Il y a des choses que l’on peut reprocher à Nicolas Bedos et à son cinéma. Mais une chose est indéniable : le bonhomme sait écrire. On peut ne pas aimer son style, mais il en a un, franc, reconnaissable. Des thèmes qui reviennent. Des types de personnages plus marqués que la moyenne.
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Un goût certain pour la littérature ou le cinéma d’antan aussi, qui s’est toujours ressenti dans sa filmographie, et qui ressort tout particulièrement dans Mascarade, son dernier long : une histoire d’amour entre deux travailleur·euse·s du sexe, lui évoluant autour d’une grande actrice, elle virevoltant à gauche, à droite. Les deux décident de s’unir pour arnaquer des plus riches. Un film noir et sensuel comme il s’en faisait dans les années 1970-1980.
En plus de ramener Pierre Niney dans notre Vidéo Club, nous avons voulu discuter avec l’auteur du film. Pour justement lui demander d’où lui vient cet amour pour le passé, quelle importance pour la France dans ses récits, et comment il sait qu’il tient une bonne histoire.
Konbini | Pour commencer : quand tu écris un film, que tu as trouvé une intrigue, cela nécessite de réussir à écrire des personnages que tu vas pouvoir supporter sur la durée, parce qu’un film c’est souvent trois ou quatre années de boulot. Est-ce que tu te souviens du moment où tu t’es dit pour Mascarade “OK, c’est bon. Les personnages, je crois que je les tiens bien” – parce que c’est un film qui ne tient que par les interactions entre les personnages ?
Nicolas Bedos | J’ai toujours beaucoup d’histoires en tête. Je gamberge en montant sur mon scooter, en allant nager à la piscine — beaucoup à la piscine. Je fais partie de toute une tradition, j’ai découvert ça plus tard, d’auteur nageur. Parce qu’on s’emmerde, et que quand on est seul, dans le silence de l’eau, tout ça… Donc j’ai toujours beaucoup d’histoires en tête, et en fait, c’est comme un concours : celle qui gagne, c’est celle qui me semble être l’occasion de donner le plus de plaisir à la fois à moi-même, mais aussi aux spectateur·ice·s éventuel·le·s. J’ai l’impression que je vais raconter plus de choses dans celle-là. C’est quasiment physiologique.
Et là, c’est cette histoire qui a gagné pour ces deux années-là. Mais j’avais d’autres envies, et peut-être que je me trompe. En tout cas, je choisis, et tu as dit un truc assez juste : il va falloir que je les tienne pendant de longues années. J’ai remarqué, que ça soit sur La Belle Époque, Monsieur et Madame Adelman ou Mascarade, que c’est aussi le film le plus dangereux que j’ai en tête à ce moment-là qui l’emporte. L’histoire la plus dangereuse, c’est celle où il y a une part d’inconnu, parce que c’est ça qui va me permettre d’aller au turbin pendant des semaines et des mois, à aller réclamer de l’argent, faire des storyboards, travailler la mise en scène, retravailler le scénario.
C’est vrai que si c’est totalement balisé – il m’est arrivé parfois d’écrire des histoires que je ferai peut-être un jour, mais où ça marchait comme sur des roulettes, sans part d’ombre – c’était presque un peu facile, et si tu as déjà vu le film ailleurs, il va falloir que tu remplisses des journées à faire un film que tu as déjà un peu vu dans ta tête. Là, Mascarade, il m’arrivait de temps en temps, à des endroits précis, de ne pas savoir exactement ce que je voulais raconter.
Mascarade est un film plein de références. Quand tu écris, ça, tu l’as en tête ? Tu le réalises, et ça peut t’aider à savoir où tu vas, non ?
Non. J’ai d’abord écrit un roman qui a raté, ce qui a d’ailleurs énormément nourri le film. Si le film est aussi dense, c’est parce qu’il y a beaucoup, beaucoup de choses qui étaient dans le livre que je n’ai pas réussi à terminer. Puis, il faut savoir que toutes ces histoires sont vraies. Je me suis rendu compte que tous ces éléments personnels s’inscrivaient assez bien dans les codes du genre film noir, comédie noire plus précisément : la femme fatale, les trahisons, la cupidité, le décor un peu exotique… Tous ces films d’Orson Welles, en passant par Mankiewicz et Howard Hugues, qui se passaient souvent soit à Cuba, soit dans les Keys en Floride ou encore dans les colonies, Shanghai et tout ça…
Quand tu regardes sur Wikipédia le film noir, tu vas retrouver à peu près tous les éléments de Mascarade, y compris la fin cruelle.
