Mais c’est quoi ce drama explosif autour de Blake Lively et de la promo du film It Ends With Us ?

Mais c’est quoi ce drama explosif autour de Blake Lively et de la promo du film It Ends With Us ?

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© Gotham/WireImage/Getty Images

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le , modifié le

Que reproche-t-on exactement à Blake Lively ? Petit historique rapide et efficace pour comprendre tout ce qui se joue en ce moment autour de ce film.

Le monde du cinéma américain tremble face à un nouveau petit scandale dont seul Hollywood a le secret : il y a un beef entre l’actrice Blake Lively et la promotion du film It Ends With Us (Jamais plus, en VF). En plus d’y jouer le rôle principal, l’actrice, connue dès son jeune âge pour son rôle dans la série Gossip Girl, a assuré la production exécutive de ce film, qui est réalisé par Justin Baldoni, acteur qui partage aussi l’affiche avec elle. Récapitulons de manière efficace ce drama qui a fait couler beaucoup d’encre ce week-end sur l’Internet du cinéma, tout en veillant à ne pas tomber dans le piège de la misogynie internalisée – même si, on le concède, Blake Lively n’en est pas à son premier scandale.

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L’histoire commence par une promotion désastreuse. Pour comprendre pourquoi elle est désastreuse, il faut se pencher sur le sujet du film de Baldoni, sorti en salle le 14 août, qui est une adaptation du best-seller éponyme de Colleen Hoover. Le film raconte l’histoire de Lily Bloom (Blake Lively) qui tente de se reconstruire et de s’épanouir dans une grande ville, Boston, après des traumatismes subis durant l’enfance.

Le rêve de Lily Bloom ? Ouvrir une boutique de fleurs, et c’est chose faite. Parmi ses premier·ère·s client·e·s, elle rencontre un neurochirurgien, Ryle Kincaid (Justin Baldoni), avec qui elle noue une relation amoureuse trop intense. Plus le temps passe, plus Lily trouve que sa relation avec Ryle lui est familière : elle lui rappelle sa relation avec ses parents et les violences auxquelles elle a survécu. Ce n’est donc pas pour rien qu’elle est tombée amoureuse de lui : elle recrée un schéma familial qu’elle ne connaît que trop bien et retombe dans des dynamiques relationnelles mortifères. Lily, victime de violences conjugales, semble accepter son funeste destin jusqu’à ce que son premier amour, Atlas Corrigan (Brandon Sklenar), débarque dans l’intrigue et bouscule son histoire avec Ryle. Lily sait qu’elle doit faire un choix, se confronter à ses monstres et briser ce cycle de la violence avant qu’il ne la tue.

On vous l’accorde, dès le départ, le test de Bechdel n’est pas respecté : l’histoire de Lily ne tourne qu’autour de deux hommes, avec un léger soutien amical féminin incarné par le personnage d’Allysa (Jenny Slate). Après tout, c’est une adaptation, on n’allait pas tout changer, donc on peut comprendre. Mais qu’est-ce qui agace les internautes exactement ? Car en deux jours, on a assisté à la déchéance de Blake Lively, dont le public apprécie, certes, davantage les robes qu’elle porte au Met Gala et le couple rigolo qu’elle incarne avec Ryan Reynolds que son talent dans ses nouveaux films.

Des antécédents, mean girlism et une promo façon sourde oreille

Ce qu’on reproche à Blake Lively, c’est sa promotion légère et offensante d’un film qui aborde des thèmes sociétaux si importants et graves. En effet, dans plusieurs interviews rassemblées par des internautes, nous voyons l’actrice éviter le sujet, faire preuve de cynisme, en rire, et parler du film comme s’il s’agissait d’une énième rom-com pour laquelle elle avait signé. Pour couronner le tout, elle a dressé un agenda médiatique foireux en lançant sa marque de soins capillaires pendant la promotion de ce film au sujet lourd. À ce stade, on peut se demander si ses agents ne veulent pas tout simplement lui nuire.

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On ne doit pas parler de ce que portent les femmes, ni négliger leurs discours à cause de leurs tenues. Malgré cette règle, les internautes ont aussi noté que les robes choisies par ses équipes reflétaient cet esprit candide et léger reproché face à la promotion de ce film. Elles sont candides, colorées, fleuries, puisque Lily Bloom est… fleuriste. Lors d’une avant-première, Blake Lively a même exhibé une archive Versace, déjà portée par Britney Spears au moment où la pop star subissait des violences qu’elle a racontées dans ses mémoires La Femme en moi. Pour promouvoir un film sur les violences conjugales, ce n’est pas d’hyper bon goût, surtout si ce n’est pas contextualisé.

