Le samedi 21 octobre 1967, Jan Rose Kasmir décide de ne pas faire la grasse matinée. Ce jour-là, la jeune fille de 17 ans se rend plutôt à la grande marche organisée en protestation de la guerre du Vietnam. La lycéenne rejoint le cortège d’une centaine de milliers de personnes qui s’élance du mémorial de Lincoln jusqu’au Pentagone, à Washington D.C. Sur le parking de ce bâtiment symbolisant la Défense états-unienne, la foule nombreuse revendique la paix, en réaction directe au sang versé depuis plus de 13 ans par l’armée états-unienne au Vietnam.
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Face aux rangées de soldats et leurs armes pointées vers l’avant, les pacifistes ne se démontent pas, brandissent des fleurs et soutiennent le regard des militaires. C’est le cas de Jan Rose Kasmir, qui s’avance vers les baïonnettes tendues et place, face à son visage, un chrysanthème – une fleur symbolisant la mort en France.
L’instant, immortalisé par le photographe français Marc Riboud, devient un des symboles de cette contestation pacifique qui grandit outre-Atlantique. Cette opposition entre deux États-Unis est magistralement représentée par une composition symétrique, où les lignes de fuite marquées par les baïonnettes convergent vers la fleur.
La Jeune Fille à la fleur, Washington D.C., États-Unis, 1967. En octobre 1967, la jeunesse américaine défile en masse contre la guerre du Vietnam devant le Pentagone à Washington. À la tombée de la nuit, tandis que la foule se disperse, cette jeune fille, une fleur à la main, s’approche des baïonnettes. “La jeunesse américaine avait ce jour-là un beau visage”, dira Marc Riboud. (© Marc Riboud/Fonds Marc Riboud au MNAAG)
“C’était juste des jeunes hommes”
En 1969, la photographie fait la une d’une édition spéciale du magazine Look, et fait ensuite le tour du monde. Devenue un symbole de cette jeunesse pacifique, Jan Rose Kasmir a rapporté a posteriori les sentiments d’effroi et d’incompréhension – plus que de peur – qui l’ont traversée à ce moment-là.
“Je suppliais [les soldats] de nous rejoindre. ‘Vous ne voulez pas vraiment me tuer, rejoignez-nous.’ Le moment où Marc a pris la photo, mon visage était empreint de tristesse […]. Toute ma rhétorique s’est envolée. C’était juste des jeunes hommes. Ils auraient pu être mes copains. Ils auraient pu être mes frères. Ils étaient aussi des victimes de tout cela. […] C’était juste des êtres humains, des marionnettes souffrant de cette horrible, horrible mascarade… C’était un geste de prière”, confiait-elle au site Sixties Survivors.
Lors de cette même journée, une image intitulée “Flower Power“, prise par le photographe Bernie Boston, est également devenue un symbole de la résistance pacifique – jusqu’à être nommée pour un Prix Pulitzer la même année. On y voit le jeune George Harris insérer des fleurs dans le canon de fusils.
Le temps passant, Jan Rose Kasmir n’a rien perdu de son militantisme et continue de courir les manifestations. En 2003, Marc Riboud l’a de nouveau photographiée en pleine protestation contre la guerre en Irak et, en 2017, elle était présente à la Women’s March de Washington D.C. Marc Riboud est décédé en 2016 mais son œuvre, résistante, engagée et politique, lui survit et continue d’éclairer notre actualité, à la lumière du passé. Il documenta notamment des villages vietnamiens détruits par les États-Unis, des champs de bataille, ainsi que l’indépendance de l’Algérie et la révolution islamique en Iran.
L’exposition dédiée au travail de Marc Riboud, “100 photos en 100 ans”, est visible au Musée des Confluences de Lyon jusqu’au 31 décembre 2023.