Andy Wachowski, réalisateur de Matrix, marche dans les pas de sa sœur et devient une femme

Andy Wachowski, réalisateur de Matrix, marche dans les pas de sa sœur et devient une femme

En 2009, Larry Wachowski changeait de sexe pour devenir Lana Wachowski. Elle était la première réalisatrice hollywoodienne à passer le pas… avant que son frère Andy ne fasse de même. 

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Quatre années après que sa sœur a changé de sexe pour devenir Lana Wachowski, Andy Wachowski, coréalisateur de la trilogie Matrix, de Cloud Atlas et de la série Netflix Sense8 a lui aussi sauté le pas.

Répondant à présent au prénom de Lilly, la célèbre réalisatrice a pris la plume pour s’expliquer publiquement. Cette lettre touchante met également l’accent sur sa “peur” que la presse s’empare de l’affaire.

On peut ainsi lire dans la lettre publiée dans le Windy City Times : 

“Le transgenre est à la mode – Les frères Wachowski sont maintenant des sœurs !

Voilà le titre que j’attends de lire avec crainte depuis un an. Et la nouvelle a déjà manqué d’être révélée deux, trois fois.”

Lilly poursuit en expliquant qu’elle est heureuse d’avoir des amis et une famille aussi aimants et compréhensifs, mais qu’elle ne peut malheureusement pas en dire autant des tabloïds qui l’ont poussée à faire sa déclaration plus tôt que ce qu’elle aurait souhaiter.

Alors qu’il s’exprimait au sujet du coming out public de Lilly, Nick Adams, le directeur des programmes du Glaad (l’Alliance gay et lesbienne contre la diffamation) a confié :

“Le Glaad est très heureux que Lilly Wachowski puisse être aujourd’hui elle-même et 100 % authentique. Ce qui n’empêche qu’elle n’aurait normalement pas dû avoir à révéler son changement de sexe avant de se sentir prête à le faire. Les journalistes doivent comprendre qu’il n’est pas acceptable de traquer une personne transgenre, tout comme il est inacceptable de le faire pour une personne homosexuelle ou bisexuelle”

Tout cela commence à être acquis dans la société occidentale – surtout dans l’industrie du divertissement – et les activistes et les portes-paroles font tomber pas mal de barrières. Mais il est bien triste d’entendre, aujourd’hui encore, qu’une telle démarche, censée être quelque chose de totalement positif, soit entachée par la peur de se faire “choper” par les médias.

Pendant ce temps, les sœurs Wachowski planchent sur la seconde saison de leur série Netflix, Sense8. Retrouvez la lettre de Lilly dans son intégralité ci-dessous:

“Le transgenre est à la mode – Les frères Wachowski sont maintenant des sœurs !

Voilà le titre que j’attends de lire avec crainte depuis un an. La nouvelle a déjà failli sortir deux, trois fois. Et à chaque fois, elle était précédée d’un mail inquiétant de la part de mon agent prévenu par les journalistes en quête de déclarations relatives à l’affaire ‘du changement de sexe d’Andy Wachowski’ sur laquelle ils comptaient publier un article. Il me fallait donc réagir face à cette révélation publique qui était en train de se faire sans mon accord. Et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’écrire cette lettre qui n’y va pas par quatre chemins.

Les politiques ont déjà fait part de leur point de vue concernant les dangers relatifs au changement de sexe et aux taux effarant de suicides et de meurtres chez les transgenres. Et je n’ai pas eu affaire à des ‘révélations’  sarcastiques selon lesquelles mon père se serait injecté du sang de mante religieuse dans les couilles avant de concevoir ses enfants, ce qui expliquerait qu’ils soient devenus des femmes aussi portées sur la domination féminine. On est d’accord, ça aurait vraiment été de mauvais goût ! 

Heureusement, ça ne s’est pas passé comme ça. Les journalistes n’ont pas publié d’histoire salace et potentiellement nocive. Mon optimisme me pousse à mettre cela sur le compte du progrès. Et tant mieux.

Mais hier soir, alors que je m’apprêtais à sortir pour aller dîner, j’ai entendu qu’on sonnait à la porte. Lorsque j’ai ouvert, un homme que je ne connaissais pas se tenait sur le pas de ma porte. 

‘Excusez-moi si je vous parais un peu maladroit,’ m’a expliqué l’inconnu avec un accent anglais prononcé.

Je ne peux m’empêcher de soupirer quand je repense à ce moment.

Parfois, l’optimisme est vraiment un sacerdoce.

Il m’a ensuite expliqué qu’il était journaliste au Daily Mail, l’un des journaux d’actualités les plus importants de Grande-Bretagne, sans aucun rapport avec un vulgaire tabloïd.  Il fallait impérativement que nous nous fixions rendez-vous le lendemain, le jour ou la semaine d’après, histoire qu’il puisse me prendre en photo et que je puisse partager mon histoire qui inspirera certainement de nombreuses personnes. Après tout, c’était toujours mieux qu’un journaliste du National Enquirer qui me file le train. N’est-ce pas ?

Ma soeur Lana et moi-même avons longtemps évité la presse. Si parler de mon travail a pour moi quelque chose de fastidieux et de frustrant, parler de ma vie privée est carrément mortifère. Pourtant, je savais que tôt ou tard, je devrais rendre l’affaire publique. De toute façon, quand on mène une vie de transgenre… Ce n’est pas toujours facile de le cacher. J’avais juste besoin d’un peu de temps histoire de mettre mes idées au clair, de me sentir plus à l’aise. 

