C’est un récit qui a contribué à changer la société : le livre de Vanessa Springora, Le Consentement, dont l’adaptation au cinéma sort mercredi avec Jean-Paul Rouve dans le rôle de l’écrivain Gabriel Matzneff, a permis de renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles.
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“Il y a eu un avant et un après”, selon Marlène Schiappa, ex-secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes (2017-20). Ce livre a créé un “terreau favorable” à des changements législatifs, abonde Adrien Taquet, ex-secrétaire d’État chargé de l’Enfance (2019-22).
Paru en janvier 2020 chez Grasset, Le Consentement relate la relation sous emprise que Vanessa Springora a eue à 14 ans avec Gabriel Matzneff, écrivain qui a revendiqué dans ses livres son goût pour les mineurs, jeunes adolescentes et garçons. D’après une source proche du dossier, l’enquête pénale ouverte le lendemain de la parution du livre est proche de sa clôture et devrait s’achever par un classement sans suite, les faits qui auraient pu faire l’objet de poursuites contre M. Matzneff étant prescrits.
“Un enfant ne peut jamais être consentant vis-à-vis d’un adulte car ils ne sont pas dans un rapport d’égalité. Ce récit a éclairé sous un jour nouveau les rapports de domination liés à l’âge et au statut social”, explique à l’AFP Adrien Taquet.
“Mécanismes de l’emprise”
Il “a permis d’interroger la notion complexe de consentement, utilisée encore abusivement contre les victimes dans des situations inégalitaires”, renchérit Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes. “Vous aviez consenti, vous ne pouvez pas vous plaindre”, leur dit-on. “Oui, mais qu’est-ce que je pouvais faire ? J’avais 12 ans, c’était mon père, mon patron”, ajoute cette militante féministe. “Ce récit a montré la stratégie de l’agresseur et les mécanismes de l’emprise : l’adulte manipule l’enfant, le flatte, utilise son statut social d’écrivain célébré pour accéder au corps d’une enfant”, explique-t-elle.
Ce récit qui s’est vendu à 300 000 exemplaires, est arrivé dans un contexte post #MeToo, entre le roman autobiographique La Consolation (2016) de Flavie Flament, le film Les Chatouilles d’Andréa Bescond (2018), et La Familia Grande de Camille Kouchner (janvier 2021), œuvres évoquant des affaires de pédocriminalité. “Cette production artistique montrait que la société était en train de changer. Le livre [Le Consentement, ndlr] nous a aidés à passer la loi Billon et à créer la Ciivise”, explique Adrien Taquet.
En août 2020, le secrétaire d’État annonce la création de cette Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Installée en janvier 2021, elle est chargée de recueillir le témoignage des victimes et conseiller le gouvernement.
“La politique en retard”
Le débat public autour du Consentement a aussi conduit “à la loi Billon d’avril 2021 qui établit qu’aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 15 ans”, explique à l’AFP Mme Schiappa. Cette loi est aussi née du choc né d’un fait divers en 2017, à Pontoise, où un homme de 28 ans avait abusé sexuellement d’une fillette de 11 ans abordée dans un square, sans exercer de violences, menace ou contrainte physique.
“Nous avions tenté en 2018 d’établir un seuil d’âge de non-consentement aux relations sexuelles, nous heurtant à une montagne d’hostilité. Après la publication du Consentement et La Familia Grande, nous avons repris les travaux en montrant que c’était un fait de société, qui faisait l’objet d’une condamnation unanime”, souligne Marlène Schiappa.
L’opinion “a commencé à comprendre que la société, en tolérant cela, avait permis ces agressions, ces viols. Des violeurs utilisent l’art ou la liberté d’expression ou la libération sexuelle pour créer de l’impunité autour d’eux”, estime Mme Mailfert. Pour Anne Clerc, déléguée générale de l’association Face à l’inceste, “la société a mûri sur ces sujets, mais la politique reste en retard” : la Ciivise a fait vingt préconisations (pour mieux repérer, écouter, protéger, soigner les victimes de violences sexuelles dans l’enfance) et la plupart ne sont pas mises en œuvre”, souligne-t-elle.