Le 12 mai dernier, Disney+ a sorti dans son catalogue un film original appelé Le Cratère, réalisé par Kyle Patrick Alvarez et plus ou moins diffusé dans une certaine indifférence générale. C’est un long-métrage de science-fiction à moyen budget pour un tel studio (un peu plus de 50 millions de dollars de production), prévu à l’origine pour une sortie en salles et qui suit un groupe d’explorateurs spatiaux en quête d’un mystérieux cratère sur une colonie lunaire.
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Comme la plupart des abonnés à la plateforme de streaming, vous êtes sûrement passé à côté et la firme américaine le sait, si bien qu’à peine deux mois après sa sortie, Le Cratère n’est même plus disponible sur Disney+.
Si on peut trouver cette décision anodine de la part du studio, il n’en est rien. Depuis quelques mois, Disney+, mais aussi Max (anciennement HBO Max) et prochainement AMC+ ou encore Paramount+ retirent de leur catalogue des films, séries et documentaires dont ils sont pourtant les propriétaires (en gros, des créations originales des studios nommés).
Sur Disney+ et Hulu, plus d’une dizaine de films et une douzaine de séries ont déjà disparu en plus du Cratère, dont Willow, Big Shot, Dollface, The Hot Zone, Pistol ou encore Le Monde selon Jeff Goldblum, pourtant l’une des premières productions originales de la plateforme de streaming sortie en novembre 2019. À terme, cette année, Disney+ prévoit de supprimer une quarantaine de films et séries originaux de son catalogue et ce chiffre devrait encore grimper dans le futur.
Officiellement, Disney n’a pas donné de raison particulière. Officieusement, vous pouviez vous en douter, c’est une histoire de thunes et d’économie de coûts. Ainsi, ces soudaines et étranges disparitions de contenus font partie d’une stratégie volontaire décidée à l’interne chez la firme de Mickey.
Christine M. McCarthy, la directrice financière et administrative de Disney, avait annoncé lors d’un bilan trimestriel que le studio était “en train de revoir le contenu de [ses] services de streaming pour l’aligner sur les changements stratégiques de leur approche de la curation de contenu”.
Derrière ce charabia formel et en prévision du troisième trimestre financier de 2023, Disney estime perdre entre 1,5 et 1,8 milliard de dollars de charges liées à ses services dits “direct-to-consumer”, dont les plateformes de streaming. Même pour une machine aussi colossale que le studio américain, c’est une dépense non négligeable et même globalement l’une des plus coûteuses pour les studios du genre (Warner Bros., Universal, Paramount) qui ont décidé de lancer des services de streaming à l’international.
Un lien étroit avec la grève des scénaristes
Si vous l’avez oublié, les scénaristes et leurs syndicats sont toujours en grève à Hollywood, pour réclamer notamment de meilleures conditions de travail et une revalorisation de leur salaire, ou encore pour alerter sur les dangers que représente la montée des intelligences artificielles dans le monde du cinéma et des séries.
Mais parmi leurs revendications moins entendues, les grévistes s’inquiètent aussi de la disparition des redevances de leurs droits d’auteur, en lien direct avec la suppression de contenus originaux sur les plateformes de streaming.
Comme c’est le cas à la télévision depuis un demi-siècle, les auteurs et autrices de films et séries touchent une redevance (qu’on appelle les “licensing fees” en anglais) quand leur bébé est disponible et donc diffusé sur un service de streaming. C’est une source de revenus minime, mais régulière pour eux. À l’inverse, pour les plateformes, cela constitue l’un de leurs frais les plus importants pour faire tourner la machine. Vous commencez à comprendre le lien entre la grève et la disparition de contenus ? Si Disney+ ne propose plus certaines œuvres, alors ils n’auront plus à payer de redevances à leurs scénaristes et on en revient à la fameuse stratégie d’économie de coûts évoquée par Christine M. McCarthy.
Par ailleurs, quand une plateforme comme Disney+ décide de supprimer du contenu original de son catalogue, elle procède à une dépréciation de cette œuvre, c’est-à-dire qu’elle cesse de croire en sa réussite et donc littéralement d’investir davantage dessus. Le coût du contenu devient alors nul, et la firme économise de l’argent. Enfin, l’œuvre disparue en question devient une nouvelle source de monétisation potentielle pour le studio, notamment en la mettant à disposition sur une autre plateforme moyennant un accord de licences (appelé “licensing deal” en anglais) entre les deux parties.
Prenons un exemple pour y voir plus clair : si Westworld a disparu de Max aux États-Unis, elle est désormais disponible sur un service concurrent, à savoir Roku Channel, et génère des revenus à son propriétaire, Warner Bros. Récemment, le studio américain tire un maximum de profits de cette stratégie, en ayant pris la décision de mettre à disposition certaines séries de son catalogue aux US comme Insecure et Six Feet Under chez son rival historique, Netflix.
En fin de compte, la seule “bonne” nouvelle pour les spectateurs et spectatrices, c’est de pouvoir retrouver leur série préférée quelque part et qu’elles ne disparaissent pas totalement du paysage numérique mondial. On ne le dira jamais assez, mais longue vie aux éditions physiques en DVD et Blu-ray, qui vous permettront de profiter de vos séries préférées sans devoir payer une dizaine d’abonnements à des services de streaming différents, alors que certaines ont temporairement disparu du paysage numérique mondial.