Le musée d’Orsay nous téléporte dans l’âge d’or des affiches illustrées

Le musée d’Orsay nous téléporte dans l’âge d’or des affiches illustrées

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© Service presse / musée d’Orsay

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Par Pauline Allione

Publié

Publicité, politique, art social : retour dans un Paris que l’on a pas connu, placardé d'illustrations imprimées.

On connaît tous ce grand chat noir à la posture bombée et au poil hérissé. Sa queue enroule le nom de Rodolphe Salis et le titre annonce la prochaine “Tournée du Chat noir”, un cabaret de Montmartre qui réunit les artistes bohèmes et intellectuel·les – M. Salis étant donc le propriétaire des lieux. Ce que l’on sait moins, c’est que cette affiche a été réalisée par le peintre suisse Théophile Alexandre Steinlen en 1896, âge d’or de l’affiche illustrée. Avec “L’art est dans la rue”, exposition visible jusqu’au 6 juillet 2025, le musée d’Orsay remonte le temps pour s’arrêter sur la seconde moitié du XIXe siècle, dans un Paris placardé d’affiches illustrées.

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Avec 230 œuvres – dont la moitié sont des prêts de la Bibliothèque nationale de France (BnF) – le musée d’Orsay revient sur ce courant d’art populaire qui s’est implanté dans le paysage urbain parisien. “Dialoguant avec un ensemble unique d’affiches, peintures, photographies, costumes, sculptures et objets d’art décoratif évoquent l’univers effervescent de la rue au tournant du siècle”, annonce le musée parisien. Divisée en six parties thématiques, l’exposition revient sur les rôles de l’affiche illustrée et sur les mutations sociales qu’elle a entraînées, à commencer par la manière dont elle s’est emparée des rues de Paris.

Georges Chevalier, Paris, place de la Bourse, 5 juin 1914. Collection Archives de la Planète, musée départemental Albert-Kahn, dpt des Hauts-de-Seine. (Service presse / musée d’Orsay)

Paris, lieu d’affichage à ciel ouvert

“La véritable architecture, aujourd’hui, celle qui pousse de la vie ambiante et palpitante, c’est l’affiche, le pullulement de couleurs sous lequel disparaît le monument de pierre” analysait le journaliste et essayiste Maurice Talmeyr à la fin du XIXe siècle. Au milieu de ce siècle, la Révolution industrielle et l’essor des classes moyennes favorisent la consommation : il faut faire passer des messages politiques, promouvoir des produits, des spectacles.

L’affiche illustrée, développée en noir et blanc dès les années 1830, est d’abord cantonnée aux murs des librairies. Dans les années 1860, le média profite de la lithographie en couleurs, est imprimé en grand format et sort des intérieurs de boutiques pour s’imposer comme le support publicitaire tout terrain. Paris est particulièrement gagnée par ces affichages artistiques : en pleine campagne électorale, on peut compter jusqu’à 1800 colleurs engagés pour placarder ces messages.

Forcément, le sujet divise : certains montent au créneau face à ce qu’ils considèrent comme une pollution visuelle, là où d’autres prennent la défense de cet art qui s’expose dans l’espace public, y voyant un signe de modernité. L’écrivain Joris-Karl Huysmans écrivait ainsi, au sujet des affiches du peintre Jules Chéret, qu’elles “déséquilibr[ai]ent, par l’intrusion subite de leur joie, l’immobile monotonie d’un décor pénitentiaire”.

Henri Gustave Jossot, imprimerie Camis (Paris), Guignolet. Cointreau, 1898. Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie. (Photo BnF ; Service presse / musée d’Orsay)

Artistes affichistes

Devenues des moyens de communication de masse, les affiches illustrées sont aussi le terrain d’expression et d’expérimentation des artistes qui les créent. “Séduits par [les] qualités esthétiques [des affiches], certains annonceurs se tournent vers les spécialistes les plus réputés comme Henri Jossot qui développe une nouvelle rhétorique visuelle. Qu’elles fassent la publicité pour des boîtes de sardine, des journaux anticléricaux ou comme ici des spiritueux, les affiches du caricaturiste traduisent sa conception du nouveau média, qu’il érige en arme visuelle : “l’affiche, sur le mur, doit hurler, elle doit violenter les regards du passant”, commente le musée d’Orsay au regard d’une affiche faisant la promotion du Cointreau réalisée par Henri Jossot.

Pour promouvoir leur liqueur, leur spectacle, leur théâtre, commerçants et entrepreneurs font appel aux artistes passés maîtres dans l’art de l’affiche : Jules Chéret, Henri de Toulouse-Lautrec, Alphonse Mucha ou encore le peintre italien Leonetto Cappiello, “dont le graphisme épuré et percutant est entièrement mis au service du message commercial” fera de lui le “rénovateur de l’affiche française”. Habitués des cabarets et salles de spectacles, les peintres en font d’ailleurs l’un de leurs motifs favoris, et certains tissent des liens avec des artistes interprètes dont ils vont participer à créer l’image publique, à l’instar d’Alphonse Mucha qui créa pas moins de huit affiches à la gloire de Sarah Bernhardt.

Eugène Atget (1857-1927), rue du Prévôt, 1900 ou 1901. Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie. (Photo BnF ; Service presse / musée d’Orsay)

Enfin, “L’art est dans la rue” revient sur l’utilisation politique de l’affiche illustrée, à une époque où les manifestations de rue émergent. Rendant l’art accessible à tous en le sortant des salons, l’affiche illustrée est aussi vectrice d’un message politique et social. En 1893, le critique d’art Félix Fénéon parlait ainsi de l’affiche illustrée comme de “la peinture plus hurf [chic] que les croûtes au jus de réglisse qui font la jubilation des trous du cul de la haute”.

Le message est clair : l’art n’est pas l’apanage de la noblesse ni de la bourgeoisie, et les illustrations – qu’elles soient promotionnelles ou non – placardées dans les rues s’érigent en contre-culture. Rendez-vous au musée d’Orsay pour découvrir l’histoire, les utilisations et les grands noms de l’affiche illustrée, ce média imprimé en masse, témoin tout en couleurs d’un Paris que l’on n’a pas connu.

héophile Alexandre Steinlen, Imprimerie Charles Verneau (Paris) , affiches Charles Verneau. “La Rue”, 1896. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie. (Photo BnF ; Service presse / musée d’Orsay)

“L’art est dans la rue” est visible jusqu’au 6 juillet 2025 au musée d’Orsay.

Konbini, partenaire du musée d’Orsay.