Ce qui m’interroge déjà, c’est que tu trouves ça plus facile d’écrire des scénarios que des romans ?
Oui. Parce que j’ai été nourri par des romanciers très, très, très, très grand stylistes.
Tu as un style très prononcé.
Oui, oui. Sur des formats plus courts, j’ai réussi à exprimer mon goût de la forme mais sur des formats très longs je me perds dans une façon de m’écouter écrire. Je veux que chaque phrase soit brillante, et j’avance à deux à l’heure, alors même que j’ai une montagne à gravir.
Je pense que le romancier en moi a payé très cher mon impatience. Et pourtant, je rêve de faire un roman ample, parce que c’est souvent ce que j’aime lire. Mais je trouve ça plus difficile parce que quand j’écris un scénario, je crois que j’ai acquis une forme de savoir-faire, avec le temps. J’ai 43 ans, et j’ai écrit 17 scénarios. Et puis, surtout, c’est tout de suite la situation et les dialogues. Un roman, c’est une potentialité de réflexion et de mots, de description et d’ironie psychologique, de monologue intérieur. Je me laisse aller. J’adore écrire : j’écris trop, puis je relis. Et je trouve ça indigeste.
Tu disais tout à l’heure que ce que tu racontes est souvent lié à toi. C’est inconscient, ou c’est parce que c’est plus simple pour toi d’injecter du vécu dans tes scénarios ?
Oui, et d’ailleurs, c’est pour ça que je fais des films auxquels on peut reprocher de se passer dans des milieux qui ne sont pas particulièrement représentatifs de la société française. Mais c’est parce que je trouverais ça encore plus odieux de m’inspirer des sociologues des banlieues, ou de l’art, ou de la diversité. Je parle de ce qui me catégorise. Petits blancs, bourgeois, arrogants, hétéros. Néanmoins, c’est aussi la vérité.
Dans Mascarade, par exemple, c’est un monde que je donne à voir au public parce que je le connais et qu’ils peuvent être sûrs qu’il y a du vrai. À la façon de Françoise Sagan, à qui on reprochait de raconter des histoires bourgeoises – mais Françoise Sagan évoluait, vivait, était née dans un milieu bourgeois. Et d’ailleurs, il y avait des lecteur·rice·s de toutes sortes qui prenaient beaucoup de plaisir à lire ses romans. Il ne faut pas faire semblant d’être ce que l’on n’est pas.
Ça serait de l’appropriation sociale et culturelle.
Mais après, on pourrait dire que c’est un exercice de style que justement d’essayer de raconter ce que tu ne connais pas.
Je m’y essaierai peut-être. Je n’ai pas encore ce courage et cette prétention pour l’instant. Je veux déjà donner aux gens un aperçu de ce que je maîtrise bien.
Dans les quatre films que tu as réalisés, il y a un rapport, soit au temps qui passe, soit au temps passé qu’on regarde avec nostalgie. C’est important pour toi, d’essayer d’avoir ce recul-là, de ce que c’est que notre époque, ce qu’était l’époque d’avant ? Et de ce que représente l’évolution entre les deux ?
J’ai un peu honte, mais étant un fils de vieux, j’ai été énormément nourri par mon père et mon parrain Jean-Loup Dabadie, qui étaient beaucoup plus âgés qu’un père normal. Et par ma marraine Gisèle Halimi également. Je les écoutais raconter une époque qui m’a incroyablement fait rêver. Et j’ai souvent été très jaloux de mes aîné·e·s, aussi parce qu’il y avait un âge d’or.
Pour ne parler par exemple que de la Côte d’Azur qui est décrite dans le film. Moi, j’ai eu accès aux archives de photographes ayant couvert la Côte d’Azur, ou même à certains films. Dans les années 1960 et 1970, et jusqu’aux années 1980, le paysage était incroyablement préservé. Ça, c’est un fait. Ce n’est pas être nostalgique, ou un vieux con réac.
Je n’ai pas dit ça !
