l’homme qui se trouve derrière.
MF DOOM atteint la postérité avec Madvillain, sa collaboration avec Madlib
À partir de 2004, MF DOOM va surtout être remarqué pour ses collaborations avec d’autres artistes. La plus connue reste Madvillain avec le producteur Madlib mais il y a aussi des projets entiers avec Danger Mouse (Dangerdoom), Ghostface Killah (Doomstarks) ou Bishop Nehru (Nehruviandoom).
Parfois, il officie seulement comme rappeur, d’autre fois comme producteur, son rôle est toujours obscur mais il reste très productif. Alors qu’il est sûrement l’artiste le plus mystérieux et le plus underground du rap, il travaillera avec Damon Albarn sur le projet Gorillaz et aussi avec Thom York et Jonny Greenwood de Radiohead. MF DOOM reste British dans ses connexions.
Le masque de MF DOOM est devenu un symbole énorme d’indépendance, d’intégrité et de liberté totale qui influence notamment Joey Badass (il posera sur des instrumentaux de DOOM), Jay Electronica ou Tyler, The Creator et Earl Sweatshirt d’Odd Future.
Architecte de l’âge d’or ainsi que du milieu indépendant et underground, sa disparition est une énorme perte pour la culture hip-hop à travers le monde. Repose en paix, Daniel Dumile.