En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).
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La Galaxie dans laquelle évoluent la Récupératrice, Therissa, Gladys et les autres personnages est un amas de milliards d’étoiles se déplaçant en rotation autour d’un trou noir supermassif. Autour de ces étoiles tournent de nombreuses planètes habitées par des espèces dites “humaines”, ou du moins issues du primate.
À ce jour, la Galaxie est le seul endroit de l’univers connu où vivent des êtres humains. Quelques expéditions ont bien tenté d’aller voir ce qui se trouvait au-delà, mais les distances s’avèrent encore trop longues, et ce malgré le voyage supraluminique et les sauts de trous de ver.
Après la Chute, l’événement qui a vu la fin du royaume des Grands Dieux, l’Empire Bienveillant a pris la relève et tente depuis d’agrandir son territoire. L’un de ses moyens consiste à aider des planètes à évoluer au rang de civilisation galactique. Pour accompagner ce passage dans le grand bain de la Galaxie, l’Empire envoie des conseillers planétaires. Ces conseillers sont chargés de se rendre sur ces planètes et de leur faire comprendre qu’elles ont tout à gagner en rejoignant l’Empire, que ce soit dans les domaines de la médecine, des énergies ou de la gestion de la surpopulation.
Souvent, l’accompagnement se déroule sans encombre, et la planète intègre l’Empire après quelques années. Mais parfois, tout ne se passe pas comme prévu. Parfois, le conseiller planétaire pense que la planète n’est pas prête et bloque alors la transition. Cette décision peut entraîner de graves conséquences comme la prise en otage du conseiller. Conseiller planétaire est un métier sous-évalué où les risques encourus ne correspondent pas au salaire, jugé trop faible par l’opinion publique.
Quand une alerte kidnapping est lancée, on fait appel à un professionnel de la négociation. Dans le cas présent, c’est la Récupératrice qui a été envoyée.
R n’appréciait pas ce genre de négociation. Confortablement assise sur le siège de pilote de l’Unicube, en orbite de Sol, la planète en question, R savait qu’on lui avait collé sur le front l’étiquette de “représentante de l’Empire”. Cet Empire, aussi bienveillant soit-il, n’en restait pas moins une entité très évoluée venant juger des avancées d’une autre civilisation plus jeune. Cette sensation de venir oppresser quelques milliards d’êtres ayant tout juste découvert l’existence de la vie extraterrestre ne convenait pas à la Récupératrice.
— Est-il possible d’assolir ? demandait R à un écran affichant les quatre dirigeants de Sol. Je pense que ce serait mieux qu’on discute face à face.
Le traducteur de l’Unicube permettait de comprendre et de se faire comprendre sans délai. Hélas, sa requête fut refusée. Les dirigeants de Sol ne souhaitaient pas d’agent de l’Empire sur leur territoire. R devrait donc négocier en visioconférence.
— Début des négociations entre le Conseil des Quatre, composé de Ol-Ga, Al-Do, Ag-Atha et moi-même Pe-Ter, ainsi que de l’agent de l’Empire, la Récupératrice. Notez aussi la présence de M. Chêne, le conseiller planétaire qui nous a été affecté, preuve de notre bonne foi.
Au milieu de la table, entre le Conseil des Quatre, se tenait M. Chêne. R l’observa sous toutes ses coutures. Il avait l’air en bonne santé et semblait n’avoir souffert d’aucune violence. Elle jeta aussi un coup d’œil à la pièce : grande baie vitrée au sommet d’une tour, panorama sur ce qui devait être la capitale mondiale de Sol, il était probable que le Conseil habite le plus haut bâtiment de la planète. Après son analyse, R se lança :
— Ma présence en orbite de votre planète est due à un acte allant à l’encontre du programme d’intégration des planètes à l’Empire. Vous détenez contre son gré un conseiller planétaire. Je suis ici pour le récupérer.
— Récupératrice, cet acte est notre réponse au compte rendu de votre conseiller. Pendant presque une décennie, enthousiastes d’amener le peuple de Sol vers un nouveau monde, nous avons suivi à la lettre les recommandations de l’Empire. Nous avons cessé tout conflit interne pour instaurer un gouvernement uni et mondial. Nous avons tout mis en œuvre pour réduire les disparités, les injustices, les épidémies, les famines…
— Vous n’avez pas les ressources nécessaires, le coupa le conseiller. Je vous ai dit qu’il vous manquait le charbon d’Abrevion. Ce charbon permettrait un bon technologique vous permettant d’atteindre le niveau requis par l’Empire. Ce charbon serait la preuve que l’unité de Sol dépasse les limites de votre planète.
— Nous le savons. Mais la planète Abrevion se trouve à la frontière de notre système solaire. C’est pour cela que nous avons fait une demande d’aide de votre part. Avec les moyens de l’Empire, nous…
— L’Empire ne peut venir directement en aide aux jeunes planètes. L’Empire ne peut que guider, mais pas faire à la place. Je suis désolé mais ce sont les règles. Si votre civilisation est si unie que ça, elle devrait atteindre Abrevion d’ici les dix prochaines années.
— Dix années ? Vous aviez dit cinq !
— J’ai une question.
La Récupératrice s’était permis de s’immiscer. Entendre les arguments des deux partis venait de lui donner une idée qui allait à coup sûr résoudre cette dispute.
— Allez-y.
— Est-ce que vous faites des chorégraphies ?
— Comment ça ?
— Une chorégraphie ! Une composition alliant la musique et la danse. Les chorégraphies demandent de la synchronisation. Si vos 13 milliards de vies effectuaient une chorégraphie bien travaillée, ça pourrait convaincre l’Empire.
Les quatre dirigeants de Sol se tournèrent vers le conseiller.
— C’est vrai ce qu’elle dit ?
— Non, c’est totalement faux.
Mince. R était pourtant certaine que sa proposition toucherait son public. À croire que l’Empire n’aimait pas l’art. R ne se laissa pas abattre pour autant et trouva une autre piste. Laissant les deux camps débattre, elle coupa son micro et fouilla dans son sac pour en sortir sa craie. Puis, elle se leva de son siège pour dessiner une fenêtre sur la paroi de l’Unicube. Elle prit le temps de détailler les contours et la poignée, recula de quelques pas pour se faire un deuxième avis, fit quelques modifications, et termina son œuvre en signant en bas à droite.
— Uni, tu peux me localiser la balise du M. Chêne ?
Tous les agents travaillant pour l’Empire en détenaient une. La balise du conseiller clignotait sur l’écran de l’Unicube en plein centre de la capitale. R zooma. Le conseiller se trouvait dans la tour Lavan, quartier général du gouvernement mondial de Sol.
— Uni, place-nous au-dessus de la tour. J’aurais aussi besoin d’un sas orange.
À l’extérieur, l’Unicube se déplaça en orbite de Sol tout en faisant mouvoir les parties qui le composaient. Quand la face inférieure du vaisseau devint orange, un sas s’ouvrit aux pieds de la Récupératrice. Elle enfila son casque en verre et prit une profonde respiration.
— C’est parti.
R plongea. L’écran qui séparait l’intérieur du vaisseau du vide de l’espace se colla à sa combinaison, lui offrant une teinte orangée. Le sas faisait aussi office de canon. La pression contenue à l’intérieur se relâcha pour envoyer le corps de R en direction de Sol. À toute vitesse.
Il fallut seulement quelques secondes pour que le corps de R entre dans l’atmosphère. L’écran orange la protégeant de la chaleur, R put se concentrer sur sa cible, qu’elle vit très vite apparaître quelques milliers de mètres plus bas. Lorsqu’elle fut assez proche, son sac libéra un parachute. Elle visa la baie vitrée pour y entrer les deux pieds en avant. Le choc du verre brisé surprit les membres du Conseil, alors R en profita pour se présenter et rassurer son auditoire :
— Bonjour, je suis la Récupératrice. Je viens en paix.
À l’aide de sa craie, elle reproduisit la même porte que celle présente dans l’Unicube, récupéra le conseiller, déposa quelques crédits impériaux pour la réparation de la vitre, et s’enfuit à travers la porte. Mission accomplie.
— Merci beaucoup Récupératrice, lâcha M. Chêne lorsqu’il fut à l’abri dans l’Unicube. Je pensais devoir attendre une unité d’élite, mais vous êtes bien plus efficace.
R ne répondit pas. Au lieu de ça, elle s’assit à son poste et prit les commandes de son vaisseau. L’Unicube atteignit Abrevion en une trentaine de secondes. Le vaisseau collecta du charbon et revint aussi vite en orbite de Sol.
Dans la tour Lavan, les membres du Conseil se remettaient tout juste de l’attaque terroriste de la Récupératrice. Lorsqu’une capsule vint se planter dans le sol devant leur bureau, ils crurent à une bombe, mais virent très vite le message écrit à la main l’accompagnant : “Voici un morceau de charbon. Chauffez à feu doux. Puis, mélangez-le avec votre carburant habituel. Disposez le tout dans le vaisseau de M. Chêne (on vous en fait cadeau). Vous devriez atteindre Abrevion d’ici quelques jours. R.”
— Ce n’était pas une bonne idée, commenta le conseiller.
— De casser la vitre ?
— Non. De les aider comme ça. Il fallait les laisser se débrouiller. C’est la règle. Sinon on vient en aide à tout le monde, on modifie l’ordre des choses et on finit par devenir un Empire envahisseur. C’est cette distance qui permet à l’Empire de garder la tête froide.
— Les Soliens n’ont pas le même temps que l’Empire. Des vies étaient en jeu et il y a bien assez de place dans la Galaxie pour intégrer quelques milliards de vies en plus sans que ça se retourne contre Petit Empereur.
— Je ferai part de votre action à mon supérieur. Pouvez-vous me déposer sur Ceinture 3 ? J’ai encore une mission à terminer et je dois récupérer un véhicule fonctionnel.
— Vous ne prenez pas de repos après ce qui s’est passé ?
— Oh vous savez, ce n’est pas mon premier enlèvement. Et puis, j’ai encore une planète intéressante à observer.
— Vous passez vite à autre chose. Dites m’en plus sur cette nouvelle planète.
— Elle se trouve dans une zone éloignée de tout conflit entre l’Empire et les fidèles des Grands Dieux. Cette zone est peu visitée, car peu de planètes y sont habitables. Mais il y en a une où la vie a trouvé son chemin. Son histoire est parsemée de chaos et de rebondissements, mais elle tient toujours debout. En ce moment, elle est tout aussi proche de réussir sa transition vers son ère spatiale que de vivre son plus grand effondrement civilisationnel.
— On dirait un film.
— Attendez, je vous rentre ses coordonnées, vous irez voir quand vous aurez le temps. Le plus insolite, c’est que bien loin des habituels “Maison”, “Abri”, “Astre”, “Cœur”, ou “Sol”, leurs habitants ont trouvé un titre inédit pour nommer leur planète.
— Lequel est-ce ?
— “Terre”.
La suite dans le chapitre 10.
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