Melissa Amneris Candelier, activiste et “baddie engagée” bien décidée à déranger

Talents of Tomorrow by Konbini

Melissa Amneris Candelier, activiste et “baddie engagée” bien décidée à déranger

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Adrien “hazembsm” Antoine

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Par Mélissa Chevreuil

Publié le

"Entre tanaland, la trend de l’ours, et le mouvement 4B en Corée, on voit bien le ras-le-bol mondial de l’hétérosexualité et du patriarcat."

Depuis plus de quinze ans, Konbini reçoit des artistes et personnalités mondialement connu·e·s de la pop culture, mais a aussi à cœur de spotter des talents émergents.

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Les gens ne pourront pas me voir aujourd’hui mais c’est vrai que je suis immense.” Melissa Amneris Candelier rit. Elle n’a pas vraiment tort : nous partageons peut-être le même prénom, mais certainement pas la même taille. Alors qu’elle mesure 1,77 mètre, la jeune femme de 26 ans porte des talons de dix centimètres dans le plus grand des calmes, me dépassant d’une bonne tête. Peut-être un détail pour vous mais pour une femme, qui veut dire beaucoup. “Je n’ai pas envie de me brider. Les mecs, quand ils me regardent, ils se demandent pourquoi je fais ça, car je suis plus grande qu’eux, et ça les embête forcément. Ils ne comprennent pas que je ne mettrai jamais de talons pour eux, c’est pour moi, c’est moi que ça fait kiffer.” Cette simple phrase résume sa DA. Mélissa est à la fois féministe et ultra-coquette, une “baddie engagée” comme le dit si bien sa bio sur les réseaux, qui sont désormais, plus qu’un terrain de jeu, son espace de travail. Elle y fait de la vulgarisation et du militantisme sur le droit des femmes, l’antiracisme et le classicisme, entre autres.

“Tous les soirs chez moi, c’était débat géopolitique.”

Une évidence ? Possiblement, et nous le réalisons toutes les deux davantage au gré de notre entretien. Déjà, elle a eu la chance d’être entourée de femmes fortes et inspirantes. Elle me parle de sa mère, d’origine chilienne, qui porte le foyer, mais aussi de sa grand-mère du côté paternel, qui a quitté le Maroc pour assouvir son besoin de liberté suite à une altercation violente en boîte de nuit alors qu’elle refusait juste de danser avec un homme. “Je ne resterai pas dans un pays où je ne peux pas danser avec qui je veux.” Mélissa nuance, elle sait que c’est une autre génération, avec ses propres contraintes.

© Adrien “hazembsm” Antoine

Mais il n’empêche, elle est nourrie par leurs forces communes. Son père n’est pas en reste. Il lui donnera l’amour du débat. “C’est quelque chose qu’il m’a apporté. Même s’il est n’est pas ‘lettré’ dans le sens où il n’a pas fait de grandes études, il adore ça. Tous les soirs, chez moi, c’était débat géopolitique, j’te laisse imaginer l’ambiance bruyante (rires). Mais mon père m’a appris à débattre, à apporter des arguments et aujourd’hui ça me sert particulièrement contre mes détracteurs. Eux peuvent dire ce qu’ils veulent, désinformer. Mais nous, en tant que femmes, on a moins le droit à l’erreur.

“Quand on grandit en banlieue, ouvrir sa gueule, c’est un peu la survie.”

Ajoutez à cela un parcours nappé de commentaires misogynes, dès l’école, où les professeurs la qualifient de “plante verte” ou de “bimbo“. Des remarques bas de plafond qui la forgeront. “J’ai jamais eu la langue dans ma poche, quand on grandit en banlieue, ouvrir sa gueule, c’est un peu la survie, surtout quand on est une femme. Donc ouais, ça partait en embrouille” (rires).

Sa gueule, elle l’ouvre désormais sur les réseaux donc, et d’abord sur Insta en 2021 alors qu’elle est encore en master de communication, même si son contenu n’est pas aussi mordant qu’aujourd’hui. “Je donnais surtout mon avis en story, pas nécessairement dans mes publications et j’ai vu que j’avais pas mal de réactions. Un jour, je fais un sondage pour voir ce que les gens préfèrent et là c’est sans appel : c’est mon avis, mon opinion.” Mélissa trouve son angle et le peaufine. Elle fera de la vulgarisation, elle qui en consomme déjà énormément.

© Adrien “hazembsm” Antoine

Je suis pas très bouquins, j’ai des problèmes de concentration, mes connaissances viennent beaucoup des réseaux. J’ai réussi à me créer un bon algorithme.” Et aujourd’hui, c’est elle qui pop dans le nôtre. Peut-être avez-vous vu passer sa vidéo satyrique où elle passe une journée sans les inventions des femmes – pas de chauffage central, de soutif, de Wifi ou de GPS donc. Ou la vidéo où elle se demande si la Déclaration des droits de l’homme est sexiste (spoiler : oui, c’est également l’un de ses premiers contenus qui percent sur TikTok).

“Toutes celles qui ont peur de se dire féministe l’ont été, même sans s’en rendre compte, juste en partageant les vidéos sur tanaland.”

La reconnaissance ne tardera pas à suivre. Elle est invitée pour débattre ou partager ses observations sur la société par plusieurs médias, dont la grande agora de Mediapart, émission donnant la part belle aux créateurs de contenus à quelques jours du premier tour des dernières élections législatives. Pour Konbini, et c’est d’ailleurs comme ça que je la rencontre, elle apportera une analyse sur le trend “Tanaland”, un monde imaginaire, rose et surtout réservé aux femmes, pour lutter contre la moribonde misogynie autour du terme “tana”, que l’on pourrait poliment traduire par “dévergondée”. Une trend qui l’a marquée, et pour cause. “Pour moi, c’est un des exemples de trends les plus marquants de l’année. Toutes celles qui ont peur de se dire féministe l’ont été, même sans s’en rendre compte, juste en partageant ces vidéos. C’est la preuve que les femmes peuvent se réapproprier toutes les trends, tous les termes. Entre ça, la trend de l’ours, et le mouvement 4B en Corée, on voit bien le ras-le-bol mondial de l’hétérosexualité et du patriarcat.

© Adrien “hazembsm” Antoine

Mais même si elle dénonce, Mélissa est lucide sur le paradoxe qui entoure les créateurs de contenus engagés : la loi du capitalisme. Elle sait qu’elle compose, par la force des choses, avec certains carcans, comme ses vidéos engrangent désormais de l’argent. “Quand je fais une vidéo explicative, forcément, j’ai envie qu’elle fonctionne aussi parce que c’est mon métier et qu’il y a une histoire de revenus derrière. Cela fait maintenant un an que je suis free-lance, mes vidéos c’est ma seule source de revenus avec France Travail. Forcément, il y a une question de business derrière et c’est horrible : on est obligées de jouer avec les codes du capitalisme et du patriarcat, même en tant que féministe, pour survivre.

© Adrien “hazembsm” Antoine

Malgré tout, Mélissa a appris à ne pas vriller face à la pression des stats. Et continuera à faire du contenu basé sur la vulgarisation en 2025, ainsi que d’hoster son podcast “DEEP” malgré quelques soucis de production et/ou d’investisseur. Et surtout, une maison d’édition l’a contactée pour écrire un livre. Une nouvelle consécration, car elle le répète sans fard : elle n’est pas très littéraire et dyslexique, elle fait des fautes d’orthographe. Un complexe ? Pas loin, car elle sait qu’une simple coquille dans les commentaires peut la décrédibiliser auprès d’un public toxique en dépit de la solidité de ses arguments. Une jolie revanche à écrire, donc.