Alors que pendant des décennies, les cultures populaires étaient réduites à peu voire pas de reconnaissance dans les cérémonies de récompenses musicales traditionnelles françaises, le 25 avril 2024 le théâtre du Châtelet a accueilli la deuxième édition des Flammes : la cérémonie qui met à l’honneur les cultures populaires dans toute leur pluralité. Une reprise de pouvoir sur des années de célébrations volées qui institutionnalise aussi le respect des cultures populaires.
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Pour la musique et bien plus encore
Pour cette deuxième édition des Flammes, le challenge était immense car il fallait panser certains maux et déceptions nés de la première année des Flammes et ainsi, tenter de relever la barre toujours plus haut. À de nombreux niveaux, on peut dire que cette soirée était belle et un bien un beau retour de flamme. Pour Aya qui a été célébrée en grande pompe après des semaines de harcèlement médiatique et de politique raciste. Pour les cités de France et leur créativité infinie. Pour les cultures afrodescendantes, sources de tous les possibles. Pour tous les peuples oppressés et opprimés et notamment les Palestiniens, les Congolais, les Haïtiens, mis en lumière à de nombreuses reprises à travers les mots de Nordine Ganso et de Médine, entre autres. Pour les victimes de violences policières dont les noms ont résonné dans tout le théâtre à travers la voix d’Assa Traoré. Et, bien sûr, pour le fil rouge de tout cet engagement : la musique, la musique et encore la musique.
Les prochain·e·s heures/jours/semaines vont certainement laisser la place aux critiques justifiées, constructives (ou non) concernant l’organisation de l’événement, les couacs techniques remarqués, les questionnements sur les absences et présences d’untel ou untel ou encore la remise en question de certaines catégories. Mais l’heure et encore à la célébration alors retour sur les moments forts de cette deuxième édition des Flammes.
Le discours d’ouverture incisif et engagé de Waly Dia
“Dans le gouvernement il y a plus de 40 affaires judiciaires en même temps. Si tu prends tout le rap game, il y a moins de gens sous enquête qu’à l’Élysée. C’est qui, les méchants ?”
C’est l’humoriste Waly Dia qui a ouvert la cérémonie avec un discours incisif et engagé. Il est revenu sur l’opportunisme de Rachida Dati et des politiques de manière générale vis-à-vis des cultures populaires : “Les médias rap, arrêtez d’inviter Rachida Dati. Elle a fait partie du cartel de Sarkozy, maintenant elle est dans le Macron gang. Il ne faut pas lui faire confiance. […] La plupart des politiques n’en ont strictement rien à faire de nos cultures. Soit ils la méprisent, soit ils l’utilisent pour faire passer les rappeurs pour des dangers et passer, eux, pour les gentils de l’histoire”.
Il a poursuivi en mentionnant de nouveau la polémique autour d’Aya Nakamura pour rappeler le fond du problème : “Le problème, ce n’est pas la musique, le problème c’est qu’Aya c’est une femme noire qui ne leur donne pas l’heure”. Il a aussi tenu à rappeler que la joie et la célébration incarnées par cette cérémonie sont également une forme de lutte car elles “rendent fous les racistes de France”.
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Le “T’es pas content ? Triplé” d’Aya Nakamura
“Wow, je suis très honorée par ce prix-là parce qu’être artiste féminine, et en plus noire et qui vient de banlieue, c’est très très difficile”
Aya a ouvert le bal des performances en interprétant un medley de ses hits : “Oumou Sangaré”, “Baby”, “Beleck”, “Pookie” et “Hypé”. Le tout, avec une scénographie festive et des dizaines de danseurs qui nous ont offert un show et des chorégraphies grandioses. Mais ce n’est pas tout, ce soir-là, Aya est repartie avec trois Flammes, celui de l’Album nouvelle pop de l’année, celui de l’Artiste féminine de l’année et enfin celui du Rayonnement international. Cela fait d’elle l’artiste la plus récompensée de cette seconde édition des Flammes. Elle confirme de jour en jour son titre de reine de France, tire la langue aux racistes et, à la fin, c’est elle qui gagne.
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L’hommage de Médine aux enfants de Gaza tués par l’armée israélienne
“Gaza Soccer Beach, Gaza Soccer Beach
Où les tirs se poursuivent même quand l’ONU siffle
Gaza Soccer Beach, Gaza Soccer Beach
On joue la coupe d’immonde sous l’œil des journalistes”
L’un des moments les plus marquants de la cérémonie. Le rappeur Médine a interprété son morceau “Gaza Soccer Beach” en hommage aux Palestiniens tués par l’armée israélienne. Pendant sa performance, on pouvait lire sur un écran géant derrière lui le nom des enfants palestiniens tués par les bombardements de l’armée israélienne. Il a conclu sa performance poignante avec ces mots : “Merci aux Flammes de nous permettre d’inscrire le nom de tous les enfants disparus. Il n’y a pas assez de place sur les murs pour pouvoir inscrire les noms des 35 000 victimes”.
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Lumière éternelle sur le zouk avec Fanny J
“Dis-moi qu’entre toi et moi, un jour ça va coller.”
