Fateh Moudarres a grandi dans un village proche d’Alep, dans le nord-ouest de la Syrie. Un lieu qui, pendant son enfance dans les années 1920-1930, représentait “un site archéologique très important où on recherchait des vestiges de la civilisation, des restes de Mésopotamie”, relate sa plus jeune fille Rania.
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Celle qui organise en ce moment une exposition en l’honneur de son père voit un lien très fort entre cette histoire civilisationnelle millénaire et le travail de celui qui fut un des plus grands artistes syriens du XXe siècle : “Lorsqu’il était enfant, il observait et vivait ces découvertes. Son œuvre témoigne de quelqu’un qui a été témoin de l’expérience d’une civilisation très ancienne.”
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
Cette connexion à la terre, à un sol immuable et nourricier, prend plusieurs formes dans les travaux de Fateh Moudarres. De façon figurative d’une part, avec ses représentations de paysages, de femmes et de mères ; de façon plus abstraite d’autre part à travers son travail des textures et des matières – terre, sable et pigments –, de façon à laisser place à “une nature vierge et sauvage, qui nous découvre autant que nous la découvrons”.
“Un peintre cosmologique”
La pluralité de formes et de techniques entreprises par Fateh Moudarres retient sa fille de le classer au sein “d’un style, d’une école ou d’une catégorie”. Au contraire, elle le verrait plutôt comme “un peintre cosmologique”, au service de la terre, cet élément irremplaçable et intrinsèquement lié à la puissance de l’ancien et de la transmission.
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
Cette idée de pérennité et de continuité se reflète dans l’exposition visible en ce moment à la galerie Roanne de Saint Laurent, où sont présentées de façon presque aléatoire des œuvres issues de la collection privée de Shoukran Moudarres, l’épouse du peintre.
Ainsi, Rania Moudarres ne souhaite pas inscrire de chapitres au sein du travail de son père : “En rentrant dans la galerie, on peut avoir l’impression de ne pas voir d’ordre. On a des travaux sur papier, sur toile, sur cartons, des encres, des acryliques, des études. Je voulais montrer la richesse du monde et du travail de mon père – même si on n’a qu’un fragment ici de son voyage.”
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
Si point central à trouver il y a, il s’agirait plutôt du “rôle de l’artiste [qui consiste] à demeurer critique par rapport à la situation humaine”. “La plupart du temps, ajoute Rania Moudarres, il y a un sous-texte psychologique et politique à son travail, et des racines très anciennes.” Cette tension critique, sa fille la lie à l’intérêt de son père pour le surréalisme, qu’il a embrassé après son retour d’Europe, où il terminait ses études.
“Dans son travail, on sent très profondément la racine humaine, sans frontière ni démarcation. Il s’agit d’un dialogue très ouvert, d’un nouvel horizon, de quelqu’un qui explore différentes dimensions d’art sacré – l’art en tant que prière.
C’est une forme de présence, une façon de dire qu’on était là, qu’on a été témoin d’une sorte de souffrance et d’expérience humaine. Pas seulement en Syrie ou dans cette partie du monde d’ailleurs : c’est un voyage dans l’inconnu de l’expérience humaine et cela représente un monde très riche à découvrir.”
Fateh Moudarres. (© Rania Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent)
Pour la galerie, le peintre est avant tout un “grand humaniste” qui fit l’équilibre entre l’attachement à ses racines et ses influences surréalistes. Pas d’hésitation pour le lieu parisien : Fateh Moudarres “deviendra l’étendard de la modernité en Syrie” tout en préservant “la vision rurale de son pays à travers les changements politiques et sociaux de son époque”.
Bien décidée à faire connaître l’œuvre de son père, ce “peintre intemporel, toujours critique”, ainsi que leur pays, la Syrie, Rania Moudarres souhaite offrir une “expérience presque rituelle” à l’image des tableaux qui l’entourent : “On y flotte dans l’inconnu, on ouvre des possibilités. Parfois, il est important de s’arrêter de parler, de réfléchir et de laisser de très vieux souvenirs ressurgir quant à ce que cela signifie que d’être vivant dans l’instant présent.”
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
© Fateh Moudarres/Galerie Roanne de Saint Laurent
L’exposition hommage de Rania Moudarres à son père, Fateh Moudarres, est visible à la galerie Roanne de Saint Laurent à Paris jusqu’au 12 juin 2021.