Alors que le procès va bientôt s’ouvrir, le témoignage de la victime supposée du rappeur XXXTentacion a été rendu public. Une nouvelle manifestation glaçante d’un problème de société qui dépasse les frontières du rap.
À voir aussi sur Konbini
Quasiment un an après que les faits auraient été commis, le magazine Pitchfork a obtenu le dossier comprenant le témoignage de la jeune femme qui aurait été la victime de violences aggravées de la part de XXXTentacion. De son vrai nom Jahseh Onfroy, ce rappeur floridien de 19 ans est accusé de coups et blessures aggravées sur une femme enceinte, de séquestration arbitraire, violences conjugales par étranglement et de falsification de témoignage. Sorti de prison fin mars pour des histoires de violence et d’armes, Jahseh Onfroy a plaidé non coupable, et rejeté les accusations lors de plusieurs interviews. Le procès devrait commencer le 5 octobre. S’il est reconnu coupable, le jeune homme pourrait être condamné à plusieurs années de prison ferme.
Vendredi 8 septembre, Pitchfork a annoncé s’être procuré les 142 pages de la retranscription de la déposition de la victime présumée, qui aurait raconté les violences subies pendant deux heures et demie dans le bureau d’un avocat commis d’office, à Miami, en janvier dernier. La femme a décrit un terrible schéma de violences routinières, et détaillé ce qu’il s’était selon elle passé les jours ayant précédé les accusations. Le site retransmet son témoignage par ordre chronologique, et commence deux semaines après que la victime supposée a emménagé avec Jahseh Onfroy. Le même jour, le jeune homme l’aurait “giflée” et aurait cassé son iPhone 6S “parce qu’elle avait complimenté un ami sur ses nouveaux bijoux”. Plus tard, il aurait quitté la pièce pour y revenir avec deux ustensiles de grill – une fourche à barbecue et une brosse de nettoyage – et lui aurait demandé de choisir entre les deux celui qu’il allait lui mettre dans le vagin. Après s’être déshabillée, elle se serait évanouie alors qu’il frottait lentement l’ustensile vers l’intérieur de sa cuisse. D’autres violences choquantes sont racontées par la jeune femme, qui a décrit de nombreuses blessures, comme des yeux au beurre noir, de gros bleus et une perte de sa vision.
Tortures quotidiennes
Il l’aurait également menacée de lui couper la langue, lui aurait maintenu la tête sous l’eau, l’aurait frappée avec des cintres, lui aurait donné des coups de tête, aurait essayé de l’étrangler à plusieurs reprises… entre autres choses. Début octobre 2016, quand elle lui a annoncé qu’elle était enceinte (une grossesse qu’ils avaient par ailleurs planifiée ensemble), il l’aurait frappée avec ses coudes, sa tête et ses poings, l’étranglant jusqu’à ce qu’elle perde quasiment conscience. Son agresseur supposé et les amis de ce dernier lui auraient ensuite fait mettre un sweat à capuche pour l’emmener dans un lieu éloigné, où ses blessures aussi graves que visibles ne risquaient pas de donner l’alerte. Jahseh Onfroy l’aurait alors privée de son téléphone et maintenue en captivité dans une chambre dont les fenêtres avaient des barreaux. La jeune femme aurait finalement réussi à s’enfuir, et la mère d’un ancien petit ami l’a emmenée à la police.
Pitchfork explique avoir également obtenu les retranscriptions de dépositions antérieures, faites par l’ancien petit ami de la victime supposée, la mère de celui-ci et l’officier de police qui a questionné la victime présumée en premier. Selon Pitchfork, ces dépositions corroborent les dires de la victime supposée. Après avoir fait allusion à une partie du témoignage de la jeune fille – dans laquelle elle explique avoir été attaquée parce qu’elle avait fredonné un air d’un autre rappeur –, l’officier de police, en service depuis 23 ans, a déclaré : “De toute ma carrière je n’avais entendu quelque chose comme ça.”
La violence en étendard
La violence du rappeur a déjà pu être vue sur scène comme à la ville : des paroles de ses chansons jusqu’à ses déclarations sur les réseaux sociaux, il la brandit comme un étendard et une marque de fabrique. Avec un nonchalant “love is dangerous” (“l’amour est dangereux”), il normalise par exemple sur Twitter les violences conjugales, voire encourage ses followers à la pratiquer.
love is dangerous
— MAKE OUT HILL - XXX (@xxxtentacion) 19 août 2017
Il s’est d’ailleurs adressé à sa victime présumée avec son titre “Carry On”, où il déclame notamment “Bitch, I’m hoping you fucking rest in peace” (“Salope, j’espère que tu reposeras en putain de paix”). Pourtant, comme le rapporte également Vulture, XXXTentacion a récemment été sélectionné dans la liste des XXL Freshman Class 2017, qui le consacre en tant qu’artiste prometteur de la scène US, et son album 17 (dont “Carry On” est extrait) s’est classé à la deuxième place du Billboard 200. Et pour cause : ses violences, avérées et supposées, l’auraient en grande partie rendu célèbre. Les données fournies par Google Trends suggèrent en effet que son nom était très peu recherché avant les accusations portées contre lui en octobre 2016, puis la popularité du rappeur a explosé lors de sa dernière incarcération. Comme Pitchfork le rapporte, A$AP Rocky et Danny Brown lui ont ensuite également fait de la publicité, contribuant à l’ériger en figure de la scène rap us.