Que ce soit face à sa télé devant W9 ou entre les quatre murs du théâtre de Châtelet, tout le monde est sorti guéri de cette performance exceptionnelle de Fanny J. La légende du zouk a interprété un medley de ses titres “Okay”, “Je l’aime” et “Ancrée à ton port”. Pendant “Ancrée à ton port”, absolument tout le monde dans la pièce s’est transcendé pour atteindre la meilleure note pendant le fameux “Je t’aaaaaaaaaaaaime” et, franchement, il faut le vivre pour le croire. Longue vie au zouk, longue vie à Fanny J. L’histoire s’en souviendra de celle-là.
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Et là, surprise : La Fouine débarque
“Il a pris 20 piges, piges, piges.”
Il n’avait pas été annoncé, la surprise était donc plus que réussie : Fouiny Baby est venu interpréter certains de ses plus grands classiques : de “Hamdoulah ça va” à “Du ferme” en passant par “Ça fait mal”. Un moment plein de nostalgie qui a fait beaucoup de bien. Le 78 en 4K sur nous et dans sa meilleure forme. Mais ce n’est pas tout ! Nous aussi, on a eu le droit à des retrouvailles kainries à la Usher et Alicia Keys au Super Bowl parce que La Fouine a invité Zaho pour chanter leur hit “Ma meilleure”. Une complicité émouvante qui a su traverser le temps et qui a rempli le cœur d’amour de tous les spectateurs. La Fouine est venu rappeler qu’il fait partie des légendes vivantes du rap français avec une infinité de classiques sur le dos. Et comme l’a si bien dit une twittos raffinée : “Oui Tonton, on va tous venir à ton prochain Bercy”.
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Les ponts créés entre les générations
Les Flammes c’est aussi une cérémonie qui crée des ponts entre la nouvelle génération et l’ancienne. De nombreux moments symboliques allaient dans ce sens, par exemple la performance shatta de la jeune artiste martiniquaise Maureen suivie par la présence de la réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy, venue pour remettre le prix du Morceau caribéen ou d’inspiration caribéenne à Kalash. Un beau moment.
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On constate aussi la volonté de laisser l’espace scénique aux plus jeunes artistes émergents avec notamment les performances de Merveille, 16 ans, ou encore de Kay The Prodigy, 23 ans, qui se sont challengées et surpassées en direct à la télé.
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La puissante proposition scénique de Luidji
“Est-ce qu’un jour je pourrai compter parmi les grands de ce monde ?”
Dès les premières secondes du show, on est accueillis par une armée de danseurs habillés comme s’ils se rendaient à l’enterrement d’un célèbre rappeur américain : chemises, cravates, gants en cuir, vestes et pantalons noirs et snapbacks. On commençait presque à croire que Kendrick Lamar allait débarquer mais non, c’était bel et bien Luidji qui est venu chanter deux titres de son dernier album Saison 00 : “Monde” et “Téléfoot”. Un tableau très poétique porté par une chorégraphie splendide et des danseurs aux mouvements pleins de grâce et de puissance. Luidji, dans son interprétation, nous a servi une réelle proposition artistique incarnée et assumée et ça fait toute la différence.
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Les discours d’Assa Traoré et de Sara El Attar
“Deux femmes de convictions”, c’est comme ça que Driver a introduit l’arrivée sur scène d’Assa Traoré et de Sara El Attar, toutes les deux venues remettre à l’artiste Zamdane le prix de l’Engagement social.
Assa a ouvert la prise de parole en donnant sa définition de l’engagement : “Mon engagement à moi porte le nom de la dignité, de l’égalité, de la justice. Il ne demande pas de pouvoir extraordinaire, nous pouvons tous être engagés. Mon engagement à moi porte le nom de mon frère Adama, devenu symbole de justice et de vérité. Sa vie comptait. Nous sommes les voix vivantes de ceux qui sont morts”. Sara a poursuivi en disant : “Je suis fière de faire partie de cette génération qui ne se laisse pas faire et qui refuse de se taire face aux injustices. Je suis, vous êtes, nous sommes la France d’hier, d’aujourd’hui et de demain. N’en déplaise à certains. Je dirais même mieux : nous sommes la plus belle France avec un B comme Banlieue”.
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Et la banlieue influence le monde
Lors de cette cérémonie, deux artistes originaires de Londres ont également été célébrés. D’une part, le rappeur Dave est venu remettre la Flamme du Compositeur de l’année. Il a également reçu le prix featuring pour le titre “Meridian” avec Tiakola. D’autre part, le designer Clint419, créateur de la marque sensation Corteiz, est quant à lui venu remettre la Flamme du Rayonnement international.
Ces deux artistes ont tous deux exprimé leur gratitude envers la cérémonie des Flammes via leurs réseaux sociaux. Sur Twitter, Dave a déclaré “tout est mieux à Paris” et Clint419 a, lui, tweeté : “Je suis passé à la télévision française avant la télévision anglaise. Mon pays m’a déçu“.
C’est assez révélateur du fait que le manque de reconnaissance des cultures populaires est un problème global et cette forme de gratitude exprimée par ces artistes UK est un indicateur de l’impact et de l’importance de l’existence d’une cérémonie comme Les Flammes dans le paysage musical et culturel.