Elle se décrit comme une “photographe d’aînés” et nous l’avions rencontrée à l’occasion de la sortie de sa belle série photo célébrant l’amour au troisième âge. Arianne Clément sort aujourd’hui un tout nouveau projet, toujours concentré sur les personnes âgées, et cette fois-ci plus précisément sur des personnes queers, leur sexualité et les fluctuations de leurs chemins de vie.
À voir aussi sur Konbini
La photographe a immortalisé en noir et blanc cinq modèles queers volontaires. Âgées de 60 ans et plus, les personnes photographiées “sont issues de mondes forts différents et expriment des conceptions à la fois contrastées et nuancées de l’homosexualité”, note l’artiste.
La rouquine, 74 ans. (© Arianne Clément)
“Je suis lesbienne depuis ma plus tendre enfance. Petite, j’étais toujours amoureuse d’une amie, une cousine, une enseignante et même une religieuse. J’ai commencé à être active sexuellement vers l’âge de 18 ans… J’ai aujourd’hui une vie sexuelle active avec ma conjointe, nous nous apprécions et nous nous désirons beaucoup. J’ai toujours été une femme très sensuelle qui se masturbait régulièrement et qui jouissait profondément.
Bien que mes orgasmes durent moins longtemps qu’avant, ils sont tout aussi satisfaisants… Ma compagne et moi partageons tant de moments de tendresse, de caresses langoureuses et tellement d’amour. Je me sens encore attirante […]. Sans prétention, je me trouve naturelle, douce et gentille.”
Pas de volonté de transmettre un message unique concernant l’identité queer donc, mais plutôt un désir de refléter la diversité des vécus. Images et témoignages agissent comme différentes pièces d’une mosaïque, comme plusieurs “apports à la compréhension de ce qu’est être queer”.
Dénoncer et célébrer
La “quête photographique” d’Arianne Clément est claire : elle veut raconter les personnes “marginales”, “oubliées” et “non conformistes” – ici, en s’attelant à la représentation queer. La photographe brise les tabous et affirme sa révolte à l’encontre des “discriminations et violences que subissent encore les membres de la communauté LGBTQIA+”, tout en célébrant les sexualités (si peu représentées) des personnes âgées et en promouvant “l’inclusivité, la diversité, l’acceptation et l’ouverture à l’autre”.
Chloé, 72 ans. (© Arianne Clément)
“Dès l’âge de 9 ans, je ne me sentais pas bien avec mon sexe biologique, assigné à celui de garçon. Je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas être une fille. J’ai vécu cela dans la honte et la culpabilité toute ma vie en me questionnant sans cesse sur mon orientation sexuelle. Je croyais que l’homosexualité était la seule explication au fait de me sentir femme. La discrimination envers les homosexuel·le·s n’aidait en rien. J’ai toujours aimé les femmes mais mes sentiments amoureux étaient confus, je mélangeais l’amour que je ressentais pour ma partenaire et le désir d’être celle-ci.
Ce paradoxe a été source de grandes souffrances. Il y a sept ans, je n’aurais jamais pu imaginer être la femme que je suis aujourd’hui, mais les choses ont évolué, j’ai commencé à m’exprimer et des portes se sont ouvertes. Ma transition a débuté en 2015 alors que j’avais 67 ans et j’ai eu ma vaginoplastie à l’âge de 69 ans. C’est un énorme changement. Faire une transition d’homme à femme est un exploit, pas seulement à cause de l’intervention chirurgicale, mais surtout à cause de la réadaptation et de l’apprentissage d’une nouvelle sexualité. Peu de personnes peuvent parler en connaissance de cause d’orgasme masculin et féminin. Moi, oui ! Le premier grand plus : je n’ai plus de problèmes d’érection et j’ai des orgasmes à répétition ! J’ai une grande libido encore à mon âge.
Je ne suis pas d’accord avec certaines croyances qui veulent que la sexualité se perde en vieillissant. C’est faux, il est important de cultiver sa sexualité toute sa vie. Je me sens attirante parce que je suis fière et élégante, je suis aussi consciente que j’impressionne. On me dit sans cesse que je suis belle. Je sens beaucoup plus le regard des hommes sur moi, mais moins celui des femmes. Mais j’aime les femmes autant qu’avant, je me considère désormais lesbienne.”
Remplies de douceur et de bienveillance, les photographies témoignent du lien de confiance tissé entre la photographe et ses modèles. Les séances, précise-t-elle, s’étendaient “souvent sur plusieurs heures [voire] sur plusieurs jours”.
