“Une image vaut mille mots.” La citation est éculée et, pourtant, elle n’a jamais semblé aussi vraie qu’au travers de ces dix livres qui racontent, en photos, l’amour, la mort, le deuil, l’oubli, l’acceptation, la marginalisation, l’exil ou la poursuite des traditions. De quoi faire ployer son cœur et les étagères de sa bibliothèque.
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En 1986, la photographe Karen Marshall commence à documenter le quotidien d’un groupe de New-Yorkaises âgées d’une quinzaine d’années. Elle les immortalise en train de faire de la balançoire dans un parc, de se maquiller, de fumer une cigarette dans une salle de bains ou de se prélasser lors d’une soirée pyjama.
Karen Marshall a d’abord rencontré Molly Brover. La jeune fille, “intelligente et exubérante”, “vibrante et impulsive, avec une personnalité flamboyante et une maturité folle par rapport à son âge”, est le point de départ du projet de la photographe, qui souhaite documenter ce qui lie un groupe de jeunes et la façon dont leur amitié influence le développement de leur personnalité et de leur parcours.
Dix mois après le début du projet, Molly meurt, victime d’un accident de voiture alors qu’elle était en vacances avec ses parents. Sa famille, ses amies, la photographe, tout le monde est “dévasté”. Or, Karen Marshall décide de poursuivre le projet et de documenter la façon dont ses amies survivent et poursuivent le cours de leur existence malgré ce drame.
Dans Between Girls, les pages défilent et les années passent. Les filles grandissent. Elles fêtent leur diplôme, rencontrent des garçons et des filles, dorment, se réveillent et recommencent inlassablement, sans Molly. Pendant trente ans, l’artiste a photographié, filmé, enregistré les protagonistes, proposant dans son livre certains formats grâce à des QR Codes.
Les compositions monochromes côtoient des captures d’écran vidéo et des vignettes d’images couleur numériques. Des témoignages écrits égrènent également l’ouvrage, rapportant les mots des femmes à l’égard de ce tragique accident qui a bouleversé leur vie et leur amitié.
Between Girls, de Karen Marshall, est disponible chez Kehrer Verlag.
En 2018, deux immeubles s’effondraient rue d’Aubagne, à Marseille. Dans son livre Indigne Toit, le photographe Anthony Micallef a suivi les personnes délogées à cause de ce drame, “ces invisibles”. Il a photographié et recueilli la parole et les visages de ces Marseillais·es qui, du jour au lendemain, ont perdu leur appartement. On retrouve Samih, Chaima et ses enfants, Fatima et Aberrazak, ou encore Fabien, qui partagent avec le photographe leur crainte de se retrouver à la rue, leurs rêves brisés, la peur du lendemain.
Anthony Micallef est aussi allé à la rencontre des professionnel·le·s qui gravitent autour de ses sujets : psychanalystes, militant·e·s, bénévoles, qui accompagnent les habitant·e·s dans cette épreuve car, au milieu de ce calvaire, une solidarité citoyenne puissante est née. “Comme toute faille, celle d’Aubagne laisse désormais passer la lumière”, écrit le photographe dans son introduction au livre.
Entre les citations des témoignages, les portraits et les détails capturés, les scènes de vie ou encore les flashcodes où l’on peut entendre la voix des personnes, Anthony Micallef raconte l’histoire d’un abandon, d’un effondrement, d’une disparition. D’une ville, Marseille, qui délaisse ses habitant·e·s.
Indigne toit, d’Anthony Micallef, est publié chez André Frère Éditions.
À travers son ouvrage Faces of Homelessness, Jeffrey A. Wolin donne à voir les différents “visages du sans-abrisme” au sens propre comme au sens figuré. Son livre est constitué de portraits de personnes sans domicile fixe, annotés de leurs témoignages.
