Les Chambres rouges : le film le plus trash de ce début d’année ne contient aucune goutte de sang

Les Chambres rouges : le film le plus trash de ce début d’année ne contient aucune goutte de sang

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Par Flavio Sillitti

Publié le

On a parlé du film d’horreur québécois le plus tordu du moment avec son réalisateur Pascal Plante et l’actrice Juliette Gariépy.

Où s’arrête notre fascination pour les serial killers ? En prenant comme point de départ le succès grandissant du genre true crime, Les Chambres rouges de Pascal Plante nous plonge au cœur de l’obsession tordue de Kelly-Anne (interprétée par la magnétique Juliette Gariépy) pour un homme accusé d’avoir tué trois adolescentes avant de partager leur exécution sur le dark web.

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“J’aimerais bien que le film hante les gens, qu’il leur colle à la peau.” Pour son troisième long-métrage, le Québécois n’a qu’une seule volonté : titiller notre inconfort. Et, pour le coup, son pari est réussi. Après l’esprit documentaire de Nadia, Butterfly et les senteurs romantiques de Les Faux Tatouages, le réalisateur s’essaie à un tout nouvel exercice de style aux antipodes de sa filmographie passée avec un film horrifique, et c’est une réussite.

“Un cinéphile qui aime le cinéma d’horreur, c’est un cinéphile très accueillant, très aventureux”, postule Pascal Plante lorsqu’on lui demande ce qui l’amène dans le genre horrifique. “C’est souvent dans ce genre qu’on trouve le meilleur public, parce que non seulement c’est souvent lui qui pousse les cinéastes à tenter des expériences vraiment uniques et différentes, mais c’est aussi l’un des seuls à être capable de les recevoir.”

Les Chambres rouges ne s’inscrit pas dans la tradition des films d’horreur classiques du registre mais crée plutôt une chimère hybride déconcertante entre thriller paranoïaque, film de procès et fantasme à la Dario Argento.

“Quand on pense cinéma d’horreur, on pense soit aux films de la Cannon, soit aux très mauvais films, pour en rire. Mais il y a tellement de choses entre ces deux pôles. Et c’est excitant pour un cinéaste de jongler avec tout ça.”

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L’exercice du cinéma de genre, comme s’en réjouit Pascal Plante, permet le maximalisme cinématographique, trop rare dans le monde du septième art. “On peut vraiment y aller à fond avec la musique, les effets sonores, la chorégraphie, l’ambiance, le montage. Pour qu’un bon film de genre fonctionne, il faut que ce soit un film extrêmement éloquent dans l’étalage de ces artifices cinématographiques. Et c’est une vraie partie de plaisir pour un réalisateur.”

Pour Juliette Gariépy, qui campe brillamment le premier rôle magnétique et inquiétant du film, Les Chambres rouges lui offre un cadeau de personnage à interpréter. “Dans un film d’horreur, un personnage féminin qui n’est pas une victime ou une ensorceleuse diabolique, c’est rare et c’est vraiment riche. On est prêts pour des personnages féminins complexes, surtout en cinéma de genre.”

Historiquement, si la plupart des films de procès sont campés dans des tribunaux relativement opulents, en témoigne celui d’Anatomie d’une chute récemment, Les Chambres rouges fait le pari d’une austérité, voire d’une stérilité, en choisissant de recréer le palais de justice de Montréal, son architecture brutaliste et ses salles d’audience austères et aseptisées, l’objectif étant, comme tout dans ce film, de générer l’inconfort.

“C’est presque un motif visuel. Le décor est recréé en studio, on reste sur le modèle du palais de justice de Montréal pour le bonifier et le rendre encore plus épuré, accentuer les éclairages criards.”

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L’horreur invisible

“Le film réfléchit vraiment comme un podcast”, nous confie Pascal Plante. “Dans ma recherche, écouter des podcasts d’horreur, c’est ce qui m’a le plus effrayé. Imaginer ce qu’on entend, c’est encore plus angoissant que de le voir. On en revient à la tradition des feux de camp, des histoires glauques qu’on se raconte le soir, et il n’y a rien de plus effrayant que ça. Moins il y a de sens stimulés, plus l’angoisse monte, car les quelques sens sollicités s’enflamment.”

Lorsqu’on leur demande ce qui les effraie le plus dans le film, Juliette Gariépy n’évoque ni le sang, ni le meurtrier, ni les séquences effrayantes du film, mais brise le quatrième mur pour nous renvoyer au monde bien réel devant l’écran. “Il y a un côté dystopique dans ce film, mais en même temps très réaliste. La réalité, c’est qu’on peut déjà acheter des meurtres sur Internet dans la vraie vie, et la dystopie, c’est cette question : ‘Quelle est la prochaine frontière qu’on va oser dépasser ?’ C’est ça, la vraie dystopie, et aussi la vraie horreur du film.”

“Je n’ai pas dû voir un être humain mourir sur Internet pour pouvoir écrire ce film”

“Je ne suis pas quelqu’un de sadique, et mon seuil de tolérance n’est pas très élevé”, nous confie Pascal Plante, qui signe tout de même un film sur l’horreur des meurtres perpétrés sur le dark web. “J’ai eu recours à beaucoup de consultants. Sans avoir à m’y frotter directement, je savais donc de quoi je parlais.”

Dans sa recherche, Pascal Plante a choisi de rester “safe”, comme il le dit. Le dark web abordé dans le film, il n’y a jamais mis les pieds. “Je n’ai pas dû voir un être humain mourir sur Internet pour pouvoir écrire ce film.”

Une critique du voyeurisme collectif

“À Montréal, il y a une dizaine d’années, on a suivi le procès Magnotta. Tout le monde a vu les vidéos de ses meurtres, ou connaît quelqu’un qui les a vues. À son pic de popularité, une de ses vidéos a été vue 500 000 fois en une journée. Ça reste 500 000 clics pour voir un être humain mourir. C’est une statistique qui donne froid dans le dos”, nous raconte Pascal Plante.

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C’est que le film nous déconcerte à de nombreuses reprises, notamment en titillant cette urgence de voir ce qui est à l’écran. De quoi nous en remettre à notre propre tendance voyeuriste. “C’est là où le film a un commentaire, où il dit quelque chose. C’est-à-dire qu’il nous confronte à nos pulsions très sombres, et il dit aussi quelque chose du monde dans lequel on vit.”

“Le film en une image, c’est l’image promo qu’on utilise le plus”, résume Pascal Plante. Cette image, c’est celle des deux protagonistes, Kelly-Anne et Clementine, face à la vidéo de meurtre ; l’une est stoïque et l’autre est en larmes. “L’histoire du film, c’est cette image, et c’est surtout cette question : laquelle des deux êtes-vous ?”

Les Chambres rouges de Pascal Plante, en salle le 17 janvier.