Ego trip, drill, storytelling, cloud rap, trap, slam… Avant d’être traversé d’influences multiples et de devenir ce qu’il est aujourd’hui, avec des artistes comme Jul, Gazo et PNL en tête des plateformes de streaming, le rap faisait surtout partie d’un mouvement culturel, le hip-hop.
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Exportée à la fin des années 1980 en France, touchée par l’effervescence culturelle du Bronx à New York, cette culture s’est d’abord propagée en région parisienne, sur les rames de métro, dans des clubs et autres lieux emblématiques. Dans son livre Hip Hop Diary of a Fly Girl 1986-1996 Paris, la photographe franco vietnamienne Maï Lucas nous fait revivre l’enfance du mouvement, bien avant que NTM, Kery James et MC Solaar ne deviennent des monuments du rap français.
Joe1, avant de devenir Joey Starr, rappeur du groupe NTM. (© Maï Lucas)
B-boys, B-girls
“Adolescente, j’ai découvert la musique africaine et la salsa grâce à Serge Kruger que j’avais rencontré aux Halles. Il avait une radio, Radio Tchatch, et une boîte de nuit, Le Tango. D’ailleurs Mathieu, tu as tourné une scène de La Haine devant. J’allais aussi aux Bains Douches avec Serge. J’y ai rencontré Christophe et Edgar, et par la suite Solo et Vincent Cassel. Solo était dans l’émission H.I.P. H.O.P. sur TF1. C’était en 1984″ raconte Maï Lucas dans un entretien avec Mathieu Kassovitz et Alexandre Thumerelle, créateur de la librairie 0fr.
À travers une centaine de clichés, la photographe raconte comment une génération ambitieuse et turbulente s’est emparée d’un Paris à ciel ouvert pour écrire – littéralement, avec les graffitis – le début d’une histoire et d’une culture. Rappeurs, graffeurs, DJs, scratcheurs…
Doc Gynéco et Stomy Bugsy. (© Maï Lucas)
Issu·e·s de Paris et sa banlieue, B-boys et B-girls se réunissent dans des lieux témoins de l’effervescence du mouvement, dont le terrain vague de Stalingrad, le Globo au Faubourg Saint-Denis, les Bains Douches, la boutique de hip-hop Ticaret… On retrouve ainsi des portraits de celles et ceux qui deviendront les têtes d’affiche du mouvement : Kery James, âgé de 12 ans, avec son groupe Idéal Junior fondé en 1990, Joey Starr qui se fait alors appeler “Joe1” en train de taguer, Lady V, Stomy Bugsy et Cut Killer…
Hip-hop au féminin
Au cœur de cette effervescence multiculturelle, Maï Lucas navigue, son appareil photo toujours autour du cou. Elle est ce qu’on appelle une “Fly Girl”. Si le hip-hop est très largement illustré par des figures masculines, les femmes sont loin d’en être absentes et elles participent elles aussi à façonner l’identité de cette culture.
Dan et Teddy devant Ticaret, première boutique hip-hop à Paris-Stalingrad. (© Maï Lucas)
Leurs noms sont restés dans l’ombre, mais les Fly Girls et B-girls dansent, graffent, mixent… “Je suis contente d’y montrer des filles, car on ne parle pas assez d’elles dans le hip-hop. […] Nous les filles, on pouvait avoir des grandes gueules, s’habiller en mecs ou sexy, danser, rapper, taguer. Il fallait avoir de la trempe”, détaille Maï Lucas à son éditeur. Parmi elles, les talentueuses Lady V, B-Love, Sté Strausz, la chorégraphe Max-Laure Bourjolly, les Ladies Night…
À travers son regard, Maï Lucas dresse un joyeux portrait de famille et fait vivre au lectorat une époque dorée dans laquelle tout reste à construire et où chacun·e s’illustre par son talent, son style et son ambition. Un témoignage précieux, nostalgique et intimiste sur les prémices du hip-hop français.
Couverture de “Hip Hop Diary of a Fly Girl 1986-1996 Paris” de Maï Lucas, publié aux éditions 0fr.
Une sélection des clichés de Maï Lucas est également visible à l’occasion de l’exposition “Hip-Hop 360”, à la Philharmonie de Paris jusqu’au 24 juillet 2022. Hip Hop Diary of a Fly Girl 1986-1996 Paris de Maï Lucas est publié aux éditions 0fr.