Ses violences sont bien médiatisées, mais elles lui valent des qualificatifs comme celui de “tumultueux”, lui donnant un côté scandaleux aguicheur — “Bienvenue dans le hip-hop en mode Ultimate Fighting !”, titrait par exemple Jack en juin dernier. Une image qui résonne avec une figure classique de la culture populaire selon Pitchfork, qui a ainsi rappelé que “le motif du gangster chic reste un élément de base dans le cinéma, la télé et la musique populaire : une ressource renouvelable d’argot de rue, et une attitude rebelle qui parle à des pulsions qui sont aussi latentes dans des foyers respectueux de la loi à travers le pays”.
Le rap, un bouillon de violence ?
Le hip-hop ne fait pas exception d’après Vulture, qui replace la célébrité de XXXTentacion dans une forme de tradition :
“De la même façon que vendre de la drogue a aidé à construire la réputation de Jay Z et Snoop Dogg et que se faire tirer dessus neuf fois a fait passer 50 Cent d’agitateur de quartier à porte-parole général de la rue, la preuve de l’abandon dangereux d’un jeune rappeur augmente désormais sa légende et enhardit son authenticité.”
Il ne serait donc pas rare que la médiatisation des violences d’un artiste fasse de lui une célébrité – et contribue ainsi à la vente de ses albums. Le site Madame Rap rappelle à ce sujet les mots de la professeure et autrice féministe américaine Bell Hooks, qui explique que “le succès de certains artistes de rap misogynes, antiféministes et antifemmes est totalement en cohérence avec l’idée suivante : quand vous trouvez un produit qui vous apporte le maximum de profit et de reconnaissance, vous allez le promouvoir, que vous croyez au message que vous véhiculez ou pas”. En l’occurrence, le hip-hop demeure un milieu “largement masculin, sexiste et homophobe”, et entre “22 % et 37 % des paroles de rap sont misogynes et 67 % objectivent sexuellement les femmes”. Culture du viol et violences de genre y sont en effet souvent banalisées, voire glamourisées, souligne l’édito de Madame Rap, qui met pourtant en garde contre les “stéréotypes désastreux” qu’on nous met “dans le crâne”.
Prendre ses responsabilités
Cependant, le Huffington Post américain a épinglé un “double standard flagrant dans la façon dont nous parlons de la musique hip-hop et de la misogynie” : “Nous ne pouvons pas parler de hip-hop, une forme d’art née dans le Bronx et popularisée par la jeunesse noire et latino, sans parler de race.” En cause dans ces critiques, une perception “de la masculinité noire comme agressive, toxique, fondamentalement dangereuse. Ce n’est pas juste la musique, mais qui fait la musique qui semble la rendre si offensante”.
C’est également le point de vue de Madame Rap, qui explique que nos stéréotypes sur ce genre musical tendent à nous faire nous focaliser sur des rappeurs conçus comme “des brutes bornées, des racailles misogynes, des sauvages capitalistes ou des délinquants illettrés”, tout en ignorant les propos sexistes et violents véhiculés par d’autres genres musicaux et d’autres médiums culturels. Comme “tous ces messieurs de la variété qui parlent de leur désir pour des femmes, souvent objectivées et dont on ignore le degré de consentement, car le tout est enrobé dans du prétendu romantisme et de la chanson d’amour”. Ou ces réalisateurs accusés de viol sur mineure et ayant reconnu les faits, qu’on invite à présider les festivals les plus prestigieux ? Pour le site féministe, il est donc “important de replacer ces représentations sexistes des femmes dans le rap dans le cadre plus large de la production culturelle au sein de notre société capitaliste, car ce problème est en fait bien plus complexe qu’il n’y paraît”.
Ce que XXXTentacion aurait commis fait ainsi écho à ce que des milliers d’hommes font subir à des femmes, et devrait avant tout être rattaché au problème systémique de la violence misogyne, dans sa toute généralité et sa gravité, et non être réduit à une spécificité du rap. Ce qui n’empêche pas de condamner le traitement de l’artiste, qui se trouve en l’occurrence être un rappeur, comme Vulture puis Slate ou encore Eric Andre nous y exhortent. “Séparer l’homme de l’artiste” revient à offrir “un soutien et une promotion accrocheurs et libres de toute conséquence à ces artistes qui méritent d’être mieux examinés”, nous explique le premier site, avant de conclure :
“Les labels doivent faire plus de pédagogie. Les fans doivent se remettre plus en question. Nous devons poser plus de questions. L’inaction est une action. L’Histoire regarde.”