Notant que “la plupart des sans-abri est invisible”, le photographe états-unien est parti à la rencontre de nombreuses personnes souffrant de cette situation, afin de “balayer les stéréotypes”. Les témoignages sont rapportés à la première personne, afin de ne pas intervenir dans les expériences et les ressentis des sujets.
Faces of Homelessness, de Jeffrey A. Wolin, est disponible chez Kehrer Verlag.
La photographe Mary Berridge a rencontré, immortalisé et écouté des personnes sur le spectre de l’autisme pour combattre les idées reçues. Les portraits de son livre Visible Spectrum ont, pour la plupart, été pris “lors de moments calmes et contemplatifs, quand les personnes autistes se sentent en général plus à l’aise”.
Célébrer ainsi ces différentes façons de voir et d’appréhender le monde est un moyen pour la photographe de combattre les stéréotypes qui collent à la peau de l’autisme et de convaincre le lectorat de se renseigner sur le sujet. Cette immersion dans l’intimité de ces familles permet également de se rendre compte de la façon dont le monde extérieur “n’est pas fait pour [ces personnes] et dans lequel [elles] ne sont pas toujours [bienvenues]“.
Visible Spectrum, de Mary Berridge, est disponible chez Kehrer Verlag.
Après plus de vingt ans passés à photographier la scène hip-hop états-unienne, Mel D. Cole signe American Protest. Photographs 2020-2021, un livre fort documentant de l’intérieur le mouvement Black Lives Matter. De son New York natal à Philadelphie, Minneapolis, Washington ou encore Richmond, le photographe a participé à des dizaines de manifestations organisées après le meurtre de George Floyd, survenu le 25 mai 2020.
L’ouvrage, majoritairement en noir et blanc, est un condensé des milliers d’images prises “au cours de la putain d’année qu’on vient de passer”. Puissantes, émouvantes, violentes, les photographies ont été prises sur le vif, dans l’intensité des rassemblements Black Lives Matter.
Parfois difficiles à soutenir, les photographies de Mel D. Cole sont essentielles, à vocation historique. Elles font vivre le mouvement Black Lives Matter, soulignent l’agressivité à laquelle il s’est heurté, ainsi que la force de la résistance de centaines de milliers de personnes rassemblées.
American Protest. Photographs 2020-2021, de Mel D. Cole, est disponible aux éditions Damiani.
La photographe franco-allemande Ann-Christine Woehrl est partie en reportage au nord du Ghana, dans les villes de Gambaga et Gushiegu. Elle y a rencontré des femmes exilées dans des refuges, forcées de s’isoler du reste de la population à cause de leur prétendue “sorcellerie”. Pour immortaliser ces rencontres, Ann-Christine Woehrl a choisi de réaliser des portraits posés, dans “la forme la plus traditionnelle de la photographie”.
Son livre Witches in Exile raconte l’histoire de ces femmes qui partagent un même destin tragique, celui d’être “expulsée de son village, de sa maison, de son cocon familial”. Ces accusations visent en très grande majorité des femmes, ainsi que quelques enfants et les personnes “qui ne servent plus à la société : les vieux, les difficiles, les personnes malades mentalement”.
Witches in Exile, d’Ann-Christine Woehrl, est disponible aux éditions Kehrer Verlag.
Le photographe Tariq Zaidi est parti à la rencontre de la Société des ambianceur·se·s et des personnes élégantes (la Sape) et de ses membres, les célèbres sapeur·se·s du Congo. Entre 2017 et 2019, il a immortalisé des visages de sapeur·se·s adultes et enfants.
Son ouvrage, Sapeurs. Ladies and Gentlemen of the Congo, présente ces amoureux·ses de la Sape, tiré·e·s à quatre épingles, dans les rues de Brazzaville et Kinshasa. Il les a immortalisé·e·s en train de poser ou de se préparer, livrant un véritable bréviaire de mode et de style.
Né entre le XIXe et le XXe siècle, on raconte que le mouvement se serait construit en opposition aux colons belges et français “afin de combattre la supériorité coloniale”. Dans les années 1960, après l’indépendance de la République démocratique du Congo, la Sape prend son envol.
