La Récupératrice, chapitre 3 : l’enfant

La Récupératrice, chapitre 3 : l’enfant

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Par François Faribeault

Publié le , modifié le

Découvrez notre saga de science-fiction qui parle cette semaine d’un chat et de mémoire.

En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).

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S’il y avait bien une chose que la Récupératrice aimait faire de ses après-midi libres, c’était observer les gens, assise sur un banc de la place principale du centre d’une grande ville d’un pays appartenant à une planète quelconque. Pas de mission, pas de responsabilité, pas de royaume ou système solaire en jeu, juste son regard caché derrière le reflet de ses lunettes, se perdant à travers les passants aux vies toutes aussi mystérieuses les unes que les autres.
— Excusez-moi… madame.
Il fallut que la voix se répète trois fois avant de tirer la Récupératrice de son rêve éveillé. Elle baissa le regard et découvrit un enfant. S’il y avait bien une chose que la Récupératrice n’appréciait pas, c’était les enfants. Pour la Récupératrice, ils étaient des monstres d’avidité et d’entretien, demandant toujours plus et n’offrant jamais rien en retour.
— C’est pour quoi ? demanda-t-elle d’un air légèrement agacé.
— Vous êtes bien une Récupératrice ?
La Récupératrice lâcha un rire discret. Elle retira ses lunettes puis se pencha vers l’enfant.
— Je suis LA Récupératrice. Il n’en existe pas deux comme moi dans l’univers. Mais tu peux m’appeler R.
— Comme l’air qu’on respire ?
— Non, comme la lettre.
L’enfant se tut. Il resta posté là, devant elle. Il jetait des regards à R et n’arrêtait pas de gesticuler sur place, comme si quelque chose voulait sortir sans qu’il ait le courage de se lancer. R souffla.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— En fait, je jouais avec mon chat, et il est parti se cacher dans un arbre. Et il ne veut plus descendre. Et vous pourriez m’aider à le récupérer ?
— C’est un chat, il descendra quand il en aura envie.
— Il essaie mais il n’y arrive pas. Il ne fait que miauler en cherchant un moyen de descendre. Il est coincé. Aidez-moi s’il vous plaît.
L’enfant afficha une mine triste. Des larmes naissantes firent briller son regard mais il s’empêcha de pleurer en les essuyant de sa manche.
— Très peu pour moi gamin. Demande à tes parents. Si tu n’en as pas, trouves-en. J’en ai vu quelques-uns près des échoppes.
— Mes parents travaillent. J’ai demandé à la milice mais ils n’ont pas le temps. Ils m’ont envoyé vers vous. Ils m’ont dit que vous avez réussi quelque chose d’incroyable hier et que sauver un chat ne vous prendrait même pas deux secondes.
— Qu’est-ce que j’ai réussi récemment ?
— Les gardes ont dit que vous avez mis fin aux attaques des Pirates de la Lune sans même faire couler une goutte de sang.
— Ah ça. Ce n’était rien, c’est juste mon travail. On me paie pour réussir ce genre d’exploit impossible pour tout autre être humain lambda tel que toi.
Pour elle ne sait quelle raison, cet enfant l’irritait. Elle ne savait pas si c’était à cause de son physique faiblard, son manque cruel d’autonomie, où le fait qu’il avait gâché son moment de sérénité. Peut-être les trois.
— Je sais que vous ne faites pas ça gratuitement alors j’ai rassemblé mes économies. Je ne sais pas ce que ça représente pour vous en argent impérial mais j’espère que c’est suffisant.
L’enfant sortit de sa besace un petit sac. R fut tout de suite attirée par le son des pièces s’entrechoquant. Elle zieuta la bourse. Elle paraissait bien remplie. Elle la déroba des mains de l’enfant. Elle pesait un bon poids. R n’était pas douée pour ce genre d’information inutile mais crut se rappeler que cette planète était sous la protection de l’Empire. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle n’adopte la monnaie impériale. Cet argent pouvait donc être converti. Une bourse pleine pour récupérer un simple animal. Le calcul était vite fait.
— Petit, tu as trouvé ta femme, répondit R en lui rendant la bourse. Montre-moi où se trouve ton chat, et je me ferai un plaisir de le sauver.

La mission était simple. Elle consistait à ramener sur la terre ferme un chat coincé sur une branche trop haute pour qu’un adulte puisse l’atteindre. En arrivant sur le lieu, qui était en fait situé à l’opposé de la place, R analysa la situation. Le chat marquait des allers-retours entre le tronc et la pointe de la branche, lâchant des miaulements au moins aussi irritants que la voix de l’enfant. Très vite R remarqua que certaines branches lui permettraient d’atteindre son objectif sans trop de difficultés.
Sous le regard de quelques curieux observateurs, R se lança. Elle prit son élan, s’appuya sur la base du tronc et saisit des deux mains une première branche. Avec un mouvement de balancier, elle réussit à se poser dessus et se releva. Quelques spectateurs applaudirent sa prouesse. Derrière ses airs discrets et sa taille disons modeste, R était en fait une athlète accomplie. Après quelques nouvelles acrobaties, elle rejoignit le chat. Celui-ci s’approcha et R pu le saisir avant de rejoindre le sol sans encombre. Encore un contrat réussit pour la glorieuse et courageuse héroïne.

