Le nez collé aux œuvres d’Alioune Diagne, vous ne verrez qu’un amas de symboles abstraits, une calligraphie colorée quasi mystique. En reculant de quelques pas, vous verrez apparaître des visages, des silhouettes et des scènes de vie, à la manière du pointillisme de la fin du XIXe siècle.
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Depuis 2013, le peintre sénégalais s’épanouit dans ce mouvement, qu’il a appelé “figuro-abstro”, et qui “consiste à composer des scènes figuratives à partir d’éléments abstraits”. “J’appelle ces éléments ‘mes signes inconscients’ car ils me sont venus naturellement, sans rien calculer. C’est pour moi un langage universel que chacun peut interpréter comme il le souhaite. De manière générale, mon travail est instinctif. Je pars d’un sujet et mes signes apparaissent spontanément.”
En ce début d’année, l’artiste partage Seede, sa nouvelle série, toujours réalisée à partir de ce figuro-abstro instinctif : “En wolof, ‘seede’ signifie ‘le témoignage’, ‘le témoin’. Pour cette série, j’ai arpenté pendant des semaines les côtes du Sénégal à la recherche de témoignages des pêcheurs locaux. Cela n’a pas été facile car bon nombre d’entre eux ne souhaitaient pas se confier. J’ai peu à peu gagné leur confiance et entendu leur histoire, comment ils ont réussi à faire face à l’industrialisation grandissante en se reconvertissant en passeur. J’ai couché ces récits sur papier et j’en ai fait des peintures.”
À travers son travail, Alioune Diagne souhaite “donner une voix à des acteurs locaux que l’on ne voit pas, à des histoires qui sont tues”.“Je cherche à faire éclater les tabous. Je veux montrer à la jeunesse sénégalaise que l’on peut avoir un avenir au Sénégal.” Pour raconter ces histoires, le peintre s’inspire des “scènes de vie” qu’il observe dans “les rues au Sénégal ou lors de [ses] voyages”.
L’artiste croque parfois les paysages sur place, mais s’amuse surtout à “reconstruire” ces scènes qui l’“ont marqué, directement sur la toile à partir de [ses] souvenirs”. “Il m’arrive de m’inspirer également de témoignages. J’essaye de retransmettre ces images grâce à mes signes dans mes tableaux.”
“La culture noire est très présente dans mon travail”
Grâce à “ces scènes de marchés, de la vie quotidienne des pêcheurs, de rencontres”, le peintre traite visuellement “des problématiques d’aujourd’hui qui [le] touchent particulièrement comme les migrations clandestines, la diaspora africaine à travers le monde, la place des femmes, l’éducation, la spoliation des ressources en Afrique”. “La culture noire est très présente dans mon travail.”
Alioune Diagne, Destination inconnue. (© Alioune Diagne/Galerie Templon Paris, Brussels, New York)
Le figuro-abstro d’Alioune Diagne pourrait créer une mise à distance entre les personnages et le public mais il confère plutôt une aura aux scènes représentées, comme une preuve que toute histoire est empreinte d’une myriade de détails, de sous-couches et d’éléments qui s’agrègent afin de créer les récits les plus sincères possibles.
Depuis 2022, “suite à la biennale de Dakar”, le travail d’Alioune Diagne fait partie de la collection nationale du Sénégal. “C’est un grand honneur et une fierté pour moi”, commente l’artiste. “Je suis heureux que mon travail soit présenté dans un musée dans mon pays et que les Sénégalais puissent le découvrir. Je veux que les jeunes aient accès à la culture, chance que je n’ai pas eue dans ma jeunesse. J’espère que mon parcours pourra inspirer la jeunesse en Afrique à poursuivre leurs rêves car leurs rêves peuvent se réaliser en Afrique”, conclut-il.
Alioune Diagne, Fabrice, immigrant sauvé. (© Galerie Templon Paris, Brussels, New York)
Alioune Diagne, L’Attente de sauvetage. (© Galerie Templon Paris, Brussels, New York)
Alioune Diagne, L’Heure du sauvetage. (© Galerie Templon Paris, Brussels, New York)
Alioune Diagne, La Prière. (© Galerie Templon Paris, Brussels, New York)
Alioune Diagne, Rescapé. (© Galerie Templon Paris, Brussels, New York)
La série Seede d’Alioune Diagne est exposée à la galerie Templon jusqu’au 24 février 2024.