Le jour où Norman Reedus (ou le grand Daryl de The Walking Dead) m’a étranglée après une interview

Le jour où Norman Reedus (ou le grand Daryl de The Walking Dead) m’a étranglée après une interview

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le , modifié le

Le journalisme, ça peut être un peu rock parfois.

Cet été, on a décidé de vous raconter nos moments d’interview les plus fous, du meilleur au pire. Entre grandes gênes, petits bonheurs et chaudes larmes, on vous dévoile tout.

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Mon quotidien est fait de bureau et de télétravail. Mais il fut un temps où j’étais jeune, où je n’entretenais pas encore mes tendances hémorroïdaires avec un cul vissé à une chaise pendant huit heures et où j’étais déployée sur des interviews hors du cadre de notre studio. J’ai pu pleurer avec Gabrielle Rul, faire des nattes à William Klein quelques années avant sa disparition, déguster les cupcakes de Cédric Grolet au Meurice avec Katy Perry, lire les carnets d’Abdelkader Benchamma au Collège des Bernardins.

Ce temps-là remonte à 2016, soit quelques mois après mon arrivée à la rédaction de Konbini. Il était certes plus rock qu’aujourd’hui mais je ne m’en plains pas – d’autant plus que j’ai eu la chance de voyager à Los Angeles récemment. Parmi toutes les anecdotes d’interviews que je détiens figure une fois qui m’a particulièrement marquée : le jour où j’ai rencontré Norman Reedus, sans trop savoir qui était Norman fucking Reedus, sans trop savoir non plus qui était Daryl, et sans trop avoir vu The Walking Dead. En 2017, la série cartonnait et réunissait une fanbase que j’étais loin de soupçonner. Mon collègue Adrien Delage, aux séries, était jaloux et je ne comprenais pas bien pourquoi.

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Gin-tonics et 60 degrés Celsius

Mi-décembre 2016, je reçois un e-mail d’une RP me proposant de tourner un format avec Norman Reedus. L’acteur et photographe exposait sa série The Sun’s Coming Up… Like a Big Bald Head à la galerie Hors-Champs, à Paris. Première question : c’est qui ? Deuxième question : et il fait de la photo… ? Troisième question : on peut filmer ? Sa série rassemblait des portraits et scènes de vie à la fois sombres et sensuelles. À la manière d’un journal intime, ses clichés nous plongeaient dans une imagerie inquiétante, bourrée de références cinématographiques, mais aussi onirique et drôle.

Ni une ni deux, je propose d’abord à mon collègue un peu fan de l’interviewer : manque de bol, il n’était pas disponible ce soir-là. Je vais devoir m’y coller, et ce sera sans trop de motivation. Je choisis un format facile à faire pour quelqu’un qui n’a pas une carrière photographique de notoriété publique, qui permet de se concentrer uniquement, en une minute, sur la série qu’il présente. Ce format s’appelle le One Minute Project et il a bien vécu malgré la frustration de devoir systématiquement faire un montage qui ne dépasse pas les 59 secondes. Il se trouve que pour celui-ci, on dépassera de 28 secondes tellement c’était bon.

Capture d’écran de l’organisation du tournage du 16 décembre 2016.

Le rendez-vous était donné le 16 décembre à 19 heures. Deux cadreurs, Simon Méheust et Albert Oziouls Toulouse, un ingénieur son, Manuel Lormel, m’accompagnaient ce soir-là, me rappelle le monteur Adrian Platon, qui se souvient très bien de cette vidéo. Si mes souvenirs sont corrects, nous étions les seuls à le filmer. D’autres journalistes sont présent·e·s mais plutôt pour de l’écrit ; nous sommes donc très bien reçus. Sauf que quand on arrive, il nous est impossible d’entrer. Il se trouve que les fans se sont passé le mot à travers je ne sais quel réseau, et que le lieu est bondé.