Comme promis, l’enfant remit son sac de pièces à R. En quittant le cercle de spectateurs qui s’était formé autour d’eux, R réfléchissait déjà à ce qu’elle allait pouvoir faire de tout cet argent si aisément gagné. Peut-être des améliorations sur son vaisseau, ou alors un nouveau pantal…
— Madame, s’il vous plaît !
R se retourna. Un homme, sûrement un fan, l’avait retenu par l’épaule.
— Vous souhaitez un autographe ?
— J’ai vu que vous avez pris le sac de cet enfant. Pourriez-vous lui rendre ?
— Ne vous inquiétez pas, ce n’est que le paiement reçu pour la mission accomplie.
— Quelle mission ?
— Secourir le chat.
Quelques murmures s’échappèrent du groupe de spectateurs. R n’en tint pas compte et poursuivit sa route. Elle fut encore rattrapée par l’homme.
— Attendez, vous ne pouvez pas faire ça. C’est la bourse du petit, ses économies personnelles. Il n’a que peu d’argent et vous lui prenez tout. Et puis, les chats savent descendre tout seul, il n’avait pas besoin de vous.
— Ah merci ! C’est ce que je lui ai dit au gamin. J’ai d’abord refusé sa proposition afin qu’il apprenne que parfois, il fallait laisser la nature agir par elle-même, et qu’à vouloir tout contrôler, on n’arrivait à rien et on finissait par tout perdre. Qu’il fallait accepter une part de chaos afin d’embrasser l’équilibre qu’il engendre. Mais il n’a rien voulu entendre et m’a proposé d’acheter mes services. C’est mon métier et…
— On ne comprend rien à ce que vous racontez ! cria une femme dans l’attroupement qui grossissait.
— Avouez que vous avez vu de l’argent et avez accepté sans réfléchir ! ajouta un autre homme.
— Ça ne vous est pas venu à l’esprit, d’aider ce pauvre garçon gratuitement ? !

R vit la foule se rassembler de tous les côtés. Sans qu’elle puisse réagir, toutes les issues étaient déjà bloquées.
— Écoutez, dames et messieurs. Il est vrai que l’argent m’a fait changer d’avis. J’ai estimé que cet enfant était en pleine possession de ses moyens lorsqu’il m’a proposé cette bourse. Aussi, je me suis dit que ça lui apprendrait une belle leçon : les fruits de son travail ont permis de sauver un être cher.
— Les chats savent descendre tout seul ! Il n’avait pas besoin de vos services et encore moins de dépenser toutes ses économies !
— Certes, mais dites-vous que l’enfant a acheté sa propre patience. Il a même acheté le temps. Grâce à son argent, à son travail, il a pu l’espace d’un instant avoir le contrôle sur le temps lui-même, sans pour autant être certain que le chat resterait avec lui. Peut-être qu’une fois descendu, le chat se serait enfui. Alors, l’enfant aurait tout perdu en tentant de manipuler ce temps. Il aurait découvert que le chaos n’est pas achetable. N’est-ce pas là une belle philosophie ?
— Gardez votre baratin pour la milice ! Le fait est que vous avez volé un innocent enfant pour vous bourrer la gueule dans un quartier sordide de la ville ! Je les connais les gens comme vous !
R prônait la bienveillance, mais son égo n’était pas invincible, surtout quand on osait penser qu’il existait d’autres personnes comme elle. Mais le fait est qu’elle était unique. Maintenant elle était complètement encerclée par des inconnus en colère. Il fallait qu’elle calme la situation.

— Bon, je vois que nous prenons tous des chemins de compréhension différents et que dans tout ça, c’est le lien social qui s’effrite. Sachez avant tout que je suis la Récupératrice. C’est mon métier. On me paie pour que je récupère des choses, des objets, des gens et aussi des animaux bloqués dans des arbres même s’ils savent descendre par eux-mêmes.
— C’est quoi ce métier ? Jamais entendu parler !
— Vous vous foutez de nous !
— Rendez l’argent à ce petit !
Une femme sortit de la foule et s’approcha de R. D’instinct, elle recula d’un pas et esquiva tout contact. Des injures volaient de partout. “Sale voleuse”, “honte à vous”, “démon”. R savait qu’elle ne pourrait pas faire entendre raison au peuple. Parfois, ses paroles n’avaient aucun impact. Le moment était venu de fuir. Son corps se fondit alors dans le sol comme si elle se faisait aspirer. Les passants restèrent ébahis devant cet acte relevant de la magie. Ils palpèrent les pierres et regardèrent tout autour d’eux à la recherche d’une éventuelle trappe ou quelconque élément expliquant ce tour de passe-passe. Mais rien. La Récupératrice venait de disparaître tel un fantôme. Seul demeurait le sac de pièces.

Le soir, après avoir rangé ses affaires et quitté son hôtel, R se mit en direction de la station spatiale, où était garé son vaisseau. Devant le bâtiment, l’enfant l’attendait, sa bourse dans les mains, son air timide sur le visage.
— Merci, madame la Récupératrice.
— C’est pour quoi ?
— Même si les adultes ont tenté de vous faire du mal, je voulais vous remercier. Mes parents m’ont toujours appris à respecter les promesses alors voici votre paiement.
— Mon paiement ?
— Oui, pour avoir sauvé mon chat.
— De quoi parles-tu gamin ? Je dois y aller, je n’ai pas besoin de ton argent.
On pourrait penser que R feignait d’ignorer son exploit de l’après-midi afin de préserver les économies de l’enfant. En réalité, elle ne se souvenait plus de ce qu’il s’était passé. Non pas qu’elle ait une mémoire courte, mais bien parce que pour elle, cet événement n’avait jamais existé.
La Récupératrice détenait une capacité sans pareil dans la galaxie. Elle pouvait rendre son corps intangible. Ainsi, elle passait à travers la matière comme elle le souhaitait, franchissant n’importe quel obstacle ou mur. Mais cela lui coûtait sa mémoire. À chaque utilisation, la Récupératrice voyait ses souvenirs s’abîmer, voire se volatiliser. Tel était le prix d’un si grand pouvoir.

La suite dans le chapitre 4.

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