D’autres lui reprochent aussi d’avoir exploité la sortie du film pour promouvoir, en plus de ses soins capillaires, sa marque d’alcool Betty Booze, en sponsorisant le bar d’une avant-première. Ici, Blake Lively ignore effrontément le lien entre l’alcoolisme et les violences conjugales. The Cut rapporte que sur Instagram, sa dernière publication vidéo est un “Girl Talk” un peu trop solaire avec Jenny Slate, Isabela Ferrer, qui jouent dans It Ends With Us, et l’autrice Colleen Hoover, dans lequel elles parlent en toute décontraction de leurs signes astro.

Ce qui agace, c’est que Blake Lively ne joue pas le jeu. Ce qui déçoit, c’est que Blake Lively refuse de se faire le porte-drapeau d’une cause et le porte-parole d’histoires qu’elle n’a jamais vécues. Parce que c’est ce qu’on attend d’elle, parce qu’elle est une femme, parce qu’elle produit un film sur le sujet, et il y a un milliard de choses qu’elle aurait pu faire pour servir la cause, comme donner la parole à des victimes et survivantes ou encore rappeler les numéros d’urgence pour les “Lily Bloom de ce monde”.

C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait très récemment, pour renverser la vapeur, en partageant le numéro de la National Domestic Violence Hotline et les chiffres des violences faites aux femmes, aux États-Unis : une femme sur quatre, soit 12 millions de femmes majeures. Peut-être que Blake Lively aurait subi un meilleur traitement si elle avait été un homme, peut-être qu’on en aurait attendu moins d’elle, mais il est certain qu’elle aurait subi un pire traitement si elle avait été une actrice racisée.

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En tout cas, c’est un sacré retour de boomerang : ce tollé prend racine avant tout dans ses scandales passés. Pour n’en citer que quelques-uns : une interview vidéo où elle mène la vie dure à une jeune journaliste lors de la promo de Café Society de Woody Allen (!), ce terme offensant à l’égard des personnes trans qu’elle a laissé glisser lors d’un entretien, cette fois où elle ne se mouillait pas trop pour les victimes de Harvey Weinstein, et le jour où elle s’est mariée sur une plantation de coton en Caroline du Sud, où des Noir·e·s ont été réduit·e·s en esclavage pendant plus de deux siècles.

Le défi : résister à la misogynie internalisée

Toutefois, il faut résister, selon moi, à la tentation de chasser les sorcières quand elles sont elles-mêmes des femmes victimes d’un système masculin bien rodé comme celui d’Hollywood, de traîner dans la boue une actrice mean girl qui est aussi privilégiée que problématique, et, surtout, d’ériger Justin Baldoni en icône militante féministe, à le porter aux nues pour peu qu’il s’exprime mieux sur un film qu’il a adapté et un livre qu’il a choisi – car c’est la moindre des choses. Certes, en tant que réalisateur, il fait le taf, il parle d’associations qui viennent en aide, il rappelle les numéros d’urgence, tandis que Blake Lively, en tant que productrice exécutive, tente de littéralement vendre le film par de la sponsorisation fumeuse, des “fashion coups” et du marketing de produits divers et variés.

On peut aussi noter que Blake Lively n’a pas tout le temps été exposée aux mêmes questions que Justin Baldoni, pour pouvoir briller autant que lui. Quand on questionne l’un sur le sujet de son film, on demande à l’autre “quel est [s]on plus grand rêve”. Quand elle répond que son personnage est “plus qu’une victime de violences domestiques”, Internet la condamne alors que c’est un discours que l’on retrouve chez beaucoup de “survivantes” de violences conjugales, qui ne veulent pas que leurs traumatismes les définissent et qu’on les perçoive en “victimes”. Dans certains montages vidéo, on peut voir que son propos est tronqué avant qu’elle ne puisse partager le fond de sa pensée.

De plus, sur le tournage, le réalisateur n’aurait pas laissé un bon souvenir à ses collaborateur·rice·s, dont Blake Lively, évidemment. Sur Instagram, Justin Baldoni suit tout le casting du film, mais aucun·e acteur·rice ne le suit en retour. Il n’existe aucune photo de promo où il est entouré de son équipe sur un tapis rouge, comme le veut la tradition. The Hollywood Reporter rapporte que deux fins différentes ont été considérées : celle de Blake Lively (aidée par un monteur externe de Deadpool & Wolverine) et celle du réalisateur. TMZ raconte que Blake Lively s’est aussi sentie fat shamed par Baldoni, lors d’une séquence où il devait la porter. Ayant des problèmes de dos, il aurait demandé son poids pour préparer la scène avec son entraîneur.

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Ironie du sort : sachez que face au backlash subi, le réalisateur s’est entouré de l’équipe des relations presse de Johnny Depp, oui oui, le même qui est accusé de violences conjugales envers son ex-partenaire Amber Heard. C’est cynique (sinon dégueulasse) pour quelqu’un qui semble dénoncer les violences faites aux femmes et qui déblatère à tous les micros qu’il croit toutes les victimes. Diffusée sur Netflix, la série documentaire Johnny Depp vs Amber Heard, relatant le procès entre les deux, nous montre bien que l’équipe de communication de Depp a usé de tous les stratagèmes numériques disponibles pour nuire à Amber Heard : bots TikTok, algorithmes boostés, diffusion de fake news, extraits tronqués, corruption d’influenceurs YouTube en échange d’une rencontre avec l’accusé et sponsorisations.

