Joseph Rodriguez devient chauffeur de taxi en 1977. Ont suivi “deux, trois années chargées” lors lesquelles il s’est sevré de la méthadone et a suivi des cours dans une université de Brooklyn. Pendant ce temps, il continue de sillonner New York, rencontrant des dizaines de personnages différents chaque jour.
À voir aussi sur Konbini
Durant dix ans, il photographie et prend note de ce quotidien paradoxal, qui le fait entrer en contact avec des personnes qui l’ignorent ou se livrent à lui avant de disparaître au milieu des immeubles, et qui lui fait sillonner la ville sans bouger.
“Un mendiant dans l’East Village”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
Le conducteur commence par photographier ce qui entoure sa carrosserie, des scènes du quotidien tourbillonnant de la Grosse Pomme – un homme percutant de plein fouet une voiture, n’ayant d’yeux que pour une mannequin traversant la rue ou des enfants se rafraîchissant autour d’une borne à incendie.
Passionné de photographie, il suit un atelier auprès de la grande Mary Ellen Mark. Artiste humaniste ayant utilisé son appareil photo au plus près de celles et ceux qu’elle photographiait, elle lui reproche son manque de courage qui l’empêche d’immortaliser ses passager·ère·s : “Les gens qui sont juste à côté de toi. Prends-les en photo.”
“Devant le Vault, un club S&M célèbre. Il était environ 9 heures du matin. Certains entrent, d’autres sortent”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“Rendre visibles ceux qu’on choisit de ne pas voir”
Joseph Rodriguez suivra les conseils de Mary Ellen Mark et marchera même dans ses pas. Comme elle, il s’intéressera aux personnes évoluant en marge de la société, avec un œil toujours empreint d’humanité et de sensibilité. Sa mission, précise le photographe Richard Price en préface du livre TAXI: Journey Through My Windows 1977–1987, est “de rendre visibles ceux qu’on choisit de ne pas voir”. Joseph Rodriguez met ainsi à l’honneur les sans-abri, qui sont de plus en plus nombreux·ses à peupler les rues de New York, les oiseaux de nuit et la communauté LGBTQI+.
Entre les années 1970 et 1980, l’épidémie du sida fait des ravages autant sanitaires que psychologiques, enflammant une homophobie bien ancrée au sein de la société. Joseph Rodriguez ne fait pas de distinction entre les personnes qu’il accueille à bord de son taxi, passant de travailleur·se·s du sexe à des fêtard·e·s aux pupilles dilatées ou des familles endimanchées, se rendant à l’église, parfois en moins de dix minutes.
“Le Meatpacking District, dans Greenwich Village”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
Commençant sa journée de travail à 4 heures du matin, il se fixe aux abords des plus gros clubs drag, SM et gay de la ville. Il raconte le tumulte et la liberté permise alors par New York, la ville où tout paraît possible pour celles et ceux qui se sentent en marge de la société. Joseph Rodriguez n’omet pas les difficultés des réalités de la rue. Un jour, il raconte l’agression d’une prostituée par son mac, qui la menace d’un couteau pour lui soutirer de l’argent.
Un lieu privilégié pour révéler la nature humaine
Le photographe est aussi le récepteur des secrets des client·e·s qu’il transporte, témoin privilégié de leur visage pluriel. Il n’est pas anodin pour lui de récupérer à la sortie d’un célèbre club SM de la ville, au petit matin, un homme “vêtu de cuir, son cul apparent, un chapeau en cuir”, qui ressortira de sa voiture trente minutes plus tard, vêtu d’“une chemise Oxford et chaussé d’une paire de mocassins à glands”.
“Une famille sur le chemin de l’église un dimanche matin”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“Un taxi devient un lieu où écouter des histoires. Ça devient aussi un cabinet de psy. Les gens ont tant de choses à raconter”, souligne Joseph Rodriguez, qui ne fait pas que photographier ses passager·ère·s mais leur parle aussi, et les écoute. À un couple marié depuis 45 ans, il demande le secret de leur longévité. Après s’être mutuellement plaint·e·s des pets de l’une et des ronflements de l’autre, ils se mettent d’accord sur “l’amour et le compromis”.
L’ouvrage qui compile ses photographies en noir et blanc au grain si travaillé se clôt sur les remerciements de l’auteur. Des remerciements qui mettent en exergue la ville de New York “et ses habitants” qui lui “ont tant donné”. Reportage social, anthropologique et humaniste, le livre de Joseph Rodriguez est un voyage qui ne laisse pas indifférent·e, même à des milliers de kilomètres et quarante ans après.
“Hell’s Kitchen”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“Autoportrait”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“220 West Houston Street”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“Je l’ai pris à la sortie d’un des clubs Meat Packing District. C’était un artiste de drag, je l’ai ramené jusqu’à chez lui, à Brooklyn”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“Manhattan”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“Je l’ai pris à la sortie d’un club et l’ai emmené à Brooklyn. Il était joyeux”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“À l’époque, tout l’East Village ressemblait à cela. Le graffiti est signé Luca Pizzorno, un artiste italien qui est décédé du sida dans les années 1990”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“Entre la 14e rue et le West Side Highway. C’est l’arrière de l’Anvil. Ces gars sortaient pour pisser. Et bien sûr, ils se mettaient à discuter donc qui sait ce qui se passait ensuite”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“Pulaski Skyway, dans le New Jersey”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
“Devant un club de West Houston”, photo issue de “Taxi”. (© Joseph Rodriguez/powerHouse Books)
TAXI: Journey Through My Windows 1977 – 1987, de Joseph Rodriguez, est disponible aux éditions powerHouse Books.