Le jour où j’ai interviewé 50 Cent et que j’ai dû lui faire dire “poudre de perlimpinpin” (et mon âme a quitté mon corps)

Le jour où j’ai interviewé 50 Cent et que j’ai dû lui faire dire “poudre de perlimpinpin” (et mon âme a quitté mon corps)

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© Konbini

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Par Delphine Rivet

Publié le , modifié le

En quinze ans de journalisme, j’en ai fait, des interviews… Mais celle-là tient une place particulière dans ma boîte à traumas.

Cet été, on a décidé de vous raconter nos moments d’interview les plus fous, du meilleur au pire. Entre grandes gênes, petits bonheurs et chaudes larmes, on vous dévoile tout.

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Chaque année, les festivals, c’est ce qui vient casser la routine des journalistes culture. Forcément, quand on écrit sur les séries (c’est mon cas), il y a quelques passages indispensables par le Nord avec Séries Mania à Lille, par l’Ouest avec le Festival de la fiction de La Rochelle, et par le Sud avec Canneseries, à Cannes, donc, et le Festival de télévision de Monte-Carlo. En 2017, direction ce dernier, dans la principauté de Monaco, pour faire le plein d’interviews de stars du petit écran. Sauf que cette année-là, c’est un profil plutôt inattendu que je convoite : le rappeur 50 Cent. Il se trouve qu’il produit une série intitulée Power et qu’il est présent pour la défendre.

À Konbini, l’excitation est à son max, mais aussi un peu la jalousie : je ne suis pas naïve, je sais bien que mes collègues amateurs de rap me regardent de travers. Parce que moi, 50 Cent, il me laisse un peu de marbre, parce que : l’ignorance. Je connais vaguement ce qu’il fait, mais je sais surtout que dans la production des séries, c’est un newbie. Mon détachement ne m’aidera pas beaucoup, mon expérience du milieu de l’industrie télé non plus.

“Le mec en impose, mais il a l’air sympathique”

Car à cette période, à la rédac, c’est la grande époque du Fast & Curious. Donc, forcément, on ne peut pas passer à côté d’un Fast & Curious avec 50 Cent. Mais tant qu’à l’avoir en interview, autant caler aussi un autre format. Pas le choix, la décision n’est pas entre mes mains. Et là, je commence à comprendre dans quel traquenard je suis tombée…

À Monte-Carlo, chaque journaliste a son petit box, et les stars passent ainsi de média en média. Je suis placée en premier, et je vois Curtis James Jackson III (ouais, j’ai bossé la fiche Wikipédia) arriver avec sa team. On va pas se mentir, le mec en impose, mais il a l’air sympathique. Ouf, il l’est. Je lui explique rapidement le concept. Il est partant, répond de façon très mécanique, mais on se marre. C’est dans la boîte.

Et là, je lui explique le second format imaginé une heure plus tôt par quelqu’un dont c’est le métier, mais dont le job n’inclut pas le fait de demander à 50 Cent de bien vouloir se ridiculiser pour notre amusement collectif. Je dois lui faire dire des expressions en français (jusque-là, bon, ça va encore). Je ne me souviens que de deux, parce que ce sont les seules que j’ai pu sortir et vous allez vite comprendre pourquoi.

“Poudre de perlimpinpin”

Face à mes tentatives d’explications, donc, il n’est pas aussi enthousiaste que pour le premier format, mais il sourit, il est volontaire. Je lui présente la feuille sur laquelle sont imprimées les expressions. Il me la rend, et préfère que je les prononce pour pouvoir les répéter. Je sens que ça se crispe dans le coin de mon œil droit, où son attachée de presse est plantée, méfiante.

Première phrase que je dois lui faire dire (la gêne m’envahit) : “Quoi la famille”. Bonne pâte, il s’exécute. Deuxième phrase (mon âme quitte mon corps pour de bon) : “Poudre de perlimpinpin”, en référence au président Macron… J’ai à peine le temps de lire la confusion sur le visage de 50 Cent que son attachée de presse entre dans le cadre, m’arrache la feuille des mains, et me dit que l’interview est terminée.

Je crois que j’ai cassé 50 Cent… (© Konbini)

Elle me sermonne un coup, et je la vois remonter en trombe tous les autres box où attendent fébrilement mes confrères et consœurs pour leur dire que les interviews “concept”, les petits “jeux”, là, c’est finito ! Je comprends que je viens de foutre en l’air non seulement une partie de mon format, mais aussi potentiellement certaines des interviews de mes braves collègues. Sorry guys! Certain·e·s m’en parlent encore aujourd’hui – heureusement pour en rire.

Avec le recul, je comprends parfaitement la décision de l’attachée de presse. Son job, c’est aussi de protéger 50 Cent, et de s’assurer qu’il ne se ridiculise pas. Personne dans sa team ne parle français, personne ne sait donc ce que j’essayais de lui faire dire. Des carrières et des street creds ont été ruinées pour moins que ça ! Donc vraiment, chère madame, si tu me lis (et que tu as appris le français entre-temps) : je suis désolée, c’est toi qui avais raison.

Et vous voulez savoir à quel point 50 Cent est quand même un bon gars ? Ce jour-là, après avoir dû choisir entre Tupac et Biggie, et avoir prononcé du baratin dans une langue étrangère, il a quand même été super gentil et a accepté de faire un selfie avec moi (cliché qui restera à jamais enfoui dans la mémoire de mon téléphone). Depuis, on l’a de nouveau eu en interview plusieurs fois, mais sans moi (j’ai donné, merci).