Non, non. Mais je me pose la question de temps en temps, parce que c’est vrai qu’il y a chez moi une envie de retrouver certains parfums, certaines odeurs d’une époque que je n’aurais peut-être pas aimé d’ailleurs. Mais c’est comme ça. Depuis que je suis tout petit, j’adore les films de James Ivory qui se passaient au début du XXe siècle, ou à la fin du XIXe.
J’ai toujours aimé voyager à travers le temps – dans l’avenir aussi d’ailleurs, parce que je suis assez fan de la SF – aussi bien en tant que lecteur qu’en tant que spectateur. J’aime voyager et j’aime voyager dans le temps. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus excitant. Si je n’étais pas français et si j’avais des moyens importants ; parce qu’en France, on n’a pas les moyens de faire ça bien ; je n’aurais rien contre faire un film qui se passerait dans un monde parallèle dans les années 4000 ou 5000 par exemple.
Si ce n’est qu’il y a un truc qui est quand même un peu franco-français dans tous tes films donc, et ce serait sans doute plus dur dans la SF…
Malgré moi ! Je ne me sens pas très français, tu sais. Je suis très proche de Fanny Ardant par exemple, qui est à moitié italienne, et de Laura Morante, avec qui je suis à nouveau en train de tourner, qui est italienne et qui vit à Rome. Je me sens beaucoup plus proche de la culture et du cinéma italien que du cinéma français. Par exemple, je suis relativement hermétique à la Nouvelle Vague.
Il y a un ton et une histoire beaucoup plus cérébrale, beaucoup plus dure, beaucoup plus intellectuelle dans le rapport au cinéma en France, d’ailleurs c’est un milieu très dur. Il y a des ancien·ne·s critiques et des ancien·ne·s journalistes, ce sont des gens qui ont commencé par taper sur les cinéastes qui les ont précédés. Je ne m’identifie pas beaucoup à tout ça. Je m’identifie davantage à cette génération de l’essor de la comédie italienne où on riait, on était dans la satire, on se moquait de soi-même.
Les acteur·rice·s étaient d’ailleurs beaucoup moins ténébreux·ses et beaucoup plus comiques. Des gens comme Vittorio Gassman, Nino Manfredi, Alberto Sordi, qui ont fini par jouer des rôles dramatiques, mais qui au départ, étaient des clowns. Même Mastroianni. Je me sens plus proche de ça quand je fais Adelman, par exemple. Et le film a plus de succès en Italie qu’en France. Parce que quand on regarde Mariage à l’italienne ou même Divorce à l’italienne, cette espèce de jeu de massacre d’un mariage sur tant d’années, c’est un truc qui est très italien.
La Côte d’Azur, à la limite, c’est aussi une côte aussi italienne. Mais La Belle Époque, c’est vraiment le café français, les pubs françaises, Et puis même si on en a beaucoup parlé, mais OSS malgré tout, ça, c’est l’espion à la Française. Donc il y a quand même ce truc à essayer d’ingérer un peu malgré tout.
C’est vrai, c’est vrai, mais si tu regardes bien, le genre dans lequel je m’inscris est un genre à la fois romanesque, satirique, où il y a de l’émotion et de l’humour. On essaye en tout cas de mettre de l’humour et de l’émotion. Ce n’est pas un truc qu’on voit énormément dans le cinéma français.
Mais Mascarade est ton film le moins drôle, peut-être.
Ah ça, c’est certain.
Parce que c’est celui qui a été le plus loin dans le drame. Il y a quand même ce truc d’aller loin dans la noirceur, d’aller loin dans ce que peut faire l’être humain de plus mauvais.
C’est peut-être pour ça d’ailleurs que c’est mon film le plus difficile et le plus téméraire d’un point de vue commercial, je pense. Je ne sais pas, parce qu’on peut avoir des belles surprises, mais c’est vrai que depuis le début, en tout cas avec mes producteurs, on se dit que je tente quelque chose qui ne s’inscrit pas dans les recettes habituelles.
Le film est plein d’atouts. Mais on prend quand même un vrai un risque. Le film ne se termine pas particulièrement bien. Les personnages ne sont pas tous aussi attachants que dans La Belle Époque, par exemple. Moi, je les adore, parce que je les connais. Mais il y a de la violence dans les rapports amoureux. Ça ne termine pas avec un grand baiser et ils firent plein d’enfants et tout ça.
Mascarade est disponible en salle.