Pitchfork vient tout juste de révéler son classement des 100 meilleurs albums des années 2020 jusqu’ici. Pitchfork est une référence en matière de critique musicale. En effet, le média est connu pour ses analyses pointues, parfois polémiques. Très souvent polémiques même. Pitchfork reste tout de même un média important, car la critique, ça crée des discussions intenses et c’est nécessaire pour challenger les créativités. Par contre, ce classement soulève pas mal de questionnements. Si l’intention était de choquer, mission accomplie pour les journalistes de Pitchfork, car voilà que le classement suscite des réactions intenses et partagées sur les réseaux sociaux. Arrêtons-nous sur les cinq plus grosses dingueries de ce top, positives ou non, selon notre sensibilité.
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#1. Le white gaze américain à son paroxysme
Alors que les musiques africaines ont particulièrement révolutionné l’industrie musicale à l’échelle internationale ces dernières années avec notamment l’afrobeats ou encore l’amapiano, seulement deux artistes africains figurent dans ce classement ; la Ghanéenne-Américaine Amaarae et le Nigérian Asake. C’est l’un des plus grands flops qu’on peut relever en ce qui concerne ce classement. On y retrouve par exemple aucun artiste d’amapiano alors que c’est certainement l’un des genres musicaux les plus influents de ces cinq dernières années. Ignorer cette richesse revient à négliger une partie essentielle des contributions africaines à la musique contemporaine. Ce classement laisse transparaître un manque de diversité sur la scène musicale internationale et transpire l’american white gaze. Les artistes et genres d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, pourtant très influents, sont largement sous-représentés, ce qui limite la vision globale du panorama musical des années 2020. Pour un média critique qui se veut international dans son influence, peut mieux faire.
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#2. Un numéro 1 plutôt cohérent pour Pitchfork
En numéro 1 du classement, on retrouve l’album Fetch The Bolt Cutters de Fiona Apple. Pour le coup, c’est plutôt cohérent pour un classement Pitchfork. En 2020, ce projet avait été récompensé de la rarissime note de 10/10 par la rédaction. C’était la première fois depuis dix ans que Pitchfork attribuait cette note et avant ça, c’était My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West qui avait été célébré de la sorte. Quand cet album est sorti en 2020, il avait été accueilli de manière très élogieuse et quasi unanimement par la critique. Son originalité, sa profondeur et ses rythmes non conventionnels avaient accompagné en lumière les amoureux de musique alternative durant une année très sombre pour l’humanité.
#3. YES ! La rappeuse Noname à la 96e position
Plutôt agréablement surpris de voir Noname représentée dans ce classement. C’est rare de voir son travail célébré dans les initiatives médiatiques qui reconnaissent l’impact, alors que sa musique et son propos font constamment miroir à la société, ses incohérences et ses injustices. Dans sa musique, et spécifiquement dans son dernier album Sundial, placé à la 96e position du classement, Noname challenge l’hypocrisie, dénonce le militantisme performatif et pointe du doigt les célébrités milliardaires comme Rihanna ou encore Jay-Z. Elle explore des thèmes tels que le racisme, les injustices sociales mais aussi l’amour et la spiritualité de manière très incisive dans ses textes, mais en même temps très coulante et jazzy dans ses sonorités. C’est certainement la rappeuse la plus intensément politique et elle parvient à le faire avec une profonde intimité. Si l’enjeu de ce top est de redonner une impulsion ou une nouvelle intention dans notre manière d’écouter les projets mentionnés, Noname aurait mérité une place beaucoup plus haute, ne serait-ce que pour son titre “namesake”. Allez écouter trois ou quatre fois pour la science ;).
#4. La place de Whole Lotta Red de Playboi Carti
Pitchfork a décidé de placer Whole Lotta Red en deuxième position des meilleurs albums de ces cinq dernières années, faisant ainsi de lui LE meilleur projet rap de ces dernières années. Cette prise de position a suscité de très vives réactions sur la toile. L’album Whole Lotta Red avec ses sonorités brutes et son approche expérimentale avaient déjà divisé les critiques et le public dès sa sortie. Si certains considèrent cet album comme avant-gardiste, d’autres y voient un projet incohérent et indigeste. Whole Lotta Red de Carti est un album très influent mais bien plus polarisant que d’autres projets rap présents dans ce top comme Mr. Morale & The Big Steppers de Kendrick Lamar ou encore CALL ME IF YOU GET LOST de Tyler, The Creator. Peut-être qu’une meilleure connaissance des critères de sélection de la part de Pitchfork permettrait à l’audience de mieux comprendre ce choix. En tout cas, les fans de Carti, eux, sont ravis.
#5. La place de Hood Hottest Princess de Sexyy Red
C’est ce genre de prise de position qui donne à questionner l’intention de ce top. C’est quoi la vision, c’est quoi le but ? Le buzz, le clout, l’engagement ? À part ça, on ne voit pas trop. Dans ce top 100, Sexyy est placée à la 23e position alors que Tyler, The Creator est lui 92e et Kendrick Lamar 28e. L’album Hood Hottest Princess de Sexyy malgré son succès, est parvenu à attirer l’attention principalement grâce à des hits qui ont connu une résonance importante notamment sur TikTok. Il est peut-être trop tôt pour évaluer son impact dans la scène rap en général. Est-ce qu’il va modifier les tendances à venir ou inspirer de nouvelles directions artistiques pour d’autres artistes majeurs ? On n’est pas encore capables de faire ce constat. On peut aussi questionner le manque de cohérence du classement car de nombreux albums qui sont classés en dessous de celui de Sexyy avaient obtenu de meilleures notes dans les critiques du média lui-même donc m’bon.
En cherchant constamment à être edgy et à surprendre par-dessous tout, le classement finit par être performatif et incohérent et la volonté de paraître avant-gardiste semble surpasser la reconnaissance des œuvres qui ont réellement marqué l’époque. Le classement est centré sur les artistes occidentaux malgré les critiques émises lors de précédents classements. Le choix des albums paraît aussi élitiste et déconnecté des véritables mouvements musicaux qui ont marqué le grand public. Il y a aussi une absence de critères clairs et la cohérence du classement est difficile à cerner.