Bien avant Denzel Washington ou Spike Lee, des générations de réalisateurs noirs pionniers et révolutionnaires ont façonné le cinéma américain et cherché à lutter contre les stéréotypes, montre une exposition du musée des Oscars qui a ouvert ce dimanche 21 août 2022 à Los Angeles.
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“Regeneration : Black Cinema 1898–1971” revient sur les moments-clés de l’histoire méconnue du cinéma noir américain, et notamment sur les centaines de longs-métrages indépendants réalisés jusqu’aux années 1960 avec des acteurs africains-américains pour un public africain-américain, appelés “race films”, au moment où la ségrégation raciale était encore en vigueur dans les salles.
L’exposition, qui met en lumière ces œuvres largement ignorées par les grands studios hollywoodiens et les spectateurs de l’époque, s’ouvre avec une bobine de 1898, redécouverte récemment, montrant deux acteurs noirs de vaudeville qui s’étreignent.
“Êtes-vous prêts à entendre ce secret ? Que nous, les Noirs, avons toujours été présents dans le cinéma américain, depuis le départ”, lance la réalisatrice Ava DuVernay, lors d’une conférence de presse, avant d’ajouter :
“Présents non pas comme des caricatures ou des stéréotypes, mais en tant que créateurs, producteurs, pionniers et spectateurs enthousiastes. […] Nous aurions dû montrer cela bien avant.”
“Regeneration” est la deuxième exposition temporaire majeure du musée de l’Académie des arts et des sciences du cinéma, en charge des Oscars, qui a essuyé de nombreuses critiques ces dernières années pour son manque de diversité. La précédente exposition étant centrée sur le studio Ghibli.
Parmi les objets exposés se trouvent pêle-mêle l’Oscar de Sidney Poitier, premier Africain-Américain à remporter la prestigieuse statuette du meilleur acteur en 1964 pour Le Lys des champs, les claquettes du duo de danseurs les Nicholas Brothers ou encore un costume porté par Sammy Davis Jr. dans le film Porgy and Bess.
Dark Manhattan
“J’ai été surprise parce que je n’étais pas au courant de l’existence de ces longs-métrages avant de commencer la préparation” de cette rétrospective en 2016 et d’explorer les archives de l’Académie, explique à l’AFP la commissaire d’exposition, Doris Berger, qui poursuit ainsi :
“Je me suis demandé : ‘Pourquoi est-ce qu’on ne sait rien à ce sujet ? On devrait être au courant !’ Ce sont vraiment des films captivants et une preuve que les artistes africains-américains avaient tous types de rôles et qu’il y avait plein d’histoires différentes.”
Le public peut désormais voir les images soigneusement restaurées d’œuvres telles que le western musical Harlem on the Prairie, la comédie d’horreur Mr. Washington Goes To Town ou le long-métrage de gangsters Dark Manhattan. Mais beaucoup de “race films” dont il ne reste que les affiches promotionnelles ont été perdus à jamais.
Quand Hollywood proposait aux acteurs noirs de l’époque des seconds rôles de “majordomes et de ‘mamas'” (nourrice noire, souvent esclave, des riches familles blanches américaines), ce type de films indépendants leur offraient des rôles “d’avocats, de médecins, d’infirmières et de cow-boys”, note Doris Berger, ajoutant :
“C’est la preuve (que Hollywood) aurait pu être bien plus divers et excitant.”
La fin de l’exposition porte sur l’essor de la “blaxploitation”, genre des années 1970 qui mettait les acteurs africains-américains sur le devant de la scène, lancée par le réalisateur noir Melvin Van Peebles, décédé quelques mois avant le coup d’envoi de “Regeneration”, tout comme Sidney Poitier.
Hommage tardif mais essentiel
L’exposition s’inscrit dans un effort de l’Académie visant à répondre aux critiques sur son manque de représentativité, incarnées par la campagne #OscarsSoWhite qui avait pointé en 2015 le manque d’artistes noirs lors des nominations aux Oscars. L’institution a depuis doublé le nombre de femmes et de personnes issues de minorités ethniques parmi ses membres.
Au-delà d’informer le grand public sur les “race films”, “Regeneration” a aussi le mérite d’avoir interpellé certains réalisateurs noirs américains. “Si j’avais été au courant – des actrices et de tout cela –, j’aurais eu une vision et une approche complètement différentes du cinéma”, raconte le réalisateur Charles Burnett. “Ce travail devait avoir lieu. Il n’a que trop tardé. C’est un travail important et essentiel”, abonde Ana DuVernay, qui conclut :
“Cette exposition met en lumière les générations d’artistes noirs dont nous suivons les pas.”
Konbini avec AFP