Une plongée dans “quatre décennies de création” : quarante ans après la découverte du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), Strasbourg expose quelque quatre-vingts artistes dont les œuvres ont été irriguées par l’une des épidémies les plus meurtrières de l’Histoire. Baptisée “Aux temps du sida. Œuvres, récits et entrelacs”, l’exposition propose jusqu’au 4 février 2023 au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS) plus de 150 œuvres d’artistes, parmi lesquel·le·s la photographe Nan Goldin, le sculpteur français Jean-Michel Othoniel, le chanteur allemand Klaus Nomi, l’artiste protéiforme David Wojnarowicz ou encore l’écrivain français Hervé Guibert. À l’image de nombreux autres artistes, ces trois derniers ont d’ailleurs été emportés par les maladies liées au sida.
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“Une traversée de quatre décennies de création sans frontière” qui articule art, “recherche scientifique” et “culture populaire” mais aussi “l’action déterminante des associations” dans la lutte contre une épidémie qui a fait à ce jour plus de 40 millions de victimes dans le monde, explique le directeur des musées de Strasbourg, Paul Lang. Il confie avoir “personnellement” voulu “depuis 2017” cette exposition, “reportée à deux reprises” en raison d’un autre virus, celui du Covid-19. “Elle va solliciter” le public, assure Estelle Pietrzyk, directrice du MAMCS et commissaire de l’exposition. “Il y a de la danse, de la musique, des moments où le corps va être aussi sollicité.”
“Nouvelle peste”
Structurée en dix “sections” réparties sur plus de 600 mètres carrés (“Antichambre”, “Je sors ce soir”, “Ceci est mon sang”, “Prolifération”…), l’exposition s’ouvre sur un impressionnant “couloir du temps”. Au mur, des affiches de films sur le virus (120 Battements par minute, Philadelphia, Les Nuits fauves), des photos, des livres, une armoire à pharmacie remplie de médicaments ou encore le portrait de Françoise Barré-Sinoussi, codécouvreuse du virus du VIH en 1983 et prix Nobel de médecine 2008. La chanson de Prince, “Sign O’ the Times” (1987), passe en arrière-fond : “En France, un homme maigre est mort d’une grande maladie qui porte un petit nom.”
Une invitation à un voyage dans le temps, des affiches actuelles sur la PrEP (un traitement pris en prévention pour éviter de contracter le VIH) vers les couvertures de magazines tapageuses et anxiogènes du début des années 1980, lorsque l’on parlait encore d’un “cancer gay”. À l’image de cet article de Paris Match, en 1983, sur “la nouvelle peste. Elle est déjà en France. La [sic] sida, cette maladie qui terrifie l’Amérique !” Plus loin, la section “Ceci est mon sang” expose des photos du sang de l’artiste états-unien Andres Serrano (notamment connu pour son œuvre controversée Piss Christ).
Rayons X
Celles de Hervé Guibert, qui a ouvertement parlé de sa maladie dans plusieurs livres (À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Le Protocole compassionnel), sont également présentes : l’une, célèbre, montre, dans un jeu de miroirs, le philosophe Michel Foucault, lui aussi mort des suites du sida en 1984. Des espaces sont réservés au visionnage d’extraits de films (Tout sur ma mère de Pedro Almodóvar, Mauvais sang de Leos Carax…) ou de passages télévisés emblématiques, comme lorsque l’actrice Isabelle Adjani dut démentir sur TF1 la rumeur insistante qui la disait séropositive.
L’exposition, très riche, propose également un étonnant “beautiful closet”, sorte de salle secrète conçue par Jean-Michel Othoniel et qui abrite quelques œuvres évocatrices, comme le cliché d’une fellation passée aux rayons X. En fin de parcours, la section “Danser=Vivre” invite le public à s’équiper de casques audio mis à disposition afin d’esquisser quelques pas de danse. En parallèle, des projections, ateliers et conférences sont également prévus et un lieu d’information sur le virus (dépistage, accompagnement des personnes séropositives…) sera également ouvert dans le musée le temps de l’exposition.