C’est un son que l’on entend aujourd’hui au début de presque tous les morceaux de rap. Qu’il cite juste un nom, fasse un bruit de porte qui grince ou imite un rire démoniaque, le tag, ce son servant à indiquer à l’auditeur (et à l’industrie) qui a produit le titre en train d’être joué, est devenu la norme depuis dix ans. C’est un phénomène aujourd’hui devenu habitude qui s’est peu à peu installé dans l’industrie de la musique, avant d’être largement popularisé auprès du grand public, notamment grâce au producteur américain Metro Boomin. Considéré comme un des compositeurs les plus importants des années 2010, celui qui a signé des tubes pour Drake, Kanye West ou Future a ainsi démocratisé cette pratique et su se faire connaître du grand public en démarrant une grande partie des morceaux qu’il compose avec sa signature sonore, de “Metro Boomin want some more n**ga !” en menaçant “If young Metro don’t trust you, I’m gon’ shoot you” énoncé par Future en passant par le plus récent “Metrooooooooo” crié par Young Thug en début de morceaux au point de devenir une vraie usine à mèmes.
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Années 2000
Le producteur star au bandana est pourtant loin d’être le premier à avoir eu cette idée. Compositeur pour PNL, Ninho ou SCH, BBP est aujourd’hui une référence dans son domaine dans le rap français. Mais avant de produire “La Misère est si belle”, le Parisien a d’abord été un simple fan de rap, qui a lui aussi écouté des tags sur les morceaux de ses artistes favoris : “J’ai l’impression que c’est un phénomène qui est apparu dans les années 2000, parce qu’avant ça, tu ne voyais pas trop les producteurs citer leur nom en début de morceau”, analyse-t-il. “Mes souvenirs de tags en tant qu’auditeur en tout cas c’est d’abord avec Just Blaze et Bangladesh”.
S’il est difficile de dater exactement à partir de quand apparaissent les premiers tags dans le rap (les noms de certains producteurs étant parfois cités par les rappeurs au début de leurs morceaux dans les années 1990, à l’image de KRS One avec DJ Premier sur ce titre de 1992), le nom de Just Blaze revient en effet souvent. En 2002, le producteur star du rap de la décennie 2000 collabore avec le New-Yorkais Cam’ron sur le morceau “Oh Boy”. Comme il le racontera quelques années plus tard à Red Bull Music Academy, Just Blaze va alors demander à Cam’ron de citer son nom au tout début du morceau, dans le but de mettre en avant son travail en tant que producteur. Le morceau va devenir un des tubes de la carrière de Cam’ron tandis que Just Blaze va garder cette habitude, ce qui va ensuite grandement contribuer à démocratiser le tag en début de morceau. La France, elle prendra ensuite le même virage au début des années 2010 avec des producteurs comme Wealstarr ou Therapy sur Or Noir de Kaaris avec son fameux “Back to the future”.
Besoin d’identification
Si la majorité des producteurs d’aujourd’hui pose son tag en début de morceau, c’est exactement pour les mêmes raisons que Just Blaze en 2002 : pour se faire connaître et remarquer au milieu des nombreux beatmakers du marché. En 2017, la France découvre FREAKEY!, producteur montréalais (La Fève, Alpha Wann, Don Toliver) au début du morceau “Mucho Love” de Hamza sur 1994. La raison : la qualité de ses prods, mais aussi son “Freakey !” court, ou long (“Freakeeeeeeey !”) reconnaissable en début de morceau. Il explique : “J’ai toujours voulu que les gens reconnaissent lorsque je fais une prod’ et il faut plus se démarquer qu’avant parce qu’il y a beaucoup plus de producteurs aujourd’hui. C’est ce que me permet le tag”. En plus de faire vendre, le tag aurait ainsi une fonction plus simple : permettre de retrouver plus facilement. “Je conseillerais aux producteurs qui commencent d’avoir un tag. Parce que ça va être plus simple pour les artistes de [les] contacter après.”