Mais visiblement, ce n’était pas à moi d’en décider. 

Le journaliste m’a donné sa carte et j’ai refermé la porte. Et c’est là que cette histoire de Daily Mail a fait tilt. Il s’agissait du journal qui avait joué un rôle important dans le coming out de Lucy Meadows, une institutrice transgenre britannique. Le journal – qui n’est, rappelons-le, ‘pas un tabloïd’ – l’avait présentée comme une personne ayant une mauvaise influence sur d’innocents enfants, avant de conclure que ‘l’enseignant ne s’était pas seulement trompé de corps, mais aussi de métier’. Et la raison pour laquelle je me souvenais si bien de cette histoire n’avait rien à avoir avec le fait que Lucy était transgenre. C’est parce qu’elle s’était suicidée quelques semaines après sa parution que cet article avait marqué ma mémoire.

Et les voilà à présent sur le pas de ma porte. Un peu comme s’ils se disaient : 

‘En voilà un autre ! Il ne nous reste plus qu’à l’attirer dans nos filets pour le disséquer!’

Être transgenre n’est pas quelque chose d’aisé. Le monde dans lequel nous vivons est essentiellement binaire et cela implique que nous devons faire face pendant toute notre vie à une réalité difficile dans laquelle le monde nous est ouvertement hostile. 

Je fais partie des plus chanceux. Je peux compter sur le soutien de ma famille et j’ai les moyens de consulter des docteurs et des thérapeutes qui me permettent de survivre à ce processus. Ceux qui n’ont aucun soutien, aucune facilité financière ou privilège ne peuvent pas s’offrir ce luxe. Et nombre d’entre eux ne survivent pas. En 2015, le taux de meurtres chez les transgenres atteignait des niveaux records dans ce pays. Un nombre disproportionné de ces meurtres ont été commis sur des femmes transgenres de couleur. Attention, on ne parle ici que des homicides enregistrés. Etant donné que les transgenres ne rentrent pas facilement dans les statistiques catégorisées en fonction du sexe, les chiffres sont en réalité encore plus élevés. 

Et même si nous avons parcouru du chemin depuis Le Silence des agneaux, les médias continuent à nous diaboliser en nous dépeignant comme des prédateurs potentiels avec qui même une putain n’oserait pas partager ses toilettes. Parlons-en d’ailleurs de ces toilettes non genrées que l’on voit apparaître un peu partout dans le pays. Elles ne sont pas là pour protéger les enfants. Elles sont là pour obliger les transgenres à utiliser des toilettes dans lesquelles ils risquent rien moins qu’être battus, voire tués. Ne vous y trompez pas, nous ne sommes pas des prédateurs. Nous sommes des proies. 

Donc voilà, je suis transgenre.

Et, oui, j’ai changé de sexe.

Mes amis et ma famille sont au courant. La plupart de mes collaborateurs le savent aussi. Ça ne pose problème à personne. Tout ça grâce à ma merveilleuse soeur qui est passée par là avant moi, et aussi tout simplement parce que ces gens sont super. Sans le soutien et l’amour de ma femme, de mes amis et de ma famille, je n’en serais pas là aujourd’hui. 

Ces mots ‘transgenre’ et ‘changement de sexe’ restent difficiles à entendre pour moi car ils ont aujourd’hui perdu de leur complexité. On manque de nuances.  Être ‘transgenre’, c’est bien plus que simplement vivre hors d’une classification dogmatique des genres. Et dans le terme ‘changer de sexe’, on sous-entend quelque chose d’immédiat avec un avant et un après. Comme si on allait directement d’un point à un autre. Mais dans la réalité, dans ma réalité, changer de sexe prend du temps et c’est un processus que je continuerai toute ma vie. Il existe une infinité d’états entre celui d’homme ou de femme, tout comme il existe une infinité de chiffres entre zéro et un. La vie n’est pas noire ou blanche et nous devons élever le débat au-dessus de cette binarité qui n’est au final qu’un leurre. 

La théorie des genres et la théorie queer (selon laquelle l’orientation sexuelle de quelqu’un est essentiellement définie par son histoire et son environnement, et non par ses gènes) me choquent intellectuellement. La combinaison de ces mots, comme celle qu’on retrouve par exemple dans ‘free jazz’, est discordante, antinomique. J’aimerais que ces théories soient comprises, mais en tant que lutte. Cette même lutte que celle qui a été la mienne lorsqu’il m’a fallu comprendre ma véritable identité. Un jour, un bon ami à moi a partagé cette citation de José Muñoz. Elle est accrochée dans mon bureau, et parfois, je la contemple tout en essayant d’en comprendre toute la portée. Et sans cesse, cette phrase résonne en moi : 

‘L’homosexualité, c’est rejeter l’instant présent pour se centrer sur la potentialité d’un autre monde.’

Je vais donc continuer à être optimiste et à apporter ma pierre à cette lutte de Sisyphe vers le progrès et la compréhension. Je veux être la preuve vivante que cet autre monde est possible.

Lilly Wachowski”

Traduit de l’anglais par Erika Lombart

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