La première rétrospective états-unienne de l’artiste palestinienne Samia Halaby s’apprêtait à se tenir au musée d’art de l’université de l’Indiana à partir du 24 février prochain. L’exposition, intitulée “Samia Halaby: Centers of Energy”, devait être présentée durant quatre mois et était en préparation depuis trois ans. Conséquente, elle rassemblait des œuvres issues de collections publiques et privées ainsi que venant de l’artiste elle-même. Mais voilà, à quelques semaines de l’ouverture de l’exposition, cette dernière a été annulée. La peintre de 87 ans a été tenue informée de cette annulation le 20 décembre dernier via une “lettre de deux phrases” citant des “questions de sécurité”. L’équipe de Samia Halaby souligne dans une pétition lancée pour renverser cette décision qu’“aucune menace n’a été enregistrée à l’encontre des œuvres ou du campus”.
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Peintre pionnière de l’art abstrait, Samia Halaby a quitté son pays natal à ses 11 ans, pendant la Nakba, mais elle n’a jamais cessé de raconter sa terre natale et de donner la parole à ses compatriotes palestinien·ne·s : “Il existe un lien entre mon abstraction et le fait que je sois Palestinienne, que ma maison m’ait été volée, que mes compatriotes soient constamment sous la terreur israélienne et états-unienne. Être Palestinienne et être considérée comme extérieure à la société états-unienne me permet d’avoir un point de vue extérieur sur l’intérieur – ce que ceux qui demeurent à l’intérieur ne peuvent pas avoir. […] Depuis l’extérieur, je suis libre de regarder où je veux, je vois que le monde est bien plus grand et que ceux qui restent à l’intérieur sont enfermés dans une cage pleine de privilèges, mais une cage quand même”, nous confiait l’artiste en septembre 2023.
Elle a notamment représenté “le massacre de Kafr Qassem, de 1956, quand l’État d’Israël a délibérément tué 49 travailleurs qui rentraient chez eux à la fin de leur journée” : “Je voulais fidèlement rapporter ce qui s’était passé dans ce village. Je ne voulais pas créer une composition de symboles. Je me documentais consciencieusement, d’après une recherche attentive. Ce n’était pas une exploration de mon langage pictural comme avec ma peinture abstraite. C’est un usage réfléchi de l’histoire du langage pictural pour décrire un événement.”
Couverture de Drawing the Kafr Qasem Massacre, édité chez Schilt Publishing. (© Samia Halaby)
Réduire ainsi au silence une artiste qui tente de rapporter les souffrances vécues par son peuple, au moment où ce dernier se fait massivement tuer sous les yeux du monde, est une nouvelle violence, un ricochet de l’assujettissement imposé aux Palestinien·ne·s. En fin d’année, c’est l’Allemagne qui se faisait épingler pour le nombre d’expositions en lien avec la Palestine annulées sur son territoire.
Si plusieurs pays ont connu “des annulations d’événements dans des circonstances similaires”, l’AFP soulignait une “tendance […] particulièrement prononcée” en Allemagne, “dans un pays où la culpabilité pour la Shoah pèse lourd”. “Le Fonds du patrimoine culturel de la Sarre a déclaré qu’il ‘n’offrirait pas de plateforme aux artistes qui ne reconnaissent pas la terreur du Hamas comme une ‘rupture civilisationnelle’ ou qui brouillent consciemment ou inconsciemment les frontières entre les actes légitimes et illégitimes'”, ajoutait l’agence de presse.
Vous pouvez retrouver le travail de Samia Halaby sur son compte Instagram et sur son site. Vous pouvez signer la pétition ici.