Depuis plus de 15 ans, Konbini va à la rencontre des plus grandes stars et personnalités de la pop culture dans le monde entier, celles et ceux qui nous font rêver au quotidien à travers leur passion, leur détermination et leurs talents, afin de vous livrer tous leurs secrets.
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En 2023, la rédaction de Konbini a décidé de faire briller avant tout la jeunesse et la création francophones à travers 23 portraits de jeunes talents en pleine bourre, à suivre dès maintenant et dans les prochaines années. Des acteur·rice·s prometteur·se·s aux chanteur·se·s émergent·e·s, des chefs qui montent aux sportifs et sportives en pleine éclosion en passant par des artistes engagées de tout horizon, Konbini vous présente sa liste des 23 personnalités qui vont exploser en 2023.
La fiche d’identité de Maïra Villena, peintre, 23 ans
- Lieu de l’interview ? À Bruxelles, dans sa cuisine.
- Comment elle aborde 2023 ? D’abord, le Pérou, où elle retrouvera sa famille, le soleil et la nourriture. Puis, la sortie, le 26 avril, du film Nos Cérémonies, dans lequel elle joue.
- Le meilleur moment de son année 2022 ? Le vernissage de sa première exposition solo à La Corvée.
- Une personnalité qui l’inspire ? Bianca Costa, Claudia Rivera, et son petit frère qui part vivre seul en Australie à seulement 19 ans.
- Sa dernière recherche Google ? “Pourquoi la nouvelle année commence le 1er janvier ?” Réponse : Selon l’Église, c’est le jour de la circoncision de Jésus.
“Je suis très attachée aux souvenirs, même les plus douloureux. Il y a une sorte de fierté d’avoir surmonté ces choses-là.”
Portrait. Après avoir passé plus de trois heures au téléphone avec Maïra Villena, je comprends mieux sa citation préférée, signée du poète espagnol Antonio Machado : “No hay camino, se hace el camino al andar.” Soit : “Il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant.” Pour la peintre, ce chemin se fait la tête haute, le buste droit, sans jamais oublier de regarder sur les côtés, d’interroger la trajectoire et de nous emmener avec elle.
Sa route est pavée d’une différence dont elle a fait une force, d’introspection, de réflexions et de belles surprises. À commencer par le film qu’elle a tourné l’année passée, après avoir été repérée par une directrice de casting sur les réseaux sociaux. En avril prochain, la sortie de Nos Cérémonies de Simon Rieth, sélectionné en 2022 pour la Semaine de la critique du Festival de Cannes, marquera une nouvelle étape sur le chemin de celle qu’on connaissait plutôt jusqu’ici pour ses portraits chatoyants.
Maïra Villena, Sans titre, 2018.
Sûrement grâce à sa mère art-thérapeute, Maïra Villena a très vite trouvé les feuilles et les feutres, les formes et les couleurs, comme réponses à son ennui, ses questions et ses tourments. Née avec une fente labio-palatine et ayant subi une dizaine d’opérations chirurgicales dès son plus jeune âge, elle a vite compris que la peinture serait un moyen pour elle de reprendre le pouvoir sur sa perception d’elle-même : “Ça a été compliqué, surtout pendant l’adolescence, parce que c’est un moment charnière de l’existence où on construit son image, son estime.”
Ses nombreux autoportraits racontent l’évolution de cette réappropriation : “Les premiers étaient durs parce que j’étais dure avec moi-même, puis ça s’est adouci, j’ai mûri, j’ai acquis une réflexion qui me permettait de dire que la différence était belle, et donc que la mienne l’était aussi.” Mais ces œuvres la représentant ne répondent pas qu’à un besoin personnel.
Maïra Villena, Sans Titre (Autoportrait), 2019.
En fixant ses traits sur toile, elle tend vers un effort de représentativité collective. Comme dans toutes les meilleures histoires, elle part du particulier pour viser l’universel :
“Donner de la place à la différence, c’est hyper-important pour moi, c’est presque un automatisme. […] Mon but dans la peinture, en plus du but thérapeutique, c’est de transmettre des émotions et, pour ça, il faut que les gens puissent s’identifier.
Jusqu’ici, j’ai beaucoup travaillé autour de mon vécu, mais je tends à davantage développer la question de la malformation. Pour l’instant, je l’ai abordée avec mon histoire mais c’est celle de beaucoup d’enfants en France et dans le monde. La fente labio-palatine est bien plus répandue que ce qu’on pense.”
Maïra Villena, Andrea, 2020.
Face au constat que les représentations de personnes ayant des malformations concernent toujours les “méchants” de la culture populaire, Maïra Villena a à cœur de “normaliser cette malformation et le vécu qui l’entoure”. “J’en fais quelque chose de poétique et contemplatif. Habituellement, on montre les malformations de façon plus tragique, sous le prisme de la peine et de la pitié.” La peintre choisit “beaucoup de couleurs et des regards soutenus qui permettent un échange entre le public et les portraits”.
“Je n’y réfléchis pas en amont, mais il s’avère que, dans mon travail, je représente des gens et des visages très différents.”
