Le Metropolitan Museum of Art de New York, l’un des musées les plus prestigieux de la planète, va “examiner” la provenance de certaines de ses d’œuvres d’art possiblement volées et, le cas échéant, les “restituer” aux pays d’origine, a indiqué l’établissement. Dans une lettre dévoilée par le New York Times et postée ensuite sur le site du musée, le directeur Max Hollein a annoncé qu’“il incombait au Met, l’un des plus grands musées du monde et qui tient une place prépondérante sur le marché mondial de l’art, de s’impliquer de manière plus intense et proactive dans l’examen de certaines parties de nos collections”.
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Concrètement, le musée va allouer davantage de “ressources” à ce travail d’inventaire en recrutant une équipe de chercheur·se·s sur la “provenance” de certaines œuvres d’art et antiquités parmi 1,5 million de pièces qu’il détient. “Nous allons élargir, accélérer et intensifier nos recherches sur toutes les œuvres parvenues au musée via des marchands d’art qui ont fait l’objet d’une enquête” de la justice, a assuré M. Hollein, en estimant que la plupart de ces pièces suspectes ont été acquises par le Met “entre 1970 et 1990”.
“Le Met a une longue histoire d’examen consciencieux de nos collections et, le cas échéant, de restitution d’œuvres d’art”, a assuré le directeur, citant le retour d’antiquités ces dernières années à “l’Égypte, la Grèce, l’Italie, le Népal, le Nigeria, la Turquie, et le mois dernier à l’Inde”. Depuis janvier 2022, plus de 950 pièces d’une valeur de plus de 165 millions de dollars ont été rendues à 19 pays.
Des sculptures chinoises saisies
Comme tous les grands musées occidentaux, le Met est sous pression d’un “climat qui change sur le patrimoine culturel”, reconnaît M. Hollein, et l’établissement a aussi été cité dans des affaires judiciaires d’œuvres possiblement volées. Ainsi, la justice new-yorkaise a récemment rendu à la Chine deux sculptures funéraires en pierre du VIIe siècle d’une valeur de 3,5 millions de dollars qui ont fait l’objet d’un trafic international et ont été saisies au Met.
Les procureurs de Manhattan mènent depuis 2020 une vaste campagne de restitution d’antiquités pillées dans une vingtaine de pays, qui ont atterri dans des musées et galeries de New York, dont le Met et ses richissimes collectionneur·se·s et donateur·rice·s. Les sculptures funéraires chinoises avaient fait l’objet d’un “prêt de 1998 à 2023” au Met par Shelby White, 85 ans, administratrice et philanthrope du musée et chez qui la justice avait saisi en 2021 et 2022 une vingtaine d’œuvres d’art volées. Dans le cadre de l’enquête autour des sculptures chinoises, 89 autres œuvres provenant de dix pays différents, d’une valeur totale de 69 millions de dollars, ont été saisies.
Ces sculptures anciennes, “sciées” sur des tombes au début des années 1990, avaient ensuite été sorties de Chine. “C’est une honte que ces deux antiquités incroyables aient été volées et qu’au moins l’une d’elles soit restée cachée du public durant près de trois décennies”, a tonné le procureur Bragg. L’une des sculptures est en effet restée entreposée dans les réserves du Met pendant 25 ans.
Cité dans le communiqué, le consul général chinois à New York, Huang Ping, a considéré que “la répression des crimes contre le patrimoine culturel était une mission sacrée”. Le cas le plus emblématique des trafiquants d’art à New York est le collectionneur Michael Steinhardt qui a dû restituer, selon un accord à l’amiable passé avec la justice en 2021, environ 180 antiquités volées d’une valeur de 70 millions de dollars.
“New York est l’une des plaques tournantes du trafic illicite d’antiquités sur la planète”
Au-delà du Met, ce sont toutes les institutions de la Grosse Pomme qui sont remises en question. New York commence peu à peu à lever le voile sur son trafic international d’antiquités, avec ses centaines d’œuvres pillées ces dernières décennies en Asie, en Europe et au Moyen-Orient que la justice saisit chez des collectionneur·se·s et dans des musées prestigieux.