Les adeptes rejettent ou transforment le traditionnel costume du colon, l’agrémentant de pièces cintrées et colorées, et d’accessoires – de quoi permettre au célèbre artiste zaïrois Papa Wemba d’affirmer : “Les Blancs ont inventé les vêtements, mais nous en faisons un art.”
Sapeurs. Ladies and Gentlemen of the Congo, de Tariq Zaidi, est disponible aux éditions Kehrer Verlag.
1 078. C’est le nombre de camps de concentration qui existent et qui ont existé en Allemagne lors du régime hitlérien. C’est aussi le nombre de ciels qu’Anton Kusters a photographiés. Dans le cadre de son projet Blue Skies, le photographe Anton Kusters a “parcouru 177 828 kilomètres de territoire durant six ans pour immortaliser à l’appareil photo instantané” les 1 078 “camps de concentration qui existent et qui ont existé en Allemagne durant le régime hitlérien”.
Plus précisément, il a photographié tous les ciels bleus qui surplombent ces camps nazis. Des ciels qui officient comme “une manière troublante de regarder en face un traumatisme indicible et un oubli collectif” :
“Sur chaque photo, l’artiste a estampé le nombre de victimes mortes dans ce camp, sous ces ciels bleus, en indiquant les données GPS. Tous ces camps ont existé durant 4 432 jours, de 1933 à 1945. Plus de la moitié de ces camps n’est plus visible, et beaucoup d’autres demeurent encore inconnus. Bien que les images instantanées d’Anton Kusters finiront par s’estomper, leur nombre restera estampé pour rappeler à jamais les 4 016 736 personnes tuées dans ces camps de la mort.”
Blue Skies, d’Anton Kusters, est disponible aux éditions Kehrer Verlag.
La première série du livre Carpe Fucking Diem commence en 2008 et, en même temps qu’elle, débute l’attente, celle d’Elina Brotherus pour tomber enceinte. L’artiste finlandaise se photographie chez elle, mise à nu, dans tous les sens du terme. Son corps est devenu une simple enveloppe charnelle, un objet de médecine.
Dans sa chambre, sa salle de bains, sa cuisine ou son salon, la photographe fait raconter à chaque parcelle de son corps les obstacles rencontrés et la détresse physique et mentale vécue. Quelques objets émaillent sa série de portraits : des boîtes de médicaments par dizaines, un test de grossesse négatif, une cuvette de toilettes remplie de sang.
Carpe Fucking Diem n’est pas un récit de conte de fées où le personnage principal surmonte des obstacles pour atteindre son rêve. Ici, le chemin est long et douloureux, et la résolution en suspens, en accord avec l’esprit authentique d’un ouvrage qui refuse l’autocensure et dont le titre enjoint le lectorat à tout simplement “cueillir ce putain de jour”.
Carpe Fucking Diem, d’Elina Brotherus, est disponible aux éditions Kehrer Verlag.
Cent portraits, cent histoires, cent personnes, âgées de 0 à 100 ans. Chaque modèle témoigne des hauts et des bas qui l’animent au moment de la séance photo : la peur de quitter le domicile familial pour une jeune femme de 20 ans ; le deuil de son père pour un homme de 31 ans, le soulagement d’une femme de 43 ans parvenue à quitter un mari qui la battait ; ou encore la libido d’une célibataire de 69 ans.
Bien que parfois éloignées de nos quotidiens, les histoires rapportées par Jenny Lewis dans One Hundred Years font écho aux réflexions qui jalonnent notre existence, rappellent notre passé et éclairent notre chemin à venir. Avec bienveillance, la photographe a invité ses modèles, vivant dans l’est londonien, à se confier et se laisser aller face à son objectif.
One Hundred Years, de Jenny Lewis, est disponible aux éditions Hoxton Mini Press.