Ces odes à la différence se retrouvent dans la galerie de personnages qui composent ses œuvres, montrant “des gens de toutes nationalités, de tous âges, de toutes corpulences”. Une volonté instinctive que l’artiste fait remonter à ses origines péruviennes : “J’ai toujours baigné dans une famille multiculturelle et, forcément, les visages autour de moi étaient très différents.”
Maïra Villena, Consuelo, 2021.
Maïra Villena se plaît à magnifier ces différences, notamment grâce à son amour pour les couleurs et les mélanges de pigments : “Même avant de conscientiser la couleur, j’ai toujours été attirée par les teintes très vives, les couleurs qui font vibrer. J’utilise au minimum dix couleurs différentes pour une peau, ça part dans tous les sens. Je crois que c’est pour ça que j’aime représenter des gens : j’adore peindre et travailler la peau, mélanger des couleurs”, s’enthousiasme la voix assurée à l’autre bout du fil.
Elle garde parmi ses meilleurs souvenirs de création la confection de ses propres peintures, en “faisant de la chimie” dans sa chambre, mélangeant “des pigments avec de l’huile et des conservateurs”. “Les teintes sont dix fois plus folles qu’avec les couleurs industrielles. C’est incroyable, mais ça prend tellement de temps”, souffle-t-elle tout en glissant qu’elle espère bien “retenter l’expérience”.
Maïra Villena, Manita sobre el corazon, 2020.
La double culture de l’artiste est une grande inspiration pour son travail : “Ce qui m’intéresse, c’est mélanger mon histoire avec l’iconographie catholique et coloniale ainsi que des représentations et des croyances natives. Je mélange constamment des couleurs vives et joyeuses avec des regards et des poses plus sombres.”
Le regard ouvert et l’esprit critique, Maïra Villena souhaite représenter le Pérou et la population péruvienne “telle qu’elle est vraiment”. Elle affirme ne pas viser le statut de “peintre activiste” ou “éducatrice”, mais n’oublie pas pour autant que “la représentation et l’identification sont importantes”.
Maïra Villena, Peruanxs, 2020.
“Le Pérou a une histoire complexe, comme de nombreux pays d’Amérique latine. Les peuples indigènes et les descendant·e·s de personnes natives sont toujours mal considéré·e·s. L’histoire est ignorée, cela cause beaucoup de différences de traitement entre personnes blanches et racisées. Quand je vais voir ma famille au Pérou, je vois les différences sociétales qui sont soulevées, le racisme y est plus démocratisé”, exprime-t-elle. Son œuvre Peruanxs est un patchwork de visages péruviens, dans toute leur diversité.
“Le thème de l’enfance me touche particulièrement, sûrement par rapport à ce que j’ai pu vivre dans la mienne.”
Pour le moment, Maïra Villena a plutôt exposé son travail en Europe, où il y a encore “une certaine méconnaissance et des stéréotypes vis-à-vis des latinx”, note l’artiste. Lors de son prochain voyage au Pérou, la peintre compte photographier ses proches pour les voir peupler ses prochaines créations. Un choix qui lui permettra de rendre hommage à celles et ceux qu’elle aime et de “légitimer” son travail.
Maïra Villena, Souvenirs d’enfance.
En plus de sa famille, Maïra Villena compte immortaliser les lieux de son enfance, continuant de tirer un fil qui lie ses œuvres et ses réflexions : celui de son passé. “C’est sans doute pour ne pas lâcher ma part d’enfance : j’ai une personnalité plutôt spontanée, avec un côté impulsif dans ma manière de m’exprimer – un peu comme les enfants qui parlent avant de réfléchir. Parfois, c’est pesant [d’être adulte] et je trouve important de me rappeler de tous les plans que j’avais petite et de ne pas les lâcher. Je pense qu’il ne faut surtout pas être dans le déni de ce qu’on était avant.”
“Je suis toujours en recherche de mon style, de ma signature.”
Si, pour le moment, Maïra confie se sentir quelque peu “bloquée” dans sa pratique de la peinture, elle ne perd ni sa sagesse, ni sa confiance ou son enthousiasme. “Je suis trop fan de créer des trucs avec les mains, je ne m’arrête pas à la peinture. J’ai l’impression d’avoir tout à découvrir, je n’en suis qu’au début de mon exploration de tant de possibilités”, s’exclame-t-elle.
En attendant, elle crée des installations, travaille la terre, dessine les yeux fermés ou tente les grands formats et le noir et blanc alors qu’elle était plutôt abonnée aux petits formats remplis de couleurs. Maïra Villena n’en est qu’au début de son chemin, mais une chose est sûre, on a hâte de découvrir de quelle façon elle le façonnera.
Maïra Villena, Souvenirs à la page.
Les recos de Maïra Villena
- Un livre : Je suis un monstre qui vous parle, de Paul B. Preciado.
- Un film : Canción Sin Nombre, de Melina León.
- Un album : Sicodélicos, de Los Destellos.
- Une œuvre : Dirty Dog, de Madelynn Green.
Maïra Villena, Dernier double autoportrait – jusqu’ici.
Vous pouvez retrouver Maïra Villena sur Instagram.