“L’ampleur des saisies et des restitutions d’antiquités impliquant musées, galeries d’art, maisons d’enchères, collections privées à New York et originaires de plus de douze pays ne fait pas l’ombre d’un doute : New York est l’une des plaques tournantes du trafic illicite d’antiquités sur la planète”, accuse Christos Tsirogiannis, archéologue et historien de l’art à l’université d’Aarhus au Danemark. Ce chercheur et son confrère David Gill, professeur à la Kent Law School britannique, ont partagé avec l’AFP une infime partie de leurs enquêtes sur les réseaux internationaux de trafic d’œuvres d’art anciennes. Leurs travaux en font des experts auprès de la justice de New York.
Car dans la capitale culturelle et économique des États-Unis, royaume de musées grandioses comme le Metropolitan Museum of Art et des richissimes sociétés d’enchères Christie’s et Sotheby’s, le parquet de Manhattan mène tambour battant depuis 2017 une campagne de restitutions d’œuvres d’art : des pièces de l’Antiquité grecque, romaine, byzantine ou de Mésopotamie, Chine, Inde et Asie du Sud-Est pillées dans une vingtaine de pays entre les années 1970 et 1990. Et le rythme s’accélère depuis deux ans : sous l’égide du procureur Alvin Bragg, en poste depuis 2022, plus de 950 pièces d’une valeur de 165 millions de dollars ont été rendues à dix-neuf pays, dont le Cambodge, la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Égypte, l’Irak, la Grèce, la Turquie ou l’Italie.
“Rien à déclarer”
L’AFP n’est pas parvenue à entrer en contact avec la discrète femme d’affaires Shelby White, qui s’était contentée de dire fin 2022 au journal The Art Newspaper n’avoir “vraiment rien à déclarer”. Mais pour MM. Tsirogiannis et Gill, ses acquisitions faites avec son mari Leon Levy (mort en 2003) furent “mal avisées”, surtout celles amassées après la Convention de l’Unesco de 1970 concernant le trafic illicite de biens culturels.
De fait, pointe M. Tsirogiannis, “jusqu’en 2008, Mme White avait rendu dix œuvres à l’Italie et deux à la Grèce ; elle aurait donc dû avoir de sérieux doutes sur l’origine et le statut du reste [de ses collections] et les vérifier des années avant les dernières saisies” de 2021 et 2022. M. Gill cite aussi l’unique déclaration publique connue de Shelby White, en 2007, selon laquelle quand “on achète un objet aux enchères chez Sotheby’s, Christie’s ou à un marchand d’art sur Madison Avenue, on ne pense pas faire quelque chose de mal. Acheter des antiquités est légal”.
Pillage en Irak
Dernière restitution en date, le 19 mai, la justice new-yorkaise a rendu à l’Irak un éléphant en calcaire de la période mésopotamienne et un buffle en albâtre de la civilisation sumérienne “volés durant la première guerre du Golfe et passés en contrebande à New York à la fin des années 1990”. Le buffle a été “saisi dans la collection privée de Shelby White”, a dénoncé M. Bragg, s’engageant à ce que “New York ne devienne pas un sanctuaire pour les objets culturels anciens volés”. D’autres marchands d’art ont été confondus par la justice.
Le collectionneur Michael Steinhardt, qui avait une galerie à son nom au Met, a dû restituer 180 antiquités d’une valeur de 70 millions de dollars aux termes d’un accord judiciaire à l’amiable en 2021. Le marchand d’art Subhash Kapoor a été condamné en novembre à dix ans de prison en Inde, aboutissement d’une décennie d’enquête internationale. En septembre, M. Bragg a aussi rendu à l’Égypte seize pièces, dont cinq saisies au Met, volet d’une double enquête à New York et à Paris où l’ancien président du Louvre Jean-Luc Martinez est inculpé.
Sans se prononcer sur le cas Martinez – soupçonné d’avoir ignoré des avertissements sur de possibles faux certificats d’origine de ces œuvres, ce qu’il conteste –, la présidente du Louvre Laurence des Cars a répondu à l’AFP lors d’une visite mi-mai à New York que “les grands musées devaient connaître les histoires de leurs collections” et que “l’histoire des collections du Met n’était pas celle du Louvre”. Sous pression, le directeur du Met, Max Hollein, vient d’annoncer la création d’une commission de chercheur·se·s pour “examiner” la “provenance” de certaines pièces de l’extraordinaire collection de son musée (environ 1,5 million d’œuvres) afin, en cas de vol et pillage, de les “restituer” aux pays d’origine.