Chaque année, la grande transhumance estivale prenait des airs festifs, même si elle pouvait se teinter d’amertume : une exposition de Mohamed El Khatib rend hommage au périple de milliers de Maghrébin·e·s qui rentraient au pays l’été dans une Renault 12 surchargée. “La Renault 12 et la Peugeot 504, ce sont les deux voitures un peu mythiques” dans les années 1970 à 1990 pour tous les gens qui retournaient au Maroc, en Algérie ou en Tunisie durant les congés estivaux, raconte à l’AFP Mohamed El Khatib, auteur de l’exposition “Renault 12”.
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C’est depuis la place d’Armes du fort Saint-Jean, surplombant la mer, qu’un alignement de vieilles Renault 12 blanche, bleu, orange ou encore jaune, va redonner vie un mois durant à “ce patrimoine immatériel de la Méditerranée”, explique cet artiste associé pour l’année 2023 du Mucem. Par cette installation, qui occupe également le hall du musée marseillais, ce metteur en scène et réalisateur d’origine marocaine a d’abord voulu rendre hommage à la génération de son père qui, “pendant les années 1970, 1980, 1990 a sillonné la Méditerranée, arpenté les routes françaises jusqu’à l’Espagne puis le Maroc et l’Algérie”. Mohamed El Khatib, 43 ans, a lui-même fait ce voyage “en long et en large” de ses 2 à ses 18 ans.
Sans GPS ni climatisation, plusieurs jours durant, “c’était une épopée, qui était laborieuse mais en même temps, comme toutes les aventures, cela a resserré les liens au sein de la famille”, explique l’artiste qui présente également, en ouverture de l’exposition, une performance à laquelle participent une dizaine d’habitant·e·s de Marseille. “Nous avons sollicité des gens pour qu’ils nous racontent leurs histoires de voyages de l’autre côté de la Méditerranée.” Un film réalisé à partir de ces témoignages, 504, est aussi projeté dans l’exposition.
© Mohamed El Khatib/Nicolas Tucat/AFP
Dans l’entrée du Mucem, les clichés grand format de la photographe marseillaise Yohanne Lamoulère, mêlés aux photos d’époque récoltées auprès des habitant·e·s reconstituent ce “pan d’histoire peu exploité”. “J’ai essayé de recréer à chaque fois un véhicule qui retrace une émotion”, détaille-t-il. “Par exemple, il y a la Renault 12 cassettothèque […] dans laquelle il y a différentes générations de cassettes et d’ambiances musicales dans lesquelles on était immergés” durant le voyage.
La carrosserie cabossée d’une autre, décorée de bouquets de fleurs, rappelle aussi que certaines familles n’arrivaient jamais à destination. Sur le toit de sa voisine, s’entasse un improbable chargement : “On disait que c’était des voitures cathédrales à cause du chargement qui va vers le ciel”, rappelle Mohamed El Khatib. “Nos parents galéraient toute l’année et d’un coup, il y avait un mois de légèreté, de fête et de puissance retrouvée”, ce moment où l’on prenait conscience d’appartenir “à une histoire collective”, conclut-il.
© Mohamed El Khatib/Nicolas Tucat/AFP