Lemmy Kilmister, frontman de Motörhead, s’est éteint le 28 décembre. Souvent considéré à tort comme un metalhead, il personnifiait un certain lifestyle rock aujourd’hui disparu.
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Elle a fini par l’emporter, cette mort qui le faisait tant marrer. Lundi 28 décembre, Lemmy Kilmister s’est éteint à l’âge de 70 ans. La triste nouvelle a été annoncée dans un post sur le compte Facebook de son groupe Motörhead, au cours de la nuit :
Notre puissant et noble ami Lemmy est décédé aujourd’hui après une courte bataille contre un cancer extrêmement agressif.
Selon le message, la maladie n’avait été diagnostiquée que deux jours plus tôt, le 26 décembre.
“Good evening, we are Motörhead and we play rock’n’roll”, avait coutume de lancer à ses fans Lemmy Kilmister en guise d’introduction à chaque concert. Eh oui, si le grand public le reconnaît comme une icône du heavy metal, Lemmy était animé d’une passion pour le rock dans sa globalité, de Chuck Berry aux Ramones, des Beatles à Foo Fighters.
Débuts psychédéliques
Né dans une ville minière du nord de l’Angleterre en 1945, Lemmy Kilmister veut très vite faire comme tous les gamins de son âge : apprendre la guitare et trouver un groupe. Il joue très vite de la gratte dans de nombreuses formations durant les 60’s, comme les Rockin’ Vickers, combo pop mignon qui décroche un éphémère contrat de trois singles avec CBS.
Après avoir partagé un appartement avec Noel Redding, bassiste de Jimi Hendrix, il devient brièvement le roadie du groupe du guitar hero gaucher en 1968. Peu après, toujours aussi bien peigné, il enregistre un album de rock psychédélique avec le groupe Sam Gopal – dont le son armé de percussions indiennes est évidemment à mille lieues de Motörhead.
Après avoir traîné sa guitare et ses bacchantes (qui ne le quitteront presque plus) d’un groupe à l’autre, Lemmy Kilmister se met à la basse et rejoint finalement Hawkwind en 1972. Chantres du space rock, leur musique mélange proto-heavy metal et expérimentations soniques au nom d’albums concept sci-fi et de lives aux allures de transe.
C’est là que Lemmy développe son jeu au médiator toujours sur le fil et si reconnaissable, à mi-chemin entre celui d’un bassiste et celui d’un guitariste. Le titre “Silver Machine”, ci-dessous joué live, finira numéro 3 dans le hit singles en 1972.
Viré des épopées de Hawkwind en 1975 à cause d’une consommation de drogues de plus en plus préoccupante, le bassiste désormais introduit dans l’industrie du disque fonde alors son propre groupe, nommé d’après la dernière chanson qu’il a écrite pour Hawkwind, “Motörhead”.
“Pourquoi êtes-vous si violents ?”
Dès ses débuts, le trio effraie les parents et fait le bonheur des fans de musique sans concession. Impitoyable pour l’époque, le son du trio devient ce qui se fait de plus savoureux pour une génération de metalheads qui n’avaient jamais entendu une telle voix, ni une telle vélocité.
Les titres “Overkill” ou “The Ace of Spades”, écrits à cette période, cisèlent non seulement les contours du heavy metal et du punk, mais également d’un style de vie qui n’était pas encore un abominable cliché à l’époque : sex, drugs & rock’n’roll. Philippe Manœuvre lui-même en fera les frais dans une interview vidéo savoureuse en 1983.
Or sous leur blousons noirs, les gars de Motörhead ont un p’tit cœur qui bat. Tout au long de sa carrière, Lemmy enregistrera de nombreuses reprises en hommage à ses héros de jeunesse comme Chuck Berry ou Elvis Presley, tout en continuant à écrire des disques hard rock à la rigueur stakhanoviste.
Si Lemmy est souvent vu comme un coureur de jupons invétéré, il ne faut pas le prendre pour la brute misogyne qu’il n’était finalement pas. En parallèle de celle de Motörhead, la carrière d’un autre groupe prend son envol : Girlschool, l’un des tout premiers girl bands de l’histoire du heavy metal. Les deux groupes enregistreront même un disque ensemble en 1981 sous le nom de Headgirl, le St. Valentine’s Day Massacre EP. Une pochette bien stylée pour du rock qui n’a pas pris une ride.
“Le roi du rock’n’roll”, selon Dave Grohl
Ne crachant jamais sur une petite collaboration lorsqu’il juge le projet intéressant, Lemmy répond à de très nombreuses invitations : Nina Hagen, Ugly Kid Joe, The Ramones, Doro, Airbourne… Ils immortaliseront tous au moins un titre avec lui. Mais deux collaborations restent particulièrement mémorables.
Dave Grohl, ex-batteur de Nirvana et désormais frontman de Foo Fighters, décide en 2004 d’enregistrer un album heavy metal pour rendre hommage à ses idoles de jeunesse. Nom du projet : Probot.
Il convoque alors nombre des meilleurs musiciens de la musique de Satan autour de lui comme Cronos de Venom, Max Cavalera de Sepultura, King Diamond de Mercyful Fate ou encore… Lemmy de Motörhead. Le résultat ? Un album jouissif, un single génial et une rencontre qui marquera Dave Grohl à jamais, lui qui déclarera plus tard :
Elvis et Keith Richards peuvent aller se faire foutre. Lemmy est le roi du rock’n’roll. Catégorique, il m’a expliqué qu’il ne fallait surtout pas considérer Motörhead comme un groupe de metal. Lemmy est une légende qui vit, qui respire, qui boit et qui sniffe. Personne ne lui arrive à la cheville.
Dans un autre registre, Lemmy Kilmister sera également présent dans le projet Head Cat, une collaboration qui dure plusieurs albums et convoquant Slim Jim Phantom, batteur des Stray Cats, et Danny B. Harvey, guitariste des Rockats.
Assoiffés de punk ou de heavy metal, passez votre chemin : là, Lemmy et ses potes à banane s’éclatent sur du rockabilly à la suite d’une rencontre autour d’un tribute album à la gloire du King. Forcément, ça donne envie de multplier les références au rock’n’roll des origines – Eddie Cochran, Buddy Holly, Johnny Cash, etc.
Le rock en chair et en os
Porté à l’écran dans le documentaire qui porte son nom en 2010, Lemmy Kilmister montrait alors s’il le fallait encore toute l’étendue de sa personnalité sans filtre. Collectionneur de vieilleries militaires un peu barjot, rongé par l’alcool, accro au jeu (notamment aux jeux vidéo) et père aux qualités discutables… Certes, Lemmy n’était sans doute pas un exemple de vertu. Mais personne ne lui demandait de l’être.
Pour des millions de metalheads, punks et rockeurs du monde entier, il était et restera un monument inamovible, unique rockeur qui a réussi à nous faire croire avec pas mal de sérieux qu’il était vraiment immortel. Pendant près d’un demi-siècle, il a défié successivement le rock prog, le disco, le rap, la musique électronique et n’importe quel nouveau mouvement musical de lui faire changer un iota de sa formule d’origine. Et ils ont tous perdu.
Brutal, drogué, hirsute, vulgaire et avec deux grosses verrues sur la joue, il était l’incarnation la plus charnelle de la musique du diable. Lemmy était Motörhead et il jouait du rock’n’roll.