Elle a été la première femme exposée au Musée national d’art moderne et l’une des rares à avoir été célébrées de son vivant : mise sur le banc des oubliées depuis, la sculptrice Germaine Richier (1902-1959) est à l’honneur d’une grande rétrospective à Paris.
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De vastes espaces parsemés de sculptures, parfois géantes, et de dessins accrochés aux murs : c’est dans cette scénographie épurée que le public a rendez-vous, jusqu’au 12 juin 2023, au Centre Pompidou, pour (re)découvrir les œuvres de cette artiste majeure du XXe siècle. “Notre ambition est claire : replacer Germaine Richier sous la lumière qu’elle mérite”, assure Ariane Coulondre, la commissaire de l’exposition.
Germaine Richier est une fulgurance. Célébrée de son vivant – malgré une carrière très courte de 1933 à 1957 – et exposée dans les plus grands musées du monde, elle n’a toutefois pas survécu aux années. “C’est comme si elle était restée bloquée dans son temps”, poursuit Mme Coulondre.
Alors, pour réparer cette “injustice”, l’exposition offre une plongée dans l’œuvre et la vie de cette artiste que le grand public a pu découvrir, sans doute sans le savoir, au gré de ses balades, comme en 1996 sur la célèbre avenue des Champs-Élysées à Paris, puis au jardin des Tuileries en 2000, où plusieurs de ses sculptures avaient été installées.
Germaine Richier, Le Diabolo, 1950. (© Adagp, Paris 2023/Centre Pompidou/MNAM – CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN – GP)
Les humains d’abord
Née en 1902 en Provence, Germaine Richier a étudié à l’école des Beaux-Arts de Montpellier, avant de rejoindre l’atelier parisien d’Antoine Bourdelle, dont elle a été l’élève de 1926 à 1929. De cette formation plutôt classique naîtront ses premiers travaux, qui ouvrent l’exposition : des portraits principalement. En bronze, bien sûr, mais aussi en plâtre, bien loin de ses sculptures hybrides qui l’ont rendue célèbre. Reste qu’on y retrouve l’ADN artistique de la sculptrice, centré sur l’humain.
Quelques années plus tard, elle délaissera les visages pour se concentrer sur les corps. Des corps creusés qui reflètent les tourments intérieurs. Comme L’Orage (1947-1948) et L’Ouragane (1948-1949), sculptures de près de deux mètres qui sont présentées dans l’exposition.
Dans L’Ouragane – pendant féminin de l’orage –, le corps est gonflé et semble prêt à libérer toute la violence des éléments. Des sculptures qui se saisissent davantage dans leur contexte historique : celui de l’après-Seconde Guerre mondiale. On retrouve cette réflexion dans son Christ d’Assy (1949-1950), qui avait fait scandale. Sans croix, le corps du Christ est décharné, rappelant ceux des rescapé·e·s de la Shoah. Son visage mutilé, déformé par la souffrance, est presque déshumanisé.
Germaine Richier dans son atelier derrière L’Ouragane, Paris, vers 1954, collection particulière. (© Michel Sima/Bridgeman Images/Adagp, Paris 2023)
Face au scandale, la sculpture a dû être retirée de la chapelle pour laquelle elle avait été conçue, avant d’y retourner… en 1969. À cette même période, Germaine Richier se lance dans des créations hybrides, mi-humaines, mi-animales. Araignée, mante religieuse, sauterelle… Très souvent des insectes qui peuplent sa Provence natale.
“Le choix des animaux n’est pas anodin. À chaque fois, ce sont ceux où le féminin domine”, analyse la conservatrice, pour qui Germaine Richier “était une femme libre”. D’autres de ses œuvres font écho à l’univers de la mythologie et à celui des contes et légendes, comme sa sculpture de cheval à six têtes.
“C’est quelqu’un qui interrogeait beaucoup notre rapport à la nature ainsi que nos racines profondes. Tout ça la rend très contemporaine”, souligne Ariane Coulondre. L’exposition, qui doit se rendre au musée Fabre de Montpellier d’ici l’été, prévoit aussi une itinérance internationale.