La directrice de la galerie vient nous chercher et nous invite dans un bain de foule. Elle nous fait descendre au sous-sol, noir de monde. Comme on peut le voir sur les photos, je portais un col roulé en cachemire hyper étouffant. On était au mois de décembre, en France, et je vous jure que je n’ai jamais eu aussi chaud de ma vie, même quand je prenais le métro au corps-à-corps lors des grèves de 2019, même dans le désert du Sahara que j’ai visité pendant la canicule de 2003.

Qui aurait imaginé que le sous-sol de cette petite galerie parisienne était le lieu où il fallait être ce soir-là pour vivre un moment intense ? Certainement pas moi, ignorante que j’étais. Je ne pensais pas que Norman Reedus était un phénomène à ce point, mais j’ai pris conscience qu’en 2016, il était une sorte de Léna Situations à l’ouverture d’un énième Hôtel Mahfouf. Notre star avait du retard, et quand je dis retard, c’est trois heures de retard.

Plus les minutes passaient, plus le lieu se remplissait davantage par je ne sais quelle magie fouloscopique. Alors, on a eu une idée géniale : profiter des gin-tonics que le vernissage offrait et qui étaient servis par des mixologues portant des masques de singes – en référence au logo du sponsor. Puisque ce sont des heures supplémentaires, autant être alcooliques. On empile donc trois heures de cocktails gratuits en l’attendant. Plus l’alcool monte, plus la chaleur culmine. Vous comprenez, c’était gratuit.

“Now what? Fuck!”

21 heures. Le messie arrive. C’est une fournaise, mais il se fraie un chemin et se place immédiatement devant notre caméra. La foule l’acclame chaleureusement. Les gens filmaient de toutes parts. Certains s’étaient collés à nous en sachant que ses mouvements allaient le mener à l’espace blanc que nous lui avions consacré durant nos trois heures d’attente, et qu’ici, ils pourraient lui demander plus tranquillement un selfie ou un autographe. Avant de commencer l’interview, Norman Reedus, suant, crie un “Now what? Fuck!” en retirant sa veste. Ce sera notre préroll.

L’interview se déroule dans l’efficacité la plus redoutable et américaine. Le son est dégueulasse car la galerie est entièrement cacophonique. Certain·e·s fans nous aident en lançant des “chut” mais rien n’y fait. Le son sera dégueulasse mais mon ingénieur son fait preuve d’une résilience remarquable. Il se transforme en agent de sécurité : il joue des coudes pour éloigner la foule qui nous écrase et nous rapproche du champ progressivement. À la fin de l’interview, alors que je ne fais jamais ça, je lui demande une photo souvenir, juste pour bisquer mon collègue Adrien. Il accepte, et on se demande ce qu’on pourrait faire pour rendre la photo marrante.

Sans me le verbaliser, il se dit que coller à son rôle de The Walking Dead serait cool. Il me demande s’il peut m’étrangler, oui comme ça, direct. Je consens à devenir son zombie. Me voilà à côté de lui, ses mains qui s’agrippent à mon cou, entourant mes longs cheveux. Je mesure la magnificence de cet instant aux yeux des fans qui m’observent avec envie. Il est ensuite avalé par la foule, je le quitte pensant ne jamais le revoir. Le destin fera bien les choses car en 2021, aux Rencontres d’Arles, je le reverrai, en train de manger des huîtres sur la place du Forum, au pied de la location que j’avais l’habitude de réserver chaque année.

Après la publication de l’interview peu de temps après le tournage, je poste les photos individuellement sur Instagram – il faut savoir qu’il n’y avait pas de carrousel à cette époque. Sur une, on peut voir une main manger sur le cadre de la photo : cette main prend une photo, elle aussi. Ça me rappelle qu’il n’y avait que des mains qui prenaient des photos ce soir-là. Les likes fusent, moi qui n’étais pas habituée à un tel succès : 94 likes sur l’une, 204 et 102 sur les deux autres. L’armée de fans est là, en soutien indéfectible. Parmi tous ces likes, le sien. Et c’est ainsi qu’une de mes photos Instagram fut un jour aimée par Norman fucking Reedus.