Producteur star du rap français de ces dernières années, Noxious (Ninho, Niska, SCH) peut confirmer : en mettant son nom au début de ses morceaux, il estime avoir décroché plus facilement de nouvelles collaborations. “Dès que tu as un succès sur un titre, les gens vont entendre le morceau avec ton tag en boucle et ça va être plus simple pour te contacter. Des artistes et des managers sont venus me contacter après avoir entendu mon nom au début d’un morceau. Les gens qui vont regarder les crédits sont malheureusement assez rares.”
Même si elle est plutôt vraie, BBP nuance cette dernière affirmation. De nature discrète, il n’a pas souhaité avoir de son côté de tag au début de ses morceaux. Ce qui ne l’a pas empêché d’enchaîner les succès et les collaborations, à l’image de son travail conséquent avec PNL : “Les gens qui aiment la musique vont vouloir savoir qui a fait une prod et ils vont aller chercher. Que ce soit les artistes, les managers, les gens de maison de disques… Si, à un moment donné, ils trouvent qu’une production est mortelle, ils vont s’en parler entre eux et vouloir savoir qui l’a faite. On n’est pas mal à ne pas avoir de tag et je n’ai pas l’impression que ça nous ait forcément nui dans notre carrière”.
Du côté des artistes, le tag en début de morceau est devenu quelque chose de naturel. Parfois même, il est presque réclamé par ces derniers : “Au début, le tag est un moyen de te faire connaître en signant ton travail”, explique Noxious. “Mais avec le temps, si tu as des succès, ça va devenir un gage de qualité pour l’artiste qui utilise ton instru.” Il rit : “C’est un peu comme le logo Louis Vuitton sur le sac”.
Bon et mauvais tag
Si elle fonctionne bien au début des titres ambiançants, la présence d’un tag sur d’autres types de morceaux, notamment lorsqu’ils sont tristes ou introspectifs, peut parfois devenir plus compliquée. Dans ses collaborations, FREAKEY! enlève ainsi volontairement le sien à certains moments : “Il m’arrive de ne pas mettre mon tag sur certaines prods parce que je trouve que ça n’a pas sa place. Si le morceau est assez triste ou introspectif, je vais l’enlever pour des raisons artistiques parce que je trouve que ça fonctionne moins”. Preuve en est son morceau — justement mélancolique et introspectif — avec le rappeur Youv Dee sur son dernier album solo en tant que beatmaker, sans tag sur les premières secondes.
C’est une des raisons pour lesquelles BBP a décidé de ne pas avoir de signature au début de ses compositions : “Sur les morceaux turn up, le tag est super pertinent parce qu’il t’annonce que le titre va partir. Mais sur les titres plus personnels, j’ai l’impression que c’est comme un placement de produit dans un film de Scorsese. Évidemment, je sais qu’il y a plein de gens pour qui ce n’est pas ça. Mais de mon côté, j’aurais un peu l’impression d’empiéter sur l’espace d’expression de l’artiste si je le faisais.” En réalité, le vrai secret serait d’avoir un tag pensé pour passer sur tous types de morceaux. Court, précis, discret, celui que met Noxious au début de ses morceaux lui permet par exemple de l’intégrer au début de n’importe quelle production sans que cela paraisse bizarre. “Le plus important, c’est d’avoir un tag neutre. Je m’adapte à chaque fois au BPM et au mood du son aussi. Ça me permet de le mettre sur n’importe quel son, qu’il soit doux ou sombre”.
L’an dernier, BBP dévoilait lui son premier album en solo, sous le nom de Sandór Waïss. C’est un projet loin du rap, entre néo-soul et pop électronique sur lequel il chante et pour lequel il a encore moins songé à taguer ses morceaux car si on l’entend partout dans le rap, le tag demeure un réflexe que l’on applique uniquement dans cette musique et qui, derrière ses enjeux commerciaux, fait partie du charme et de l’identité actuelle du genre. Noxious dit que “les artistes sont OK avec ça aujourd’hui parce qu’ils ont digéré la vague du rap US qui a totalement démocratisé ça. Avoir un tag, ce n’est plus juste un truc de rappeur américain, il y en a partout. Mais ça reste très propre au rap”. Il sourit : “Ce n’est pas demain que tu vas entendre Taylor Swift avec un gros ‘Noxious’ au début d’un morceau.”