L’adolescence dans tous ses états : nos 7 coups de cœur au Champs-Élysées Film Festival

L’adolescence dans tous ses états : nos 7 coups de cœur au Champs-Élysées Film Festival

Sept beaux portraits adolescents, aussi riches que variés, ont retenu notre attention.

Du 18 au 25 juin s’est tenue la 13e édition du Champs-Élysées Film Festival, le rendez-vous cinéma de l’Ouest parisien. Le Balzac, Le Lincoln, le Publicis Cinémas, Le Club de l’Étoile et le cinéma Mac-Mahon ont ainsi mis leurs pendules à l’heure pour projeter le meilleur des cinémas indépendants français et américain. Ce sont sept beaux portraits adolescents, aussi riches que variés, qui ont cette année retenu notre attention.

À voir aussi sur Konbini

Good One d’India Donaldson

Sam est l’adolescente idéale, intelligente, conciliante et tolérante envers la gentille médiocrité de son père et son ami quinquagénaire fraîchement divorcé, avec qui elle accepte de partir en randonnée bivouac. Elle suit, elle conseille, elle compose discrètement avec des règles qui tombent au mauvais moment et parvient même à transformer des nouilles lyophilisées en festin, c’est donc elle, la “good one”.

Mais la prédation masculine qui reprend inévitablement ses droits et l’intolérable lâcheté paternelle feront prendre un tournant radical à ce Boyhood des grands espaces, laissant une colère sourde et féminine se répandre, tout en économie de mots, grâce notamment au talent de Lily Collias, jeune et très grande actrice.

Dìdi de Sean Wang

Petit frère direct de 90’s de Jonah Hill, né vingt ans plus tard, Dìdi avance sur la ligne de crête d’une nostalgie si proche et si lointaine, où les pseudos Facebook cryptiques et les vidéos pixelisées sur Myspace sont les fondations de Dìdi, un adolescent d’origine taïwanaise qui jongle entre son identité asiatique dans l’intimité de son foyer et la culture américanisée de la Californie des années 2010 dans la sphère sociale, celle qui prend nécessairement le dessus à l’adolescence.

Sean Wang y décrit avec beaucoup de sensibilité le fait de grandir et de se construire avec Internet, du moins ses prémices, où ce Web, désormais antédiluvien, est un ressort à la fois narratif et comique, tout en laissant l’espace aux tourments universels et pourtant si cinématographiques de l’adolescence.

Comme le feu de Philippe Lesage

Dans le film du Québécois Philippe Lesage, c’est aussi la médiocrité parentale et masculine qui sert de prétexte pour raconter l’adolescence et ses tourments. Nous sommes ici dans un chalet au milieu de la forêt québécoise où les retrouvailles entre Blake, un réalisateur, et Albert, son ami et acteur avec qui il ne tourne plus, tournent au vinaigre, entre rancœur et non-dits. Sa fille Aliocha, son fils Max et Jeff, l’ami de ce dernier, très amoureux d’Aliocha, assistent, impuissants, à la dislocation vocale et puérile de leur amitié.

Comme le feu prend son temps pour filmer ces longues et inquiétantes parties de chasse et de pêche ou ces dîners verbeux et arrosés, pour documenter avec beaucoup d’amertume la désillusion du regard adolescent sur des adultes, égoïstes, aigris et même menaçants.

I Saw the TV Glow de Jane Schoenbrun

Vous n’avez jamais vu un récit sur l’identité raconté de cette façon-là. Aux croisements entre le film psychologique, le genre horrifique et le teen drama, le nouveau long-métrage de la réalisatrice Jane Schoenbrun nous plonge dans la vie d’Owen, qu’on retrouve à l’enfance et à l’adolescence, alors qu’un mystérieux programme télévisé ainsi qu’une rencontre avec Maddy va chambouler son rapport à son corps, son esprit et son identité.

On y retrouve des hommages à la pop culture connectée, aux esthétiques queers, mais aussi à l’importance de la mythologie, notamment dans les shows télévisés de notre jeunesse. À la fois poétique, profondément mélancolique, mais aussi complexe, le film est un merveilleux mystère qui dévoile tous ses secrets une fois abordé sous le prisme de la transidentité. En bonus, une bande originale impeccable portée par Alex G, avec notamment Phoebe Bridgers ou Caroline Polachek à la voix. Déjà un film culte pour le répertoire queer.

Les Reines du drame d’Alexis Langlois

Si, aujourd’hui, on parle à tout va de “films queers”, rares sont ceux qui parlent et maîtrisent le langage queer, qu’il soit verbal, esthétique ou narratif, comme ce premier film d’Alexis Langlois. À l’occasion des 50 ans du tube “Pas Touche” de Mimi Madamour, une espèce de Lorie version Langlois, qui a marqué sa vie et sa pop culture au fer rouge, l’illustre youtubeur Steevyshady dépoussière sa fabuleuse chaîne de vidéos pour retracer la vie de son idole, et son idylle avec la figure punk Billie Kohler.

Les lumières sont aveuglantes, déformantes, et le montage s’autorise des fondus, collages et autres fantaisies trash que beaucoup taxeraient de mauvais goût, lorsqu’on y décèle plutôt le cœur d’un esprit camp qu’il faut protéger à tout prix, dans un paysage de cinéma français qui semble en avoir trop peur, malgré ce que nous ont appris les chefs-d’œuvre de Jacques Demy ou Vincente Minnelli. Un véritable feu d’artifice en guise de lettre d’amour à la culture queer.

La Pampa d’Antoine Chevrollier

Dans la scène d’introduction du tout premier film d’Antoine Chevrollier, le scénariste de la série Oussekine, les cylindres s’échauffent, les moteurs grondent, les fougues adolescentes s’emballent et les frissons nous prennent. On y voit Jojo, casse-cou sans limite, risquer sa vie à moto, tandis que Willy, son meilleur ami, s’élance derrière pour l’empêcher de foirer son coup. Une première scène impeccable, d’une intensité folle, qui sert d’allégorie à l’histoire qui va suivre.

Entre amitié, amour, dévouement et sacrifice, Chevrollier dépeint la masculinité dans tout ce qu’elle a de sensible et complexe, avec un regard juste sur des thèmes comme le deuil, l’homosexualité ou l’émancipation au sein de certains milieux sociaux. Le tout sur fond de motos et d’un décor rural qui parlera à beaucoup. Un récit de la masculinité moderne qui se dévoile, inédit et nécessaire, porté par un tandem d’acteurs qui ont de beaux jours devant eux, et qui nous a touchés en plein cœur.

Eat the Night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel

Alors que Pablo et sa sœur Apolline occupent leurs journées entre parties de gaming et deal de stupéfiants, l’annonce de la fin de leur jeu vidéo préféré vient perturber leur quiétude, tout comme l’arrivée de Night dans la vie de Pablo. Avec l’apocalypse comme toile de fond, Caroline Poggi et Jonathan Vinel s’essaient à la tragédie avec brio, avec un twist romantique qu’on n’avait pas vu venir, mais surtout un dialogue fascinant entre images animées (le tandem a créé un semblant de jeu vidéo pour l’occasion) et plans réels.

Récit d’un thriller à gangs, d’une romance queer et d’un sublime portrait d’un amour adelphique sans limite, Eat the Night parvient à contrebalancer la noirceur de son propos et de son apparence par la lumière de sentiments bien écrits et filmés, sans surenchère, qui ne cessent de mûrir au fil d’un compte à rebours qui hante et rythme tout le film, jusqu’à ce final qui ne vous laissera pas indemne. Captivant et haletant.