Depuis quelques mois, le cinéma de “genre”, appellation bâtarde pour parler de films fantastiques/d’horreur/thriller, vit de beaux jours dans l’Hexagone. Après quelques tentatives foireuses dans les années 1980, des cinéastes avaient essayé de réveiller les spectateurs dans les années 2000, avec quelques pépites de ce qu’on appellera le label French Frayeur (la clique Aja-Gens-Laugier et plus encore) – mais aussi de beaux ratés.
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Non, il faut reconnaître la réalité : après une décennie de désert, c’est Grave de Julia Ducournau qui a ressuscité quelque chose. En proposant un véritable film d’horreur à la française, avec un ADN bien ancré dans les carcans des drames comme on sait si bien le faire et sur un fond de questions sociétales bien franchouillardes, la réalisatrice a secoué tout le monde en prouvant que, oui. Oui, c’est possible. On peut faire du cinéma de genre, sans copier les Américains, avec notre propre voix. Et que ça soit totalement réussi.
Depuis, un véritable chemin s’est ouvert aux nouvelles générations. Ce n’est pas anodin que Jokers, distributeur de films, ait décidé de se lancer dans la production de pépites du genre, mais made in France. La Nuée et Teddy n’en sont que les premiers exemples, il est fort probable que d’autres arrivent rapidement. Au même moment, Sony Pictures s’associait à Moana Pictures pour lancer Parasomnia, une sorte de studio Blumhouse (des films avec un budget ne dépassant pas le million d’euros), mais dont la nature est profondément ancrée dans un écosystème français.
Pendant ce temps, So Film organisait des résidences d’écriture sur le cinéma de genre à Bordeaux. Depuis 5 ans, des dizaines de cinéastes se réunissent, et trouvent des idées à developper en long — c’est de là que vient le script de La Nuée, justement. Vincent Maraval, la tête pensante de chez Wild Bunch, qui est partenaire des résidences, a décidé de s’associer avec Thierry Lounas, producteur et directeur de Capricci et So Film, pour réunir leurs forces. Et c’est extrêmement important. Explication.
Thierry Lounas à gauche, et Vincent Maraval à droite, sur scène à Bordeaux le 9 juin pour présenter le line-up à venir de Wild West (© Chroma Films / Karen Boubekeur)
Une association forte, à l’identité marquée, et située dans le Sud-Ouest
De cette union est né Wild West, un studio spécialisé dans le cinéma de genre, qui développera la production des scénarios écrits pendant les résidences, et de leur donner vie. Une dizaine de projets est déjà en préparation, pour la plupart alléchants et audacieux, toujours avec ce postulat : faire un film vraiment français, et qui a un propos social fort.
Ce n’est pas un hasard que cela se fasse en 2021, quelques mois après Parasomnia et les lancements de production chez Jokers. Le terrain est plus propice, l’appétit de plus en plus grand, les spectateurs en redemandent. Vincent Maraval, qui explique que le projet est né dans leur esprit il y a un an, après quatre ans de résidences à voir sortir de très beaux scripts de genre, raconte ainsi :
“Je crois que le public a toujours été apte. Il y a un changement de regard de l’industrie, grâce à des films comme Grave. Auparavant, avec certains échecs, les professionnels étaient condescendants. Le regard a changé depuis peu, mais je pense que le public existait déjà, juste qu’il y a eu un moment favorable.”
Un moment favorable, qui peut être expliqué également par l’arrivée des plateformes de streaming. La directive européenne SMA devrait, dans les prochaines semaines, forcer ces dernières à investir 25 % de leurs revenus français dans les productions fabriquées en France. Or, la majeure partie des consommateurs de Netflix et consorts sont les moins de 25-30 ans, et ce public, qu’il s’agit de fidéliser, est celui qui est le plus à même d’apprécier le cinéma de genre.
Les deux dirigeants ne rejettent pas du tout l’idée de travailler avec les plateformes, au contraire. “Ça ne me dérange pas le streaming“, déclare Vincent, avant de préciser :
“Le problème, c’est que la loi française oblige à choisir entre une sortie en salle et une sortie sur la plateforme. On est dans un débat déjà réglé dans plein de pays où les deux sont faisables.”
Mais sur le débat un peu stérile de l’écran géant, il répond que cela ne le “dérange pas que ces films soient vus sur un portable“. Thierry Lounas rappelle fièrement quant à lui que sa cinéphilie s’est faite sur le petit écran, entre programmes télé et VHS loués dans la boutique du coin. Vincent, de conclure :
“Mes parents me disaient d’arrêter de regarder des films et plutôt de lire des romans. On ne va dicter les goûts aux futures générations.”
