Les 8 et 9 juillet 2022 sonnaient le retour des Red Hot Chili Peppers en France. De la formation “initiale”, qui n’avait pas joué réunie à Paris depuis la tournée de “Stadium Arcadium” – le 6 juillet 2007 au Parc des Princes, soit quasiment quinze ans jour pour jour avant cette nouvelle date. Forcément, c’était un événement. Deux Stades de France remplis à craquer, près de 160 000 places vendues. Et le rendez-vous était à la hauteur de la promesse.
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Je préfère être transparent tout de suite : j’étais conquis de base. Comme pour une grande partie des spectateurs ayant fait le déplacement, les Red Hot sont d’une importance capitale pour moi, les Californiens étant rentrés très tôt dans mon quotidien. Ma fascination pour leur attitude a été accentuée par l’étude précise des concerts, de la gestuelle et de la technique de John Frusciante. Encore aujourd’hui, ma manière de jouer de la guitare est imprégnée par ces heures à scruter le placement de doigts dans toutes les vidéos de concert disponibles sur Internet. L’amour démesuré que j’ai pour ces quatre êtres, principalement Frusciante, est déraisonné.
(© Louis Lepron)
Fait important à noter. Me considérant comme un “vrai fan du groupe”, pour peu que cela veuille dire quelque chose, il ne me manquait plus qu’une chose : les voir en vrai, en chair et en os. J’ai eu la chance de pouvoir interviewer Flea lors de son dernier passage à Paris, mais je n’avais jamais eu l’occasion de les voir sur scène. Non seulement c’était une première pour moi, mais, avec le retour de Frusciante, les étoiles se sont alignées.
Malgré quelques couacs, une harmonie sublime
Éliminons tout de suite les points négatifs de la prestation : oui, le son du Stade de France n’est pas adéquat ni comparable à celui d’une vraie salle de concert. On le savait en achetant la place. En revanche, il y a eu quelques couacs techniques. Ce qui est surprenant pour un événement de cette envergure, mais qui, justement, a donné lieu à de beaux moments de cohésion au sein du groupe.
John Frusciante a eu plusieurs soucis avec l’accordage de sa guitare sur les trois premiers morceaux. Face à certains moments de flottement, les trois autres ont réussi à faire le show. Le solo de Chad Smith, assez impressionnant au demeurant, semble faire partie de ces moments que nous n’aurions sans doute pas eus sans ces problèmes. Alors même qu’il s’agit d’un des temps forts, arrivant très tôt dans le show et donnant un coup de pep’s rafraîchissant.
De même pour un petit moment fort que seuls les fans hard-core auront reconnu : Flea qui interprète “Pea”. Non seulement le titre est rarement joué sur scène, mais c’était la première fois depuis le début de la tournée d'”Unlimited Love”. Mais, plus encore, il semblerait qu’il s’agisse d’un moment improvisé par le musicien, puisqu’on ne le retrouve pas dans la setlist publiée par le groupe sur Instagram.
Si “Pea” est un titre apprécié des fans – entendre Flea insulter un homophobe macho, toujours un délice –, l’artiste l’a en plus modifié. Au lieu de finir sur un “So fucking what?” que la foule était prête à clamer, on a eu le droit à un “I’m pro-choice”. Pro-choix signifie être pour que les femmes aient le droit d’avorter si elles le désirent. Dans un contexte où la Cour suprême américaine vient de révoquer ce droit, la prise de parole est symbolique. Un petit rappel de quel bord politique sont les RHCP.
Une symbiose émouvante aux larmes
Tout ceci va de pair avec la belle synergie mise en place entre les quatre loustics. On pourrait se dire que, plus de trente ans après leur première union, la magie ne serait plus là. Que Frusciante ferait tout à contrecœur. Que nenni. En tout cas, le ressenti depuis la fosse du Stade n’était pas celui-ci, au contraire.
Si, comme moi, vous aimez zoner sur les internets et regardez régulièrement des vidéos de live (et pas que Slane Castle, hein), vous savez que les Red Hot ne sont pas nécessairement les plus démonstratifs de leur amour. Cette scène de fin, où, sur les dernières notes de “By the Way”, les quatre membres se réunissent, s’enlacent, était d’une sincère beauté. Entendre Kiedis clamer “On est si chanceux de vous avoir, je suis chanceux d’avoir ces gars-là” est un moment qui va émouvoir les fans encore un paquet de temps. L’auteur de ces mots a les yeux encore moites rien que d’y penser.
Outre le grand retour du messie à six cordes, il y a un autre point à analyser. Si vous fouillez les setlists des concerts donnés depuis le début de la tournée, vous verrez qu’aucun concert n’a la même sélection. Il y a des redites, bien sûr, mais les spectateurs du premier concert parisien ont droit à “Universally Speaking”, “Hey” et “Suck My Kiss”, trois titres assez peu joués pour l’instant. Si l’on regarde les titres joués souvent lors de cette tournée, c’est tout de même surprenant de voir les géniaux “Charlie” et “Soul to Squeeze” à quasi chaque date.
Plus qu’une surprise émouvante pour les fans pensant connaître par cœur ce que va jouer le groupe (je ne cache pas avoir eu ma larme sur le solo de “Charlie”, d’une simplicité folle mais qui me fout les frissons à chaque fois), on a l’impression de sentir la fraîcheur d’un groupe qui enchaîne les dates mais ne se lasse pas de ses propres titres. Flea s’amuse toujours autant, Frusciante est toujours emporté par ses propres solos. C’est toujours aussi beau à voir et à écouter, d’autant plus qu’on a vraiment l’impression de voir un spectacle vivant, loin des shows rigides et millimétrés qui deviennent la norme pour les énormes concerts comme ceux-ci.
Au-delà de toutes les considérations purement statistiques, c’est également très fort de voir qu’avec les années, Flea et Frusciante peuvent encore autant improviser, bœufer, avec la même magie. Tous ces jams n’étaient pas forcément les meilleurs que le groupe ait pondus, mais, en toute franchise, pour avoir regardé la quasi-totalité des intros de “Californication” en ligne, celle offerte ce premier soir était d’une beauté déconcertante et pas loin d’être l’une des meilleures.
On se souviendra de l’énergie incroyable qui se dégageait sur “Give It Away”, des pogos provenant de toutes parts sur “By the Way”, des larmes d’une foule qui scande à l’unisson avec les lumières des portables sur le refrain de “Under the Bridge”, et des frissons sur l’intégralité de “Otherside”.
Enfin, s’il faut encore vous convaincre, notons qu’à l’heure des spectacles ne dépassant que rarement l’heure et demie, nous avons eu deux heures de concert – en plus de deux superbes premières parties, avec un Thundercat en roue libre et un Anderson .Paak en furie. Quelque 120 minutes donc, et dix-neuf titres interprétés – sans compter les jams, solos et autres.
(© Louis Lepron)
Généreux donc, en plus d’être libre et surprenant. En 2022, c’est déjà beaucoup. Ajoutez à cela l’immense talent, et l’émotion d’une foule au diapason, et vous comprendrez pourquoi ce concert fera date.