Il dessine Trump pour le combattre. Le dessinateur Edel Rodriguez a fait la une du Time grâce à ses caricatures percutantes, parfois controversées, de Donald Trump. Avec l’inculpation de l’ancien président, l’artiste américano-cubain, marqué tout jeune par l’expérience de l’exil, a repris du service. Sa dernière illustration a déjà été diffusée – puis partagée des milliers de fois – par le bimensuel : sur un fond noir, une empreinte digitale tourbillonne autour de la bouche rugissante du milliardaire républicain. Donald Trump “est pris dans la tempête qu’il a lui-même provoquée”, décrit Edel Rodriguez.
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L’image n’est pas la plus provocante qu’il ait signée. Début 2017, pour fustiger son décret anti-immigration visant des pays musulmans, le magazine allemand Der Spiegel avait affiché le président américain de l’époque tenant d’une main un couteau, de l’autre la tête décapitée et saignante de la statue de la Liberté. Une couverture brandie dans les manifestations anti-Trump mais jugée outrancière par des politiques et éditorialistes.
Frapper les esprits
L’artiste de 51 ans revendique des images faites pour frapper les esprits, à la hauteur du danger que court selon lui la démocratie états-unienne. Et si ses dessins font la une de magazines d’information, Edel Rodriguez ne s’impose pas un devoir de neutralité. “Je comprends qu’il faille maintenir une neutralité. Mais il faut toujours se demander si la neutralité ne va pas trop loin, et j’ai senti qu’être neutre avec Trump en 2016, ce n’était pas une bonne chose”, explique-t-il, exhibant ses couvertures pour America et le New Yorker.
Le 45e président des États-Unis y apparaît fonçant comme une météorite sur la Terre qu’il s’apprête à dévorer ou bien en bambin assis sur un missile avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. Comme d’autres artistes, il a aussi mêlé Donald Trump aux symboles du Ku Klux Klan, quand l’ancien président avait renvoyé dos à dos des militant·e·s suprémacistes blanc·he·s et antiracistes après des violences à Charlottesville à l’été 2017. À ses yeux, la suite lui a donné raison. Le 6 janvier 2021, jour de l’assaut du Capitole, cœur de la démocratie états-unienne, par des milliers de partisan·e·s du président sortant et battu, “nous étions à deux doigts d’un coup d’État”, souffle-t-il.
“Désespoir”
Ses convictions et ses craintes, Edel Rodriguez les nourrit de sa propre histoire, celle d’un enfant fuyant à 9 ans avec ses parents la vie sous le régime de Fidel Castro à Cuba. Dans une bande dessinée à paraître à l’automne, il en raconte le “désespoir”, “les espions partout” et le départ en bateau durant l’“exode de Mariel” en 1980.
“J’ai grandi en Floride […]. Ma vie d’enfant d’immigrés, et ce que je suis devenu, a toujours été aidée par des Blancs américains”, dit-il. “Je sais combien les gens dans ce pays sont bons, et quand Donald Trump est apparu, il a fait ressortir les pires personnes”, ajoute-t-il. Sa carrière était déjà lancée mais “je voyais qu’on ne le prenait pas au sérieux. Il fallait que je m’y confronte dans mon travail”, explique Edel Rodriguez.
Pour marquer les esprits, son Donald Trump a des codes visuels récurrents, “comme une marque, ou une anti-marque” : une peau très orange, les cheveux jaunes, pas d’yeux et cette bouche criante, qui ont tendance à supprimer toute empathie. “Ces couvertures, je les fais pour ne pas le normaliser et le montrer tel qu’il est”, explique Edel Rodriguez, pour qui le milliardaire républicain n’est pas une fin en soi.
“Je suis inspiré par Picasso, Matisse, Paul Klee, une plante, ma mère, mon père, ma famille, Cuba. Il y a des milliers de choses qui m’inspirent”, ajoute l’artiste, qui a aussi signé tout au long de sa carrière de nombreuses couvertures de livres, affiches de films, comme La tragédie de Macbeth de Joel Coen en 2021, et dont les œuvres sont exposées dans des musées et galeries.