Ça tient en quelques plans. Le temps de deux, trois scènes de Simple comme Sylvain qui viennent rebattre les cartes de l’imaginaire du sexe au cinéma. Avec son dernier film, Monia Chokri est un peu plus entrée dans le club très fermé des réalisateur·rice·s qui donnent une utilité à la représentation de l’intimité. C’est une manière de faire qui pourrait bien être en train de prendre de l’ampleur sur le grand écran. On a voulu savoir où nous en étions réellement aujourd’hui. Les scènes de sexe ont-elles entamé leur mue ?
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Le visage de Sophia comme élément central, des plans serrés fugaces de corps en mouvement, le décor (et nous) comme unique spectateur… La Québécoise Monia Chokri a fait le choix de la pudeur dans Simple comme Sylvain. Durant toute la promo de son film, elle l’a répété, comme ce jour-là pour Madame Figaro :
“Cela ne m’intéressait en aucune manière de filmer la nudité, je m’étais même donné comme défi de ne pas montrer le corps de mon actrice.”
En recentrant sa caméra sur celui de Sylvain, elle entend bien mettre au placard le male gaze — point de vue masculin — pour celui de son héroïne. Fini alors le corps féminin comme image fantasmée, c’est l’homme qui est érotisé. En choisissant la pudeur, la réalisatrice ne perd rien du charnel.
L’objectif ? Se “déconstruire” elle-même et inverser les rôles pour une “plus grande égalité dans nos rapports homme-femme”. C’est une prise de position qui tiendrait presque du génie quand on sait que l’industrie est plus habituée depuis des décennies à fantasmer le rapport sexuel sans réel but.
Des scènes de sexe loin d’être orgasmiques ?
Geneviève Sellier, professeure émérite en études cinématographiques à l’Université Bordeaux Montaigne et animatrice du site Le Genre et l’Écran, va même plus loin :
“La plupart des scènes de sexe ne sont jamais problématisées. Dans 99 % des cas, on est dans le stéréotype”.
Bien souvent, les scénarios envoyés aux comédien·ne·s se contentent d’un simple “Ils font l’amour”. Ne cherchez alors pas d’intérêt à la nudité, ces scènes n’ont souvent pour seule intention que de faire avancer le récit. “Le souci, c’est que quand il n’y a pas de coordination d’intimité, on écrit vite fait la scène et on laisse les comédiens se débrouiller”. Monia Aït El-Hadj fait partie de la solution, elle occupe la place précieuse de coordinatrice d’intimité. Son but : éviter l’écueil de la “fainéantise”. En plus d’aider les comédien·ne·s à se sentir plus à l’aise avec le corps de son partenaire, elle peut avoir un impact sur l’intention donnée à la scène de sexe :
“Le fait d’en parler avec eux les fait développer leur récit”.
Dans le même temps, cette intention permet d’installer une pudeur autrefois inexistante. “Pour moi, la pudeur n’a pas de lien avec la nudité mais plutôt avec le respect entre la réalisatrice et nous. Car une scène peut comporter très peu de nudité mais être extrêmement impudique”, confie Zita Hanrot, actrice de Plan Cœur et Rouge et membre de l’Association des acteur·rice·s (ADA).
Mais comme le rappelle Geneviève Sellier, en France, l’auteur·rice occupe une place de “tout-puissant·e” dans le cinéma, expliquant la réticence de plusieurs metteur·se·s en scène à faire appel à des coordinateur·rice·s d’intimité :
“Il ne faut pas négliger le poids des représentations dominantes.”
Exemples flagrants : le récent Avec amour et acharnement de Claire Denis, “accablant de banalité et d’incohérence du point de vue des scènes de sexe” pour la professeure, mais aussi et surtout La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche (souvent considéré comme le maître du male gaze en France).
Des codes aussi alternatifs que minoritaires
Monia Chokri fait elle alors figure d’exception ? Elle fait en tout cas partie d’une minorité dans le paysage cinématographique francophone. Quand on demande à nos interlocuteur·rice·s si l’on va vers une généralisation de ces points de vue, l’enthousiasme ne les étouffe pas. “Plus il y aura de films réalisés par des femmes, plus on aura accès à une représentation du désir féminin qui sortira des stéréotypes masculinistes”, assure Geneviève Sellier.
Encore faudrait-il leur laisser l’opportunité de faire entendre leur voix. En France, le CNC aide de plus en plus régulièrement ce type de profils, mais c’est encore difficile de concurrencer les grandes figures (souvent masculines) du cinéma. Les réalisatrices féministes ont beau être présentes, elles doivent encore souvent traverser un no woman’s land jonché d’obstacles pour avoir l’occasion de changer les codes comme l’a fait Monia Chokri.
Une semaine seulement après Simple comme Sylvain, la réalisatrice britannique Molly Manning Walker sortait en France son premier long-métrage : How to Have Sex. Le titre est didactique, l’intention tout autant. À travers (attention spoiler) deux scènes d’agression sexuelle, le film troque la tapageuse imagerie du viol, déjà surexploitée à l’écran, pour laisser place à la même pudeur. Comme chez Monia Chokri, la nudité n’est pas le sujet. Ici, la Britannique traite de la question essentielle du “oui” comme invitation, ou non, à l’acte sexuel. Malgré le point de vue évident de la réalisatrice (son héroïne à beau prononcer ce “oui”, elle ne consent à rien), à la suite de la projection du film à Cannes en mai 2023, le débat renaît. Pour de nombreux journalistes (principalement masculins) la responsabilité est partagée entre les personnages. Mais pour Alma Jodorowsky — actrice dans L’Ennemi et la série Split et membre de l’ADA avec Zita Hanrot — ça n’est pas peine perdue pour autant :
“J’ai parlé avec des hommes qui ont vu le film entre eux. Ce n’est pas grave s’ils n’ont pas assimilé le message immédiatement, ça vient après. Dans tous les cas, ça permet d’avoir des discussions profondes autour du sujet, ça a pu permettre à certains de se remettre en question. Le film continue de vivre après la séance chez les spectateurs. Et je pense que c’est ce qui est recherché”.
Tou·te·s nos interlocuteur·rice·s nous ont plus ou moins partagé le même constat : le chemin semble encore long pour que les discours féministes se taillent une place de choix aux côtés d’une vision plus traditionnelle. Mais leur force, c’est probablement que cette nouvelle vague de réalisateur·rice·s — très souvent britanniques — a moins froid aux yeux quand il s’agit de traiter différemment de la question du corps, du consentement et du genre.
En marchant dans les pas des pionnières du genre, Jane Campion, Catherine Breillat ou encore Christine Pascal, elles ont alors un boulevard sur lequel s’exprimer pour déconstruire et poser de points de vue alternatifs.