Et c’est peut-être cette stratégie-là, de gestion de crise sauvage, que Justin Baldoni utilise contre Blake Lively, vu la fulgurance de sa chute : pourquoi s’en priverait-il pour sauver son image, son film et se venger un peu des moments désagréables passés en sa présence ? Il n’est pas un meilleur homme que les autres hommes. La dernière fois qu’une promotion de film fut si désastreuse, c’était pour le film d’Olivia Wilde Don’t Worry Darling. Olivia Wilde et son actrice principale Florence Pugh en sont ressorties diabolisées. Il semblerait que les films grand public traitant de la violence que les hommes font aux femmes soient promis au même triste destin : à chaque fois, leur sujet est tu et masqué par une promotion sabotée qui paraît presque calculée.

L’acteur Brandon Sklenar, qui joue le personnage d’Atlas, a réagi à la controverse autour du film, auprès de The Hollywood Reporter : “Colleen Hoover et les femmes de ce casting représentent l’espoir, la persévérance et les femmes qui choisissent une vie meilleure pour elles-mêmes. […] Dénigrer les femmes qui ont mis tant de cœur et d’âme dans la réalisation de ce film parce qu’elles croient tellement au message qu’il véhicule semble contre-productif et nuit à l’essence même du film. C’est même tout le contraire. […] Ce qui a pu ou non se passer dans les coulisses ne nuit pas et ne devrait pas, espérons-le, nuire à nos intentions en faisant ce film. […] C’est décourageant de voir la quantité de négativité projetée en ligne.” Laissons les Hollywood scandals de côté un instant, et n’oublions pas que c’est le cœur de ces films qui est plus important et que 84 féminicides ont eu lieu en France depuis le début de l’année.

Un mauvais terreau : le cas de l’autrice Colleen Hoover

Si on va plus loin, on peut se dire que dès le départ, cette adaptation était maudite, puisqu’elle a été faite sur un mauvais terreau : les antécédents de l’autrice Colleen Hoover. Il n’y a pas de fumée sans feu : l’autrice avait également connu un backlash conséquent suite à la publication de ce roman. Comme le résument parfaitement ce subreddit et cet article de Peacock Plume, la romancière trimballe quelques casseroles, notamment dans la marchandisation de son best-seller, et c’est comme si Blake Lively s’était inspirée d’elle.

On reproche à Colleen Hoover de romantiser la violence faite aux femmes en usant de ressorts narratifs assez déplaisants. L’intrigue de ses romans s’attarderait davantage sur une poétique du pardon et la reconstruction que sur les violences mêmes. Plus grave, on l’accuse aussi de banaliser le viol dans ses histoires, de sexualiser les enfants, comme le note @celiasbookshelves sur TikTok.

@celiasbookshelves Replying to @Eleanelastar bref, banissez-la de vos bibliothèques parce qu’elle enchaîne ☠️ #booktokfrance #booktokfr #leclubdeslecteurs #celiablomgren #colleenhoover ♬ original sound - Celia Blomgren 🌈 | Booktok 📚

De plus, des rumeurs ont circulé à propos de son fils qui aurait été accusé de violences. La réaction de la romancière n’aurait pas été à la hauteur et un peu trop “en demi-teinte”, selon certain·e·s fans. On accuse aussi son éditeur d’avoir voulu capitaliser sur It Ends With Us à travers un livre de coloriage. Quelle mauvaise idée, après l’annonce officielle, ce livre ludique ne sortit jamais. Mais plus tard, le voilà qui sort une collection de vernis à ongles aux couleurs d’It Ends With Us.

Après tous les scandales qu’a cumulés la sortie du livre à cause de son marketing agressif, personne n’a appris de ses erreurs. Mais c’est finalement ça, le vrai problème de cette promotion : il existe aujourd’hui un capitalisme crasse et sans limites qui souille des œuvres littéraires, cinématographiques, sérielles, artistiques. À l’heure où les humains sont devenus des produits, où les internautes sont toujours plus dopé·e·s aux algorithmes et où les films ne sont parfois que des prétextes mercantiles, comment vendre un film sans que les marques ne le polluent, sans que des conflits d’intérêts économiques entrent en jeu ? Comment sauver un film d’une commercialisation cataclysmique ? C’est une course de vitesse que les maisons de production ne connaissent que trop bien, et leur machine finira par s’enrayer définitivement, on l’espère.

Merci à Lise Lanot pour les discussions WhatsApp sur les dramas hollywoodiens, pendant ses vacances.

Édit du 21/08/2024 : ajout de la citation de Brandon Sklenar.