Dans sa ferme, à 35 kilomètres du front, elle photographiait soldats et civil·e·s pendant la Première Guerre mondiale, pour “envoyer des nouvelles” à leurs proches : l’histoire de Mina, couturière et photographe autodidacte, est racontée jusqu’en juin 2022 au Mémorial 14-18 Notre-Dame-de-Lorette (Pas-de-Calais).
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L’exposition, qui présente plus d’une centaine de portraits, “part d’une incroyable découverte, dans les années 1980”, retrace son initiateur, le président de l’association Déclencheurs de Mémoires, Thierry Dondaine. Regina Louchart-Labitte, surnommée “Mina”, “était la grand-mère de mon ex-épouse”, confie-t-il. “Un jour, à 91 ans, elle me voit rembobiner une bobine d’appareil photo, et demande combien j’en fais avec cette pellicule. Elle me dit : ‘Moi, à mon époque, c’était une seule à la fois.’“
© Mina/Déclencheurs de Mémoires
Elle raconte alors son histoire. En 1914, cette jeune couturière de 20 ans, renommée dans la région, vit dans la ferme familiale à Bourecq (Pas-de-Calais). Passionnée de photographie, elle s’est formée elle-même sur plaques de verre. “Quand la guerre a éclaté, elle a eu une demande, d’abord de civils, qui voulaient envoyer des photographies à leurs proches partis au front, pour les soutenir”, relate M. Dondaine.
“Rendre service”
Le village, situé dans une zone comptant lieux de cantonnements et hôpitaux de campagne, devient rapidement une “plaque tournante” de soldats, allant ou revenant du combat. Français et alliés s’y reposent, attendent leur affectation et participent à la vie locale.
© Mina/Déclencheurs de Mémoires
Des Britanniques, Gallois, Canadiens, Belges, Portugais mais aussi Indiens, et même travailleurs chinois, se succèdent devant son objectif. “Eux aussi demandaient des portraits, pour les envoyer chez eux”, explique M. Dondaine. La photographe vend “à prix coûtant, pour ‘rendre service’, selon ses mots”.
Après ce récit, Mina offre à M. Dondaine les vestiges de son travail, reposant au grenier. “Une caisse pleine de poussière” et des “centaines de négatifs”, dont environ 600 ont pu être sauvés. Mais dans les années 1980, développer coûte cher, et M. Dondaine devra attendre l’essor du numérique, des années plus tard, pour pouvoir sauvegarder, trier et classer.
© Mina/Déclencheurs de Mémoires
Parmi les mystères qui demeurent : l’identité de ces visages, Mina n’ayant jamais tenu de registre. De “rares clichés” contiennent des indices, comme celui, exposé au Mémorial, des membres souriants d’une unité médicale mobile britannique, brandissant le nom de leur régiment. L’écriteau a permis de “retrouver une traçabilité dans les archives anglaises”. M. Dondaine espère aussi confirmer, via les archives portugaises, l’identité d’un lieutenant. Mais les sans-grade resteront anonymes.
Témoignage “universel”
Les châssis exposés en vitrine, et quelques développements originaux retrouvés, “permettent de déduire que Mina imprimait sur carte postale”, une méthode courante à l’époque, note Emeline Druelle, chargée de médiation au Mémorial.
Une émouvante correspondance avec un soldat français est aussi dévoilée au public. “On y devine qu’elle était marraine de guerre, et ce soldat, qu’elle ne connaissait pas avant le conflit, deviendra plus tard son mari”, sourit Mme Druelle.
© Mina/Déclencheurs de Mémoires
Maquette de sa ferme, reconstitution de son studio équipé d’un fond imprimé, appareils d’époque : l’exposition détaille sa technique, inspirée des professionnel·le·s. “D’autres civils ont photographié des soldats”, mais cette collection importante “offre un témoignage à dimension universelle” de cette vie à l’arrière du front, estime Mme Druelle.
Ici, une équipe de football britannique sourit. Plus loin, deux Portugais rejouent un combat avec un casque allemand. D’autres semblent écrire une lettre, jouent de la musique ou partagent un moment avec des enfants. Le public découvre des soldats au visage juvénile, déjà marqués par l’horreur, d’autres fiers en uniforme, mais aussi des scènes de joie et de camaraderie.
Une image surprend : six femmes fixant l’objectif, vêtues d’un uniforme militaire mais de chaussures à talons, Mina posant au centre. L’original, retrouvé chez ses descendant·e·s, porte “un mot envoyé au front”, précise M. Dondaine. “Un message de soutien, et de séduction.”
© Mina/Déclencheurs de Mémoires
Konbini arts avec AFP