Néanmoins, il y a une volonté d’attraper ces jeunes spectateurs, et de les emmener dans des terrains inconnus. De ne pas faire comme les Américains, qui produisent à la chaîne et dominent le marché depuis des lustres, quitte à aseptiser le peu de sens que l’on pouvait y trouver, comme l’indique Vincent justement.
“Scream, j’aime beaucoup, mais le mal qu’il a fait au cinéma de genre pendant 20 ans était terrible. Il a changé la conception de l’horreur. La beauté du genre, c’est qu’on peut parler de sujet politique, tout en essayant de plaire au public de ‘pop-corn movies’, comme dans la comédie. Nous, on vient d’un cinéma qui a du sens.”
Entre un thriller paranoïaque avec un couple lesbien façon Panic Room, un teen-movie fantastique et queer qui questionne la notion de genre, un film d’horreur situé sur une colonie française en Nouvelle-Calédonie sur fond de soulèvement contre l’oppression, ou un film d’action sous-marin avec un monstre attaquant un paquebot contenant des migrants rescapés, la ligne est claire. Que ce soit par la représentation, ou par les thèmes abordés, ces films auront un sens.
Premier visuel d’Incarnation, un des projets de Wild Bunch qui va explorer la notion de genre dans un teen-movie fantastique (© Wild West)
Thierry est clair là-dessus :
“Ce serait ridicule de faire du cinéma de genre tel qu’on le faisait il y a 30 ans, de penser que l’imaginaire est plus fort que ce qu’il y a devant nous. Mais outre le sujet à traiter, c’est aussi la profondeur des personnages qu’il fallait retravailler.”
Or, le meilleur moyen de renouveler ce genre poussiéreux reste de donner la main aux nouvelles générations d’auteurs. La grande majorité des cinéastes des 12 projets annoncés en grande pompe ce 9 juin lors de la mise en branle de Wild West sont des néophytes, qui pondront ici leur premier film. Les auteurs qui ressortent des résidences So Film viennent d’horizons divers et variés, pas nécessairement du cinéma. Un vrai gros point, qui permet d’amener des idées nouvelles, et d’apporter un vent de fraîcheur nécessaire à cette entreprise.
Thierry, toujours, raconte :
“Il y a une logique de centre de formation, c’est sûr. Mais ce n’est pas que pour déceler des nouveaux talents, c’est aussi pour travailler différemment. Quand on travaille l’écriture d’un scénario avec un journaliste ou un romancier, on part d’une zone plus vierge, moins ancrée dans les codes. C’est un décalage que l’on peut plus facilement faire avec des personnes qui n’en sont pas à leur dixième film.”
L’autre grosse nouveauté : tout cela se déroulera loin de Paris. Les bureaux de Wild West sont en Nouvelle-Aquitaine, entre Bordeaux et Bayonne. Ils seront associés avec la nouvelle branche du célèbre studio d’effets spéciaux Digital District, Bordeaux District. Les deux travailleront main dans la main pour chaque projet, issus également des résidences So Film se déroulant à Bordeaux.
Plus encore : quatre des cinéastes associés aux projets de chez Wild West sont des Bordelais. Une bonne nouvelle, qui devrait secouer une production cinématographique un peu trop parisienne, et qui enchante Vincent et Thierry.
Ce dernier explique :
“Pourquoi un auteur sur deux de nos projets est de Bordeaux, alors qu’il n’y en avait jamais auparavant ? On a réussi à faire émerger des gens qui n’auraient jamais peut-être pu émerger sinon, des jeunes qui n’avaient pas forcément leur chance, de réseaux, et à qui on offre une opportunité.”
Vincent, de rajouter :
“J’ai grandi en Provence, avec des gamins qui aimaient le cinéma comme moi mais qui n’avaient pas l’argent pour monter à Paris. Si on peut les récupérer, ce serait parfait. Le talent est partout. C’est un peu la continuité de l’école de Ladj Ly, qui permettait à des gamins sans diplômes d’avoir une structure.”
Une vraie vision de fond, une volonté de sortir des moules parisiens et de faire émerger de nouveaux talents grâce à des projets franchement excitants : Wild West réussit son pari. Celui de nous donner plus d’espoir encore quant au cinéma de genre made in France. Il faudra se montrer patient, car ils espèrent pouvoir commencer certains tournages pour début 2022 — pas pour tout de suite donc.
Mais qu’importe. Le public sera au rendez-vous. On l’espère en tout cas.