“[Les séances] accordaient une part importante à l’improvisation, dans le choix des poses comme dans celui des thèmes abordés en conversation. Cerner comment ces personnes souhaitent être représentées, et se sentir belles, fait partie intégrante de la démarche qui favorise un esprit collaboratif et une sensibilité à l’autre autant qu’à l’environnement immédiat.” Ainsi à l’aise, les modèles se sont mis·es à nu au sens propre comme figuré afin de faire évoluer représentations et mentalités.
Gérald, 75 ans. (© Arianne Clément)
“En 1995, je me sépare de ma [femme] et de ma fille en déclarant que je suis gay. Je fréquente le milieu, puis je doute. Je ne sais plus. Une dépression s’ensuit. Je me sens [asexuel]. Je me porte bénévole dans un centre de [développement] personnel. J’y rencontre une femme et je redeviens hétéro. Naissance d’un enfant, séparation, rencontre d’une autre femme, séparation…
La vie a mis sur mon chemin quatre femmes avec qui j’ai eu quatre enfants. De nouveau [asexuel], je découvre la méditation et la spiritualité. J’ai passé ma vie à naviguer entre l’hétérosexualité, l’homosexualité, la bisexualité et l’asexualité. Avec de l’introspection et du recul, je me rends compte que j’ai toujours été gay. Un gay refoulé. Je me considère dorénavant comme ‘bispirituel’ et polyamoureux. Je suis très sensuel et je me sens encore attirant. Ma sexualité s’est transformée en tendresse en vieillissant. La porte est ouverte au toucher, aux caresses, à la nudité, à l’acceptation des corps qui changent, les seins tombants, les couilles pendantes, les dysfonctionnements sexuels…”
Pakko, 63 ans. (© Arianne Clément)
“Je ne m’identifie pas à la communauté LGBTQ+. Je suis un fils de Gaïa, de la Pachamama, notre Terre-Mère. Avant que les Européens n’introduisent ces conceptions en Amérique, nous avions notre place sans préjugés dans tous les peuples de ce continent. Vers l’âge de 5 ou 6 ans, je savais déjà que j’étais attiré par les garçons. J’ai commencé à expérimenter la sexualité très jeune et j’ai eu une vie sexuelle bien remplie.
Je suis arrivé à Montréal à l’âge de 21 ans. J’ai dû abandonner l’université à cause de mes activités politiques au Guatemala. Ma vie était en danger. Ça a été choc culturel. Moi, gay ?! Sortir du placard ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je suis un être humain et ma sexualité fait partie de ce que je suis ! J’ai [subi] de la discrimination et du racisme dans le monde gay, mais pas dans le monde hétéro.
J’ai toujours été heureux ici avec mes amis et mes camarades de travail, mais dans le monde gay, c’est la jungle et il faut savoir survivre. Ce n’est pas la sexualité de l’homme qui change en vieillissant, mais sa conception de l’être. On approfondit nos valeurs et notre spiritualité. Les choses superficielles n’ont plus d’importance. Il faut évoluer pour ne pas quitter le monde physique sans y avoir trouvé un sens. La sexualité est plus difficile au niveau physique mais [tellement] plus riche de l’intérieur.”
Mélody, 69 ans. (© Arianne Clément)
“À part avoir participé quelquefois à la [Marche des fiertés], et y avoir ressenti une pointe de fierté, je ne m’identifie pas vraiment à la communauté LGBTQ+. Je suis une femme qui aime une femme, c’est tout. J’étais bisexuelle durant mon adolescence. Je me suis mariée pour être comme les autres et j’ai eu une merveilleuse fille qui me respecte comme je suis. J’ai [fini par quitter] mon ex-mari pour aller vivre avec ma première femme. C’est là que j’ai senti que j’étais vraiment lesbienne.
Faire l’amour avec une femme m’excitait beaucoup. Ma vie sexuelle a été torride, jouissive et extasiante. La passion est encore très présente avec ma copine de 74 ans. Nos regards langoureux en disent long sur notre désir. Évidemment, c’est plus difficile d’atteindre l’orgasme et, quand nous l’atteignons, il est moins fort et ne dure pas très longtemps. Mais nous entretenons la flamme par une multitude de caresses et de baisers. De vraies petites gourmandes.
Si je me sens attirante ? Oui et non. Oui, à travers les regards d’amour et de désir de ma [petite amie], mais j’ai une certaine retenue quand nous sommes nues car j’ai pris du poids et le temps a fait ses ravages sur mon corps. Je suis un peu gênée. Mais comme ma copine vieillit elle aussi, nous en rions, la plupart du temps.”
Chloé. (© Arianne Clément)
La rouquine. (© Arianne Clément)
Gérald. (© Arianne Clément)
© Arianne Clément
Vous pouvez retrouver le travail d’Arianne Clément sur son site.