En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).
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Dans la Galaxie, autant d’individus connaissaient l’existence de la Récupératrice que de personnes qui n’en avaient jamais entendu parler. Certains pensaient que ce n’était qu’une rumeur, une légende issue des premières civilisations à avoir conquis l’espace, ou un personnage fictif dont on racontait les aventures aux enfants avant de dormir. D’autres y voyaient un groupe de femmes d’élite opérant dans l’ombre ou une mercenaire sans foi ni loi qui n’agissait que pour les plus cruels dirigeants.
Seule une entité avait noué des liens forts avec la Récupératrice. Cette entité était l’Empire Bienveillant, une civilisation intergalactique qui régnait sur presque deux tiers de la Galaxie. Elle n’hésitait pas à faire appel aux services de la Récupératrice pour des missions à hauts risques.
Lorsque l’Unicube atterrit sur le plateau, il ne leva absolument aucun grain de poussière. C’était comme si sa masse était inexistante. Un des carrés du cube, vert en l’occurrence, coulissa pour laisser sortir la Récupératrice. Elle se savait en retard, mais prit le temps de tapoter deux fois sur la carcasse de son vaisseau. La porte se referma, et le cube réduisit de taille jusqu’à tenir dans la main de sa propriétaire. La Récupératrice rangea l’Unicube dans son sac, puis descendit vers la plaine.
En bas, deux armées se faisaient face. Son regard se porta sur celle avec laquelle elle avait rendez-vous, celle qui arborait des couleurs bleu azur et bronze, avec un tournesol sur les drapeaux et plastrons des soldats.
— Votre Unicube est vraiment une merveille de la science, commença la Major de l’armée pour accueillir la Récupératrice.
— Il a été bien éduqué. Désolée pour le retard boss, je suis rentrée dans une étoile.
— C’est major Amber pour vous, Récupératrice, la coupa un subordonné.
— C’est OK, sergent, nous n’avons pas le temps pour ce genre de détail. Récupératrice, devant vous se tiennent les forces d’un système proche du déséquilibre. L’Empereur souhaite leur rappeler notre accord. C’est un peuple qui ne jure que par l’honneur. Au lieu de faire s’affronter nos armées, c’est un duel de champions qui est demandé ici. Vous êtes notre championne.
— Encore ? Mais la semaine dernière, c’était pareil. Je vous ai dit que je ne faisais pas les duels à mort.
— Justement, Récupératrice, nous ne voulons tuer personne. C’est pour cette raison que nous faisons appel à vous.
R réfléchit. Elle jeta un coup d’œil de l’autre côté de la plaine. Au loin, se tenaient des silhouettes en armures pourpres rappelant l’époque des débuts de la conquête spatiale. C’était une civilisation avancée. Pas aussi avancée que l’Empire, mais bien assez pour posséder un champion doté de technologies destructrices.
— Vous pouvez renvoyer ces femmes et ces hommes chez eux dès ce soir, Récupératrice, ajouta la Major.
— C’est bon j’y vais, rouspéta R. Mais c’est bien au nom d’une paix durable que je fais ça.
— Attendez, Récupératrice, vous y allez à mains nues ? la coupa à nouveau le sergent.
— Les armes sont faites pour combattre ses ennemis. Je n’ai pas d’ennemi.
La Récupératrice posa son sac, tourna les talons et se dirigea vers son adversaire. Ses lunettes lui permettaient de le distinguer comme s’il était devant lui. Alors qu’elle s’éloignait des forces impériales, le sergent murmura à sa supérieure :
— Major, vous êtes sûr que c’est une bonne idée ?
— Sergent, c’est la première fois que vous faites affaire avec la Récupératrice ?
— Oui, Major.
— Alors regardez.
Au moment où R posa la semelle de sa botte dans la zone de duel, le champion adverse décrocha le fusil de son armure lourde et ouvrit le feu. Le tir fila droit vers sa cible, mais R l’envoya dans les airs de la paume de sa main.
— Hey, il y a des innocents derrière ! cria-t-elle en fonçant vers lui.
Aucune émotion ne transpira du casque du champion et il tira à nouveau. R dévia le tir du revers de la main. Puis elle s’approcha de son adversaire, saisit l’arme et la plia en deux avec une facilité déconcertante.
— Est-ce qu’on peut parler ?
R se heurta à un mur de silence. Le champion, qui faisait bien deux fois la taille de la mercenaire, sortit deux épées de ses fourreaux et asséna de violentes attaques. R esquiva les coups, saisit les deux lames et, d’un geste ferme, les brisa.
— Je veux juste parler.
Le champion ne réagit toujours pas. Cette fois-ci, il utilisa ses poings. Mais R, dont l’athlétisme n’était plus à prouver, évitait chaque assaut comme une feuille glissant sur la brise. Elle était intouchable et son adversaire s’essoufflait.
— Arrêtons là, s’il vous plaît. Vous n’avez plus d’armes et je ne compte pas répliquer. Alors serrons-nous la main et disons qu’il y a match nul.
Le champion stoppa son effort. Son armure lui paraissait difficile à porter maintenant qu’il avait gesticulé. Sous son casque, il observa son opposante lui tendre la main. Il la saisit, la tira vers lui et de son autre main, révéla un pistolet pour le coller sur le front de la Récupératrice.
— Non ! hurla-t-elle.
Le coup retentit et un flash aveugla les spectateurs. C’était un pistolet à munitions thermiques, une arme qui libérait à chaque tir une grande quantité d’énergie et de lumière. Une arme destructrice à bout portant.
R était toujours debout. Le pistolet était toujours pointé entre ses deux yeux. Mais c’était comme si rien ne s’était passé. Pourtant, le tir était venu se réfugier dans le sol derrière elle, provoquant un trou plus large que son crâne. La main de la Récupératrice était posée sur le plastron du champion, au niveau de son cœur.
— Reposez-vous, lâcha-t-elle d’une voix calme. Je vais discuter avec votre chef.
Le champion resta immobile. R laissa son adversaire sur place et se dirigea vers le reste de l’armée. Un homme portant une armure plus pourpre que les autres s’avança pour se présenter.
— Je suis Egayhon le 6e, Seigneur de cette planète que vous essayez de nous voler. Retournez dans la zone de duel, mon champion n’est pas mort.
— Je ne le tuerai pas. Je ne tue pas. Je ne tue jamais.
— Que lui avez-vous fait ?
— J’ai juste apaisé son cœur. Pendant quelque temps, il va goûter à la paix intérieure, et croyez-moi, c’est délicieux. J’aimerais discuter avec vous des conditions de votre accord avec l’Empire.
Le Seigneur Egayhon s’approcha. Il demeurait plus petit que son champion, mais se dégageait de lui une aura de combattant. Cet homme avait connu les affres de la guerre, et était à nouveau prêt à s’y jeter s’il le fallait. Il toisa du regard et de sa moustache son interlocutrice.
— Je connais votre Empire. Vous débarquez avec votre armée avec des prétextes inexistants et nous menacez de prendre nos ressources si nous ne plions pas genou immédiatement. Ce duel de champions n’a pas été respecté alors nous ne plierons rien. Nous sommes un peuple fier. Nous sommes prêts à vous emporter avec nous dans les flammes d’une guerre infernale, même si elle nous coûte l’avenir de notre civilisation. Nous préférons mourir avec dignité que vivre sous le joug d’un Empire belliqueux.
La Récupératrice éternua. Elle sortit de sa poche un mouchoir usagé et s’essuya le nez. Puis, elle rangea le mouchoir avec parcimonie, comme si ce qu’il contenait était devenu précieux.
— C’est un beau discours qui ferait trembler n’importe qui. Tout d’abord, ce n’est pas “mon Empire”. Mais je sais comment il fonctionne. Ici, je suis leur championne mais aussi leur porte-parole, alors je vais aller droit au but car je n’ai pas toute la journée : l’Impératrice Tournesol est morte.
— Comment ça ?!
— Ne vous inquiétez pas, elle était vieille. Enfin, je crois. Désormais, c’est son fils le Petit Empereur qui règne. Comme il a peur et qu’il veut montrer qu’il en a dans la combinaison, il envoie son armée sur des planètes comme la vôtre afin de renforcer son ego et réassurer ses frontières. Mais il n’oublie pas la promesse faite par sa mère aux civilisations survivantes des Grands Dieux. L’Empire Bienveillant ne demande pas de récupérer vos ressources, un contrat de non-agression suffirait. Est-ce que l’idée vous plaît ?
À nouveau R tendit la main, mais cette fois-ci, le geste fut accompagné d’un sourire.
Lorsqu’elle revint vers les forces impériales, la Major Amber ne tenait pas en place. Pour elle, c’était plusieurs minutes de silence qui s’étaient écoulées depuis la fin du duel. Elle connaissait les exploits de la Récupératrice, mais son expérience de militaire ne lui permettait pas de relâcher sa concentration.
— Alors ? demanda-t-elle sans dissimuler son impatience.
— C’est réglé. Leur chef devrait signer un accord avec vous, un pacte d’amitié ou de respect mutuel, un truc du genre. Mais la prochaine fois, évitez de vous pointer avec un contingent prêt à en découdre.
— Nous n’avons pas le choix. Ordre direct de l’Empereur. Merci de vos efforts, c’était un duel admirable. D’ailleurs, vous avez failli y passer sur ce tir.
— Mon pouvoir s’active instinctivement lorsque je suis en danger de mort. Je n’étais pas inquiète pour ma vie, mais pour la mémoire que j’allais perdre.
— Vous semblez n’avoir rien oublié, pourtant.
— La perte de mémoire est aléatoire. Je suis restée intangible un léger instant donc j’ai dû oublier un détail sans importance. Enfin, je l’espère.
R récupéra son sac et repartit vers le plateau où elle avait atterri. La Major la remercia à nouveau et pointa du doigt les mains de la mercenaire.
— Ce sont de sacrées mains que vous avez là. Une guerrière comme vous serait bien utile dans nos rangs.
— Ces mains n’appartiennent à personne. Je n’appartiens à personne. Dans la Galaxie, je suis libre.
La suite dans le chapitre 5.
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