Un nouveau livre, L’Ère de la supernova, publié en janvier chez Actes Sud, son premier roman depuis quatre ans ; une adaptation en bande dessinée de son œuvre culte Le Problème à trois corps qui vient tout juste de paraître au Rayon Imaginaire ; la sortie en grande pompe d’une autre adaptation de ce même roman, en série cette fois, sur la plateforme Netflix, avec, aux manettes, David Benioff et D. B. Weiss, les créateurs de la série Game of Thrones : difficile de faire un début d’année plus tonitruant que celui de Liu Cixin.
À voir aussi sur Konbini
Tout se passe comme si 2024 était pour lui l’année de la consécration. Mais ne vous y méprenez pas, si, en France, nombreux sont ceux qui découvrent aujourd’hui le romancier chinois, cela fait déjà plusieurs années qu’il est une icône adulée dans son pays et un génie de la science-fiction convoité par les Anglo-Saxons.
Dire que Liu Cixin est un inconnu dans l’Hexagone serait une erreur. Disons plutôt que le romancier chinois vit aujourd’hui ce que vivaient certains géants de la SF américaine au siècle dernier, quand le genre appartenait vraiment à l’underground. Neal Stephenson dans les années 1990 ou Philip K. Dick avant lui, au cœur des années 1960, jouissaient en France d’un statut schizophrène, la passion ou le silence sans juste milieu.
Adulé par une communauté de fans qui voit en lui un visionnaire, Liu Cixin passe aujourd’hui totalement au-dessous des radars de la grande majorité du public français. Un lectorat replié sur lui-même, une critique focalisée sur la culture occidentale, des éditeurs qui ne poussent pas assez à la découverte des auteurs asiatiques : en matière de littérature, la France a toujours beaucoup regardé son nombril et a pu parfois passer à côté de grands, très grands romanciers. Heureusement, il n’est jamais trop tard pour se rattraper.
Un enfant de l’imaginaire
Comment devenir un géant de la science-fiction mondiale dans un pays qui a longtemps banni le genre des bibliothèques ? L’histoire de Liu Cixin, c’est d’abord celle d’un gamin qui grandit pendant la Révolution culturelle chinoise (1966-1975), une période de durcissement extrême du régime de Mao Zedong qui fera des millions de victimes. Pendant une décennie, mis à part le Petit Livre rouge, impossible d’accéder à la littérature.
Même le régime suivant, celui de Deng Xiaoping, censé être plus libéral, pilonne systématiquement les œuvres de science-fiction, jugées responsables de la perversion de la jeunesse. Comme un symbole, chez le jeune Liu Cixin, un livre trône comme un vestige dans les étagères familiales, un trésor qui va précipiter sa vocation : une édition chinoise du Voyage au centre de la Terre de Jules Verne.
C’est la lecture de ce monument de l’imaginaire qui va le conduire sur le chemin de l’écriture. Mais écrivain n’est pas un vrai métier dans un régime communiste chinois où il faut participer activement à l’élévation de la société pour exister. Alors en attendant d’explorer les mystères de l’univers dans ses fictions, il les étudie grâce à la science et devient physicien. Ingénieur dans une centrale électrique du nord-est de la Chine, il attend patiemment son heure en griffonnant des textes sur ses carnets.
De la “hard SF” moins politique et plus scientifique
Comment écrire de la science-fiction, l’un des genres littéraires les plus engagés qui soit, dans un pays comme la Chine où la censure des artistes est omniprésente, où chaque écrit, chaque prise de parole politique est passible de sanctions ?
Si, contrairement à d’autres écrivains du genre, Liu Cixin est libre de publier comme bon lui semble sans trop avoir à subir les foudres du parti, c’est parce qu’il incarne un pan bien précis de la science-fiction : la “hard SF”, inspirée par l’exploration de l’espace et des mondes inconnus, par les limites ou les potentialités de la science et de la technologie plutôt que par la représentation d’anomalies politiques et sociales du présent poussées à leur paroxysme dans le futur. 2001, l’odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke plutôt que La Servante écarlate de Margaret Atwood pour résumer. La science et l’aventure plutôt que la dystopie engagée.
L’Ère de la supernova, le roman qui vient tout juste de paraître en France, est un des premiers textes publiés par Liu Cixin en Chine. Imaginez une étoile qui explose tout proche de la Terre. Dans son sillage, elle provoque des radiations mortelles pour tout humain âgé de plus de 13 ans. Le pouvoir aux enfants au milieu du chaos. L’occasion de redessiner notre monde.
Mais qui a dit que jeunesse était synonyme d’innocence ? L’Ère de la supernova donne un bon aperçu de ce qui fait la force impressionnante des romans de Liu Cixin. Une intrigue haletante où se joue le sort de notre planète, beaucoup d’action et de rebondissements mais aussi une invitation à la réflexion sur ce qui fonde l’humanité, sur ce qui fait société et sur le prix inestimable de la vie. Un mélange de divertissement et d’érudition qui fait mouche mais qui est encore loin de son grand chef-d’œuvre, la trilogie du Problème à trois corps.
Une œuvre magistrale et une adaptation prometteuse
En 2015, Liu Cixin crée l’événement. Il devient le premier auteur chinois à remporter le prestigieux prix Hugo, qui récompense les plus grands écrivains de SF depuis 1953. Il vient ajouter son nom au palmarès aux côtés de géants comme Philip K. Dick, couronné en 1963 pour Le Maître du Haut Château, Ursula K. Le Guin, couronnée en 1970 pour La Main gauche de la nuit, ou encore Isaac Asimov, couronné en 1983 pour Fondation foudroyée. N’y allons pas par quatre chemins : Le Problème à trois corps est du niveau de ces œuvres culte et il compose, avec La Forêt sombre (2017) et La Mort immortelle (2018), une trilogie qui restera dans les annales.
1967, en plein cœur de la Révolution culturelle chinoise, Ye Wenjie, une astrophysicienne virtuose mais furieuse contre le régime parce qu’il est responsable de la mort de son père, est mutée dans une base militaire secrète. Là-bas, elle travaille sur un système de télétransmissions dirigé vers l’espace. Un jour, elle capte un étrange signal et entre finalement en contact avec une autre civilisation. Les Trisolariens, pour les trois soleils qu’ils aperçoivent dans le ciel, appellent à l’aide car leur planète est au bord de la destruction. De la réponse de Ye Wenjie dépendra le sort de l’humanité.
Puis le récit se téléporte trente-huit ans plus tard. Deux hommes enquêtent sur une série de mystérieux suicides de chercheurs qui laissent derrière eux les traces d’un étrange compte à rebours. Wang Miao travaille pour le gouvernement chinois et va découvrir l’existence d’un jeu en réalité virtuelle appelé Troisième Corps qui contient des indices énigmatiques liés aux Trisolariens. Shi Qiang, lui, n’est qu’un policier pris au piège d’une affaire qui le dépasse. Et si un peuple d’extraterrestres s’apprêtait à coloniser la Terre ?
Jongler entre les époques, les pays et même les mondes avec une aisance épatante, intégrer au récit sans jamais nous perdre des théories qui empruntent à la physique et à l’astronomie, mettre en scène un multivers fascinant où les réalités et les dimensions s’enchevêtrent, tout cela mené tambour battant et saupoudré d’une passionnante réflexion philosophique : voilà ce que nous offre Liu Cixin dans sa trilogie et voilà ce qui rendait aux yeux de beaucoup cette histoire inadaptable.
Pourtant, à la vue des premières images et surtout des premières critiques, David Benioff et D. B. Weiss semblent avoir encore fait des merveilles. Une excellente nouvelle pour les contrariés de la lecture qui auront l’occasion de plonger autrement dans